Joueur, te rappelles-tu de ton premier Locuste ? Il te faisait face sans trembler, son torse puissant se gonflant à chaque tir envoyé dans ta direction. Dissimulé derrière la carcasse d'une automobile, tu t'es probablement demandé quelle était cette horreur surgie des entrailles de la Terre. Pourquoi te haïssait-elle autant ? Et tandis que tu te posais ses questions, tes camarades tombaient sous les balles du monstre, qui progressait dans ta direction. Mais alors que tout semblait perdu, tu t'es élancé, glissant sur la tôle luisante de sang, abattant sur ton ennemi un déluge de fer et de feu. Quand son ombre a masqué les derniers rayons du soleil, tu as appuyé sur B. L'instinct, primaire et bestial. Et dans un cri de rage, tu l'as tronçonné, de haut en bas. Ce jour-là, dans une fontaine de sang, tu es devenu un véritable Gear.
Voilà 10 ans que le monde du jeu vidéo a découvert Gears of War. Un cover-TPS comme on en n'avait jamais vu alors. Si l'on reconnaissait la patte Epic Games dans le design des personnages, le monde dépeint par le jeu était sombre, torturé, brisé. Poussée dans ses derniers retranchements, l'humanité luttait pour sa survie, contre des hordes de monstres avec qui ils cohabitaient depuis des années, sans le savoir. Car ces Locustes ne venaient pas du ciel, mais bien de la terre, qui s'est rapidement gorgée de sang humain. Gears of War était sombre, désespéré, violent, sans concessions. Il est rapidement devenu un monument du jeu vidéo, et plus particulièrement de la Xbox 360. Après 10 ans d'existence, la série revient sur le devant de la scène, avec aux commandes un nouveau studio. Rassurez-vous, les joueurs n'y perdent pas au change, loin de là.
L'ordre du Fénix
25 années se sont écoulées depuis les événements décrits dans Gears of War 3. L'humanité connaît enfin une paix toute relative. Si les Locustes et les Lambents ne sont plus qu'un mauvais souvenir, l'humanité est dans un triste état, après avoir frôlé l'extinction par deux fois. La Coalition des Gouvernements Unifiés (CGU) a survécu tant bien que mal et est désormais dirigée par une femme répondant au prénom de Jinn. Sans doute trop maternaliste, la nouvelle Première Ministre a contraint les quelques milliers de survivants à se regrouper dans des villes afin de les protéger des conditions climatiques particulièrement dangereuses qui frappent Sera depuis la disparition de l'imulsion. La CGU a ainsi mis en place une société aseptisée et propre sur elle, qui a choisi de confier les tâches les plus dangereuses (grands travaux, sécurité, etc) à des automates, tandis que les femmes sont incitées à participer plus qu'activement à la reproduction de l'espèce. On découvre rapidement, dès les premières minutes de jeu, une de ces cliniques où la propagande n'est pas sans rappeler celles des grands fascismes du XXème siècle. L'ambiance est rapidement posée, et ce avec efficacité : l'humanité a frôlé la catastrophe et les 25 années manquées par le joueur n'ont pas dû être particulièrement enthousiasmantes.
C'est pour cette raison que certains ont choisi de défier l'autorité du gouvernement de Jinn et de fuir dans des contrées isolées, afin de vivre dangereusement certes, mais libres. Parmi eux, la jeune Kait mais surtout James Dominic Fenix et Delmont Walker. Après avoir prêté allégeance à la CGU, les deux compagnons ont choisi de vivre leurs vies et de rejoindre ceux que Jinn appelle « les Etrangers ». Gears of War 4 parvient à mettre en place, dès les premières minutes, différents sujets source de tension qui, ont le comprend, devraient nourrir la majeure partie de l'intrigue. Mais les choses vont vite évoluer, en mal. Après une mission de routine, le village où vivent JD et ses amis est attaqué par d'étranges créatures, à l'allure monstrueuse. Le jeune Fenix n'a jamais vu de Locustes de sa vie mais il comprend très rapidement qu'une seule personne saura en mesure de les aider : son père, Marcus.
Nous ne vous en révélerons pas plus sur le scénario de ce Gears of War 4, et vous laissons le plaisir de la découverte. Si son déroulement est finalement assez classique, Gears 4 parvient à créer un rythme particulièrement soutenu qui laisse peu de temps pour respirer. Les gunfights s’enchaînent et comme l'on pouvait s'y attendre, le jeu fait dans la surenchère en multipliant les séquences où « démesure » est le maître-mot. Mais le bébé de The Coalition sait se faire plus calme, dans sa première moitié notamment. JD, Marcus, Kait et Dal partent en mission de sauvetage et les premières heures de jeu installent un climat pesant, puisqu'il est d'abord question de comprendre à quoi ils ont affaire. Si la thèse locuste est très vite avancée par les deux jeunes soldats, le vieux Marcus a bien compris que les choses étaient un peu différentes : en plongeant le joueur dans les ruines d'un vieux château, ou les profondeurs de la Terre, le jeu parvient à recréer cette sensation de mystère et d'angoisse que l'on pouvait ressentir dans le tout premier Gears of War. Ce qui est d'autant plus remarquable que depuis 2006, l'on connait un peu les ficelles employées par la série. Mais cela fonctionne, notamment parce que Gears 4 a l'intelligence de s'appuyer sur son lore et de l'évoquer par petite touche ici et là, afin de piquer la curiosité du joueur. The Coalition reprend à son compte le travail d'Epic Game et lui rend hommage en multipliant les références au passé de la licence. Le jeu gagne en densité tout en permettant à ses personnages de gagner en épaisseur, chose à laquelle Epic s'était attelée sans réussite, notamment dans Gears of War 2.
Peu charismatiques, les trois nouveaux personnages ? C'est un fait, ils font pâle figure à côté des hyper-virils Marcus, Dom, Baird et Cole. Del et Kait ne nous évitent pas les clichés du black rigolo et du garçon manqué, mais sont beaucoup plus humains. Ces différences sont cohérentes, et surtout ont quelque chose de ludique : celui qui tient la manette en sait beaucoup plus que ces trois bleusailles. Ce qui inverse le rapport aux personnages : si l'escouade Delta avait clairement l'avantage sur le joueur dans les premiers jeux, ici le vétéran, c'est clairement lui.
La guerre a changé
Même s'ils n'ont pas des milliers de missions périlleuses à leur actif comme leurs aînés, JD et ses amis ne sont pas les derniers lorsqu'il s'agit de coller des raclées. En effet, le gameplay de la série a été méchamment dépoussiéré et revient avec de nombreuses améliorations notables. Si certains joueurs seront tentés de conserver leurs habitudes de jeu, c'est à dire t'attendre mollement planqué derrière un bloc de pierre pour mitrailler aléatoirement ce qui se trouve en face d'eux, disons-le clairement : ce serait une regrettable erreur. Pour Gears of War 4, The Coalition offre aux joueurs de nouvelles façons de semer la mort et la désolation, avec notamment le « yank and shank » ("tirer et jarret", en français). Désormais, il est possible de saisir un ennemi accroupi derrière un rempart et, alors qu'il est quelque peu sonné, de l'achever d'un coup de poignard (ou de le tronçonner, si l'on est équipé d'un Lanzor) ; de même qu'en courant vers le-dit rempart, il est possible de sauter par dessus les pieds en avant, et ensuite de suriner le vilain qui s'en retrouve tout désemparé. Tout cela s'effectue avec quelques boutons seulement et fonctionne à merveille. Si certains pouvaient reprocher aux premiers Gears of War une certaine raideur au système de couverture, celui-ci est beaucoup plus souples actuellement. Les déplacements se font plus facilement et de fait, on n'aura pas peur de courir partout sur le champ de bataille pour jouer du couteau et débusquer les ennemis trop frileux. C'est une véritable bonne évolution qui modifie en profondeur la façon d'approcher le jeu, notamment dans les modes de difficulté les plus élevés, où pouvoir éliminer rapidement certains ennemis est d'une importance cruciale.
L'ajout de nouvelles armes fait également beaucoup de bien à Gears of War. Si l'on retrouve tous les classiques (Lanzor, Retro-Lanzor, Boltok, Gnasher, Boomshot, etc), on découvre quelques petits nouveaux. Et ce principalement grâce à l'introduction de nouveaux ennemis, les Defbot. Les robots de combat de la CGU utilisent des armes bien spécifiques, comme l'EMBAR, un fusil de sniper sans lunette, ou encore le Tri-shot, un monstrueux fusil à pompe à la cadence de tir très élevés. On aime beaucoup le fusil Markza, utilisée par l'URI du temps des Guerres Pendulaires, qui fera le bonheur des joueurs cherchant un fusil tirant au coup par coup, mais extrêmement précis et létal. Mais l'arsenal ne fait pas que dans la subtilité : le Dropshot et le Buzzkill. Le premier projette des mines qui se plantent dans le sol ou dans des crânes quand l'on relâche la gâchette, tandis que le le second balance des scies circulaires qui peuvent rebondir et cisailler de gros ennemis en quelques secondes. Particulièrement amusants à utiliser, ils complètement à merveille l'équipement déjà disponible, et l'on fera en sorte d'économiser chaque munition disponible.
Sachez d'ailleurs que vous serez régulièrement amenés à pointer vos armes sur d'autres cibles que vos ennemis puisque les zones de combat sont truffées d'éléments destructibles qu'il faudra utiliser à votre avantage. C'est surtout vrai lors des phases de jeu où les tempêtes compliquent votre progression. Une barrière qui immobilise la carcasse d'une vieille voiture ? Détruisez-la et admirez le vent l'emporter sur vos ennemis. A chaque nouvelle tempête, le joueur devra donc analyser le terrain afin de voir s'il n'y aurait pas quelques tuyaux, ou une grue à faire tomber. Chaque tempête crée un véritable chaos à l'écran, et si le rendu est visuellement très impressionnant, ce n'en est que plus vrai lorsque vous vous en mêlez un petit peu...
« Ils ont filmé la guerre en couleurs »
Ce qui nous permet de parler des graphismes de ce Gears of War 4. En son temps, le tout premier épisode avait collé quelques paires de claques puisqu'il était le premier jeu à utiliser l'Unreal Engine 3, la dernière prouesse technique d'Epic. Et aujourd'hui ? S'il utilise bel et bien la dernière mouture du moteur (hohoho), Gears 4 ne fait pas le même petit effet « Waouh ». Ce qui ne l'empêche pas d'être un très joli jeu. Si certaines textures paraissent un peu faiblardes, l'ensemble est franchement satisfaisant, notamment en ce qui concerne la modélisation des visages ou les paysages traversés. De même que si les artistes du studio ont été particulièrement inspirés concernant certains environnements, d'autres sont nettement moins convaincants, à commencer par plusieurs niveaux souterrains. Heureusement pour eux, l'attention du joueur est alors concentrée sur un élément scénaristique en particulier et lorsque l'on connaît la série, on est plus intéressé par sa résolution que par le travail de l'architecte d'intérieur local.
Le jeu est plus impressionnant encore lorsque les tempêtes se déchaînent à l'écran. L'écran prend alors des teintes orangées qui deviennent plus vives à chaque éclair, à chaque déflagration. Malgré l'incroyable chaos représenté à l'écran avec talent, le framerate du jeu ne faiblit jamais et l'on peut profiter pleinement de l'aventure. Côté multijoueur, c'est forcément un peu moins bien : The Coalition ayant opté pour un framerate à 60 images par seconde, les textures sont moins précises, plus grossières par moments. Mais heureusement pour lui, le multijoueur de Gears of War 4 a bien d'autres arguments en sa faveur.
Le meilleur multijoueur de la série
Gears of War a toujours été un jeu qui se vit à plusieurs. À deux en écran scindé, pour triompher de la campagne dans son plus haut niveau de difficulté ; en local ou en online, en mode Horde, à affronter des vagues d'ennemis toujours plus nombreux ; ou face à d'autres joueurs, dans des modes de jeu dédiés. Le quatrième opus ne fait pas mentir ce précepte de la série, puisqu'il sera possible de jouer à plusieurs dans tous les modes de jeu, que ce soit en local ou en online. Et il faut dire qu'il y a de quoi faire.
En Bataille, le jeu propose de nombreux modes de jeu, dont certains complètement originaux, tout du moins pour la série. Ainsi, le mode Course aux Armes, repris de Counter-Strike, demande aux joueurs de faire trois frags avec chacune des armes du jeu ; à chaque série accomplie, l'équipe change d'arme. En partant du Boomshot pour terminer avec le pistolet Boltok, le mode promet des parties endiablées, pleines de suspens et de retournement de situation. Même constat du côté du mode Dodgeball, où à chaque frag, il sera possible de ramener un coéquipier tombé au combat. Le but est donc d'éliminer rapidement le plus d'ennemis sans perdre d'alliés dans la mêlée. Autant vous dire que les combats peuvent être longs, si les équipes sont d'un niveau équivalent. Cela donne aux parties un côté très télégénique, comme le souhaitait Rod Fergusson, le patron du studio. Passionné d'e-sport, Fergusson souhaite relancer Gears of War sur la grande scène et il se pourrait qu'il y parvienne, tant le multijoueur de Gears of War est amusant à jouer et plaisant à regarder. C'est d'autant plus vrai que le fameux « yank and shank » fonctionne également en PvP. Un coup de couteau n'est jamais bien loin, et il faudra être particulièrement attentif au mouvement de troupes. Le jeu requiert de la part du joueur une certaine science du placement et de l'anticipation, qui lorsqu'elles sont ajoutées au côté violent/gore décomplexé de la série donne naissance à un mode multijoueur désopilant, qui devrait animer de nombreuses soirées entre amis.
La Horde 3.0 est quant à elle et assez clairement le meilleur mode Horde jamais pensé pour un Gears of War. Reprenant le même concept pensé pour le premier épisode, elle ajoute un système de classes (cinq au total) qui vont inciter les joueurs à s'organiser et à jouer ensemble. Si chaque classe a ses armes de prédilection, il est tout à fait possible de changer en plein combat, en fonction de ses goûts. Chaque victime permet d'accumuler des points qu'il faut ramener au Fabricator, à partir duquel il est possible de générer des pièces de défense (barrières, mitrailleuses automatiques, leurres, etc), mais aussi des armes ; aux joueurs de préparer leurs défenses, de les maintenir en état et de les faire évoluer. Parmi les cinq classes, on trouve notamment le Technicien, qui devra obligatoirement intégrer toute équipe cherchant à venir à bout des 50 vagues d'ennemis. Celui-ci a la possibilité de réparer le matériel installé ici et là sur le terrain, et qui sera mis à mal par les ennemis. Mais chaque classe a ses avantages, à vous de choisir en fonction de votre style de jeu... mais aussi en cohérence avec le reste du groupe. Il va parfois falloir mettre votre égo de côté !
C'est d'ailleurs un point que Gears 4 n'oublie pas : le jeu intègre un système de coffres à acheter avec la monnaie gagnée in-game, pour obtenir de nouveaux skins de personnages, d'armes, ou carrément des perks qui pourront même être upgradés. Le tout est bien pensé et s'il est possible d'acheter ces fameux « Gears Crates » avec de la monnaie sonnante et trébuchante, le jeu ne vous y pousse jamais vraiment. Notez d'ailleurs qu'un season-pass existe et qu'il permettra d'obtenir de nouvelles cartes multijoueur. Néanmoins, celles-ci seront accessibles à toutes et à tous en parties publiques. En partie privée, il faudra qu'au moins un des joueurs possède ces nouvelles cartes pour que tous les autres y aient accès. Le système est donc plutôt souple et bien pensé, ce qui est forcément apprécié.
Points forts
- Hyper intense
- Le sentiment d'inquiétude et de mystère du premier Gears
- Les tempêtes et les interactions avec le décor
- Le gameplay renouvelé
- La Horde 3.0
- Le meilleur multijoueur de la série
- La barbe de Marcus
- Les derniers chapitres, complètement fous
Points faibles
- Une campagne pêchue mais convenue
Clairement, on ne l'attendait pas aussi haut. On ne va pas se mentir, Gears of War Judgement et Gears of War 3 étaient un peu en dessous de leurs grands-frères, et après une présentation peu convaincante à la gamescom 2016, on avait quelques inquiétudes pour ce Gears of War 4. Ces inquiétudes, il les a balayées d'un revers de la main. Porté par une campagne simple mais efficace, qui rappelle les plus beaux jours de la série tout en ajoutant ce qu'il faut de nouveauté pour la moderniser, Gears 4 repose sur des bases techniques très solides et porte en son sein un mode multijoueur dantesque, à la fois incroyablement fun et complet. Si l'on ajoute à cela le système de personnalisation et les nouveautés de la Horde 3.0, on a clairement affaire au meilleur mode multijoueur jamais créé pour un Gears of War. En somme, The Coalition a fait un excellent travail, et après ce (véritable) premier effort, on a hâte de voir ce qu'il réserve à l'avenir pour la franchise.