Voilà une histoire qui pourrait bien devenir un futur cas d'école. Mighty N°9 était un jeu attendu, présenté aux joueurs avec de belles promesses et financé en grande partie par la communauté via la plates-formes de financement participatif Kickstarter. Un soi-disant renouveau non-officiel de la série Mega Man qui devait redorer le blason du platformer action à l'ancienne. Mais quelques années plus tard, vînt le jour de sa sortie...
Vidéo-Test de Mighty N°9
Kickstarter, paradis ou enfer
Avec 3,845,170 $ engrangés, Mighty N°9 fait clairement partie des campagnes Kickstarter les plus réussies dans le domaine du jeu vidéo. Avec Keiji Inafune et quelques anciens développeurs ayant officié sur la série Mega Man, le titre du studio Comcept semblait, de prime abord, avoir la crédibilité qu'elle prétendait avoir : un jeu de la trempe des meilleurs opus de la série de Capcom. Toutefois, au fur et à mesure des années, quelques doutes ont commencé à poindre. Alors même que le jeu était encore en développement, on le rappelle financé par les joueurs, Comcept lançait déjà un Kickstarter pour un autre jeu, RED ASH. Comment peut-on demander de l'argent pour un nouveau titre alors qu'on a même pas fini celui pour lesquels les joueurs ont déjà payé ? Surtout que ce dernier a par la suite été retardé... Pire encore, Comcept a fait une nouvelle demande de financement pour Mighty n°9 alors qu'ils avaient déjà engrangé plus de quatre fois leur demande initiale (de 900,000 $) pour rajouter des éléments dans le jeu. On peut le dire, ça sentait d'office le roussi et la communauté pouvait se poser des questions quant au sens de la gestion (voir de l'honnêteté), des développeurs.
Mais aujourd'hui, nous ne sommes plus à l'heure des questions mais plutôt du constat. Mighty N°9 est dans les bacs depuis le 24 juin et les joueurs ont pu découvrir par eux-même que le résultat était plutôt loin des espérances et de promesses. Toutefois, soyons clairs : je pense que le bébé de Keiji Inafune n'est pas l'infâme daube que certains joueurs, voire journalistes, décrivent. Disons juste qu'il a payé son arrogance...
Sur le papier...
On se retrouve donc avec le robot Beck, alias Mighty n°9, qui doit cet alias à sa position de neuvième robot Mighty, une série d'androïdes créée par un scientifique de génie. Malheureusement, un virus d'origine inconnu à rendu tous les robots des Etats-Unis méchants, y compris les huit autres Mighty. Insensible à ce virus grâce à ses capacités d'assimilation, Beck doit sauver le monde, et blablabla et blablabla. En termes de structure générale de jeu, on se retrouve avec du pur Mega Man : huit niveaux, chacun conclu par un boss dont on peut récupérer le pouvoir, puis quelques niveaux supplémentaires (je ne vous dis pas combien pour ne pas trop spoiler) à la fin pour arriver au dénouement. En gros, du Blue Bomber tout craché.
Le problème ne vient dont pas de là, mais du gameplay en lui-même, qui avait pourtant de quoi plaire sur le papier. En plus de son tir de base, Beck peut utiliser un dash qui possède des propriétés d'assimilation. S'il est effectué sur un ennemi affaibli, Beck absorbe ce dernier et gagne un bonus. Vitesse, défense ou puissance, ces avantages sont temporaires, ce qui signifie qu'il vaut mieux enchaîner les ennemis si on veut pleinement en profiter. Un gameplay basé sur la vitesse que l'on retrouve aussi dans le pourcentage d'assimilation. En gros, il faut absorber les ennemis dès que vous les avez affaiblis, sans quoi votre assimilation sera suboptimale et vous octroiera moins de bonus (et moins de score, un élément sur lequel nous reviendrons). Tout ça, c'est le côté cool.
Mighty N°9 - Le niveau de Shade, un des rares niveaux de qualité
Une pure histoire de level design
Le côté moins cool, c'est que pour qu'un système comme celui-ci marche, il faut que le level design suive. En effet, un gameplay basé sur la vitesse de jeu se doit d'être fluide, ce qui peut se faire que si les ennemis et plates-formes sont placées de façon logique. C'est ce que nous ont appris depuis des années des séries comme les Mario et, Ô surprise, les Mega Man, dont certains opus sont des exemples de génie (Mega Man 2 étant sans doute le meilleur dans ce domaine). Mais pour Mighty N°9, c'est la déchéance totale. Il n'existe aucune vraie cohérence dans les séquences et les ennemis et plates-formes semblent parfois placés au hasard. Du coup, il manque totalement de rythme et il est difficile d'accrocher à un level design aussi pauvre. Le plus étonnant, c'est qu'il manque le principe de base des jeux d'action/plates-formes : les phases évolutives.
En effet, les bons jeux du genre ont toujours fonctionné de la même manière. On vous montre un principe de gameplay, d'abord de manière simple, puis de plus en plus compliquée. Le joueur a le temps d'assimiler le principe au fur et à mesure et a donc l'impression de devenir plus fort. Pour donner un exemple, dans Mega Man 2, le niveau de Flash Man (puis le château du Dr Wily) propose des phases où il faut éviter des rayons lors de chutes vertigineuses. Les premières sont simples à l'extrême pour que le joueur comprennent ce qu'il faut faire, puis les suivantes sont de plus en plus longues et complexes. Résultat : des passages mémorables qui datent de 1988. Dans un jeu comme Mega Man 2 (j'aurais pu citer n'importe quel gros jeu d'action ou de plates-formes), ces gimmicks de gameplay s'entremêlent avec saveur. Dans Mighty N°9, ils n'existent tout simplement pas. Les séquences n'ont ni queue ni tête et les quelques tentatives de gimmicks vous arrivent dans la tronche tel un camion 38 tonnes pour disparaître dans la foulée alors que d'autres reviennent sans cesse sans ne jamais évoluer.
Crappy N°9 ?
A vrai dire Mighty N°9 pourrait être montré dans les écoles de game design dans une conférence intitulée « Comment gâcher un bon concept avec un level design lambda ». Car mine de rien, le concept d'assimilation avait un fort potentiel et aurait même pu être la base d'un excellent jeu. Les pouvoirs récupérés des boss sont plutôt originaux, entre les explosifs, les tirs de glace ou les balles à ricochets, même si leur ergonomie d'utilisation et leur équilibrage sont parfois bancals (les lames de Brandish sont trop puissantes...). Notons aussi une petite variation de gameplay avec un niveau dans lequel on joue Call, légèrement plus infiltration. Certes, c'est pas foufou mais ça occupe un peu l'esprit.
Mighty N°9 - Call entre en scène
Malheureusement, Mighty N°9 a un autre problème constant que beaucoup de joueurs avaient remarqués bien avant sa sortie : un total manque d'identité visuel. Des ennemis aux décors, le titre manque de punch et ne fait pas grand-chose pour se démarquer. Un aspect générique digne d'une petite production qui ne rime pas vraiment avec les ambitions de Keiji Inafune. Il en va de même pour les musiques peu inspirées, même si leur version 8-bits ont au moins le mérite d'avoir des sonorités plutôt chaudes.
Si ce constat vous semble particulièrement noir, notons quand même qu'il s'agit plus des propos d'une âme déçue que d'un véritable pamphlet. Non, Mighty N°9 n'est pas à jeter avec l'eau du bain pour autant et il n'est pas impossible d'en apprécier quelques passages malgré certaines phases pénibles ou frustrantes. Même si on est en dessous de la plupart des Mega Man en matière de difficulté, le challenge reste honorable et la durée de vie n'est pas ridicule. Il faut dire que le titre propose de nombreux défis en solo, en coop (avec Call) et en versus grâce auxquels on peut prolonger l'expérience, surtout si on aime le scoring. D'ailleurs, le scoring est une part importante de Mighty N°9, y compris dans le mode principal puisque vous êtes noté à la fin chaque niveau selon votre vitesse, le nombre d'ennemis tués et tout un tas d'autres paramètres.
Mighty N°9 - Combat contre Battalion
Points forts
- Un concept de gameplay intéressant
- Un principe old school
- L'inspiration Mega Man
- Les nombreux défis pour les fans de scoring
- Les musiques 8-bits
Points faibles
- Un level design particulièrement pauvre
- Des passages frustrants
- Certains mouvements ne servent pas à grand-chose
- Les pouvoirs mal équilibrés
- Des problèmes d'ergonomie
- Une identité visuelle ultra générique
Mighty N°9 paye sans aucun doute ses ambitions. Après une campagne Kickstarter explosive basée sur des promesses de renouveau de la série Mega Man, le titre du studio Comcept dirigé par Keiji Inafune déçoit terriblement par son manque d'inspiration, tant au niveau du level design qu'en matière de visuels. Pâle copie de joyaux d'antan, il peine à briller et ce malgré un concept initial intéressant. Toutefois, son challenge, ses défis et son côté old school pourront suffire à quelques joueurs déjà adeptes du genre.