Après un détour plus ou moins oubliable du côté de l’Heroic Fantasy avec Bound by Flame, Spiders revient à ses premiers amours en opérant un retour sur la planète Mars avec The Technomancer. Un retour, car l’univers dépeint dans ce nouveau action-RPG est une suite spirituelle à Mars : War Logs, titre sorti en avril 2013. Le studio français qualifie lui-même ses productions de jeux "double A", des titres développés dans un laps de temps assez court, mais aux ambitions bien réelles. Et dès les premières heures de jeu, ce Technomancer semble en effet être voué à jouir des mêmes qualités et surtout souffrir des mêmes défauts que ces grands frères. Voyons voir tout ça en test sans plus tarder.
Mars, et ça repart !
Les habitants de Mars font face à un problème assez délicat, un mystérieux évènement a, en plus d’abolir tout espoir de retour sur Terre ou de communication avec la planète bleue, intensifié la dangerosité de l’exposition à la lumière solaire pour les pauvres bougres ayant colonisé les lieux il y a bien des années. Le moindre rayon est désormais suffisamment puissant pour brûler le premier quidam assez fou pour mettre le nez dehors sans un bon indice 300. Dans le même temps, le conflit principal de Mars War Logs persiste encore et toujours ; l’eau conserve son statut de ressource la plus convoitée de la planète rouge. Symbole de vie et de prospérité, sa rareté en fait le moteur de tous les conflits. Pas étonnant alors que de puissantes guildes et autres sociétés aux intentions plus que douteuses se livrent à une guerre perpétuelle pour la gestion de ce précieux liquide. The Technomancer rajoute une couche de mystère avec la présence enfouie sous la poussière d’une technologie issue d'ancêtres puissants, les premiers colonisateurs humains, détenant dit-on la clé d’un éventuel retour sur Terre.
Au milieu de ce joyeux bazar, nous incarnons le tout juste promu Technomancien Zacharia Mancer, un être humain doté de puissantes facultés électriques et d’un sens de la justice assez prononcé. Cette confrérie à part tient le rôle de protecteurs des habitants d'Ophir, l’une des sociétés martienne au cœur du scénario du jeu. Et il y aura pas mal de boulot à abattre pour tenter de maintenir l’ordre apparent des choses, entre la police secrète du régime (ASC) qui tente d’infiltrer et de détruire les corporations, les mafieux du groupe Vory et leurs méthodes radicales, les dissidents d’Aurora perpétuant divers attentats pour leur cause ou encore les Mutants, ces parias difformes rejetés par la société, l’univers de The Technomancer regorge d’occasions de dialogues avec différents PNJ, de choix épineux, d’alliances improbables et de trahisons prévisibles. Dès les premières minutes, l’inspiration Mass Effect se fait donc clairement ressentir à travers le marasme idéologique et racial au cœur de la plupart des quêtes du jeu, mais aussi dans l’ambiance générale des lieux avec les différentes colonies baignées par la lumière du soleil lointain.
Le titre de Spiders emprunte pour beaucoup l’esthétique volontairement monochromatique (certains diront terne) de son grand frère Mars : War Logs. Allergique à la grisaille et aux teintes ocre omniprésentes passez votre chemin, le monde de notre héros technomant est loin d’être une société idyllique et verse allégrement du côté du cyberpunk. Pour autant, les multiples références RPG du titre (Mass Effect, Dragon Age, The Witcher, etc.) tendent à conférer au volet jeu de rôle du titre une réelle profondeur à saluer. The Technomancer se dote de tout un attirail de mécaniques aptes à donner corps à ses ambitions de création d’univers cohérent et profond. Nombreux personnages secondaires, système de compagnons de route avec lesquels interagir tout au long de l’aventure, notion de bien et de mal dans la plupart des décisions, impact direct des statistiques dans les différentes options de dialogue, Spiders a ratissé plutôt large pour proposer une expérience se voulant à l’image des productions majeures de ces dernières années.
Zacharia au rapport !
On notera par exemple la volonté de nommer chaque PNJ du jeu en fonction de son rôle au sein de la société. Voilà pourquoi notre ami Zach se retrouve affublé du nom de Mancer et que nos différents compagnons portent des noms aussi "originaux" que Scott Seeker ou Amelia Reacher. Si l'on ressent cette envie constante de Spiders de creuser un background déjà pré-établi dans Mars War Logs, le jeu ne prend pas forcément de pincettes pour introduire certains éléments historiques au nouveau venu. Il faudra donc faire l'effort d'aller soutirer de nombreuses informations auprès des personnages secondaires du jeu aux lignes de dialogue assez nombreuses. L'occasion de découvrir un système assez profond de renommée envers les différentes factions du jeu qui laissent bien vite entrevoir différentes méthodes de résolution des conflits d'intérêts, tantôt agressives, tantôt plus pacifiques. À la manière de Mass Effect toujours, entretenir le dialogue avec nos deux compagnons de route (à choisir parmi plusieurs personnages tout au long de l'aventure) pourra déboucher sur différentes situations allant de la défiance à la romance.
Malheureusement, une fois le vernis de surface un peu gratté, on se rendre compte que la plupart des personnages souffrent d’une écriture assez pauvre servie par un doublage vocal (en anglais) que l'on sent rarement investi. On fera l’impasse sur une modélisation assez bancale des visages peinant à retranscrire certaines expressions pour ne retenir qu’un ensemble qui semble passer à côté de ses ambitions sur le papier. C’est d’autant plus dommage que l’histoire globale est plutôt chouette avec ses différents arcs narratifs bien ficelés les uns avec les autres sur lesquels on ressent vraiment l’impact de nos décisions lors des missions. Entre les différentes façon d'aborder le dialogue avec les différentes factions possibles et les quelques bonnes trouvailles de scénario ponctuant çà et là la progression du joueur, ce Technomancer s’appuie très largement sur son histoire pour compenser ses faiblesses les plus visibles.
Du gameplay pour The Technomancer
Ping-pong Mancer
L’une d’entre elles réside dans les multiples allers et retours que nous sert le jeu tout au long de sa bonne vingtaine d’heures de durée de vie. The Technomancer n’y va pas avec le dos de la cuillère en matière de missions secondaires ! Ce n’est pas forcément un mauvais point puisque la plupart des quêtes sont l’occasion de dénicher des matériaux d’artisanat ou encore de renforcer l’aspect relationnel entre Zach et ses compagnons. Cependant, la chose devient répétitive (voire exaspérante) après quelques heures de jeu à faire le ping-pong à pied ou en Rover entre un PNJ de la cité principale d’Ophir à l’autre extrémité du monde. D’autant que les options de voyage rapide entre deux points sont limitées à certaines zones spécifiques du jeu comme les villes et les principales bases des factions martiennes. Le joueur passe donc l’essentiel de son temps à faire la navette au sein des mêmes lieux à se battre de façon presque identique contre des ennemis réapparaissant après chaque temps de chargement. Ces derniers sont d’ailleurs plutôt longs sur consoles, un peu moins sur PC et tendent à rajouter une couche d’agacement au fil des heures.
D’autant que le level design général de la planète Mars laisse finalement trop peu de place à l’exploration libre. Si l’on note une réelle envie du studio de gommer la désagréable impression d’évoluer dans un couloir tout comme dans ses précédentes productions, la structure de la planète manque encore d’ouverture pour réellement nous immerger dans son univers. Les zones secrètes contenant des coffres et autres tas d'ordures à farfouiller pour dénicher des composants d’artisanat sont disposées de manière bien trop académique et peinent donc à dégager une quelconque personnalité. Il en va de même pour le manque de vie général ressenti en se baladant dans les différentes villes du jeu, cette absence d'animation ruine quelque peu les efforts d'immersion du studio français. Néanmoins, on notera de réelles ambitions architecturales concernant les deux villes majeures du titre avec Ophir et son design autoritaire aux murs saturés d'affiches de propagande opposées au style plus décompléxé de Noctis tout droit inspiré de certaines cités orientales. Bref s’il y a du mieux côté level design, l’impact du temps de développement restreint propre au studio Spiders se fait encore trop ressentir dans la qualité finale du produit.
Le volet technique souffre aussi de ce rythme de production intensif avec un rendu à l’image du jeu : correct, mais sans plus. En dehors de quelques cutscene plutôt réussies mettant en scène différents points clés de l’histoire, la présentation générale du titre reste assez basique voire plutôt succincte en matière de mise en scène. Les dialogues entre personnages passent le plus souvent par l’intermédiaire d’un simple champ-contrechamp et les animations se montrent un peu raides. Restent toutefois quelques jeux de lumière convaincants, notamment sur les paysages extérieurs, pour quelque peu gommer le manque global de finesse de l’ensemble. Fort heureusement, les compositions musicales d’un Olivier Derivière inspiré parviennent à donner un peu de vie voire de souffle épique à ce Technomancer.
Ne pas oublier la règle des trois
The Technomancer est l’archétype même du jeu intéressant sur le papier, mais dont les nombreuses faiblesses de réalisation ruinent un peu les ambitions initiales de ses créateeurs. Après les graphismes et le level design, l’autre point d’orgue de cet acte manqué réside manifestement dans son système de combat. Pourtant, en s’inspirant de la concurrence (The Witcher, la série des Batman Arkham ou encore la saga des Souls), Spiders partait avec de solides bases pour offrir des affrontements techniques, fluides et surtout variés. Qu’on se le dise toute suite, la plupart de ces points importants du cahier des charges ne sont pas vraiment respectés. Si l’approche des combats semble moins lourde que celle de Bound by Flame, elle se révèle assez bancale à prendre en main voire énervante sur la durée. La faute à des adversaires sous forme de gros sacs à PV dans la majorité des modes de difficulté du jeu. Si Spiders voulait des combats gracieux et techniques, la chose est ratée, on passe le plus clair de notre temps à esquiver les attaques dans l’attente d’une éventuelle ouverture dans la garde des ennemis. Même avec un équipement plus que correct et un arbre de talent bien avancé, la moindre erreur est souvent synonyme de punition instantanée.
N’est pas Dark Souls qui le veut et ce sentiment de faiblesse générale du héros tend à devenir assez usant à la longue et brise d’une certaine façon l’image de puissance associée à la caste des Technomancers. Entre les gros ennemis de type boss assommant ce pauvre Zacharia au moindre coup ou bien ces saletés de soldats équipés de fusils capables de vous faire passer de vie à trépas en quelques secondes seulement, il faudra accepter de subir de cuisantes défaites avant de recharger une sauvegarde rapide au cours de laquelle vous réaliserez enfin les esquives et les contre parfaits et où le pathfinding douteux de vos deux compagnons de combats ne fera pas trop des siennes.
Pourtant, avec son système de triples postures de combat, notre héros a techniquement de quoi répondre à la plupart des situations délicates. La première basée sur les dégâts de zone et l’acrobatie utilise un bâton pour porter de violentes rafales de coups aux adversaires. La seconde, plus “subtile”, permet à Zach de manier une dague sournoise et un pistolet pour porter des attaques rapides. Enfin, plus lourde à l’usage, la posture de Gardien nous équipe d’un bouclier et d’une masse à même de briser quelques crânes après quelques parades bien senties. On notera aussi la présence d'une mécanique de furtivité utilisée à de rares moments lors de certaines missions d'infiltrations obligatoires. Le jeu ne favorise à aucun moment un style de combat par rapport à un autre et nous laisse totalement libre d’investir nos points de talents dans celui qui correspond le mieux à notre façon de jouer.
En bon technomant qui se respecte, Zach Mancer est aussi doté d’une panoplie de sorts électriques divisés en deux catégories : les capacités directes de dégâts et les sorts maintenus sur la durée. La première branche propose pêle-mêle un éclair capable de rebondir entre plusieurs adversaires ou encore une bombe à impulsion électrique apte à étourdir les ennemis avant d’exploser. L’autre versant des pouvoirs couvre certaines améliorations comme la capacité d'électrifier son arme ou de déployer un bouclier électrique autour de soi. Toutes ces techniques utilisent une ressource, le Sérum, à récolter par exemple sur nos adversaires K.O au prix cependant d’une baisse de notre jauge de karma. Malgré les possibilités tactiques offertes par ce système de combat, Spiders nous livre une copie bien trop brouillonne plombée par une IA aux fraises, une difficulté mal dosée et une caméra le plus souvent mal positionnée.
Un meilleur RPG qu'un jeu d'action
Si le système de combat se montre plus bancal que plaisant à prendre en main, ce Technomancer met par contre les bouchées doubles en matière d'aspects RPG. Avec ses trois arbres disctincts, le jeu propose la totale côté évolution du personnage. À chaque niveau, le joueur reçoit un point à dépenser dans de nouvelles capacités actives ou passives. L’arbre est divisé en quatre sections, une pour les trois postures de combat, l’autre pour les techniques électriques de technomants. Tous les quatre niveaux, un point est a dépenser dans l’amélioration des attributs de base du héros (force, agilité, vitalité etc.). Ces statistiques influencent de manière directe le type d’équipement que Zach est à même de porter, ses dégâts en fonction des styles de combat ou encore la limite de poids de son inventaire. On retrouve aussi d’autres options comme le crochetage ou des éléments de connaissances aptes à influencer les choix disponibles lors de certains dialogues.
Le tout est secondé par un chouette système de craft digne héritier des précédentes productions du studio français. The Technomancer est un jeu dans lequel vous allez beaucoup looter : des morceaux de cuir, des peaux de bête, de la ferraille de récupération, le côté cyberpunk transforme ces rebuts de décharge en matériaux de choix pour confectionner des améliorations à l'impact direct sur l’efficacité de votre équipement. Bref, la personnalisation de Zach - autant en matière de talents que d’équipement - ne fait pas défaut ici et tend à gommer une nouvelle fois certaines de faiblesses du titre.
Points forts
- Univers riche et assez complexe pour susciter l'intérêt
- Un bon système de progression du joueur
- Des efforts très notables côté RPG (système de compagnon, choix, statistiques)
- Le système de craft, très utile
- Bande-son de qualité
Points faibles
- Des allers et retours, partout, tout le temps
- Système de combat mal fichu
- Les expressions faciales trop pauvres des PNJ
- Un manque flagrant de vie dans le monde
- Level design souvent trop étriqué ou trop alambiqué
- Le placement de la caméra lors des combats dans les endroits exigu
- De nombreux bugs (collisions, IA des compagnons, etc.)
The Technomancer nage de façon continue dans les eaux du "toujours assez moyen" sans jamais relever la tête du côté du très bon, mais sans non plus sombrer dans le carrément mauvais. Aussi attachante qu’elle peut se montrer exaspérante sur certains points, l’expérience de jeu reste toutefois agréable pour quiconque prendra la peine d’occulter certains de ses défauts les plus évidents (système de combat, bugs, qualité technique, allers et retours incessants etc.). Après Mars War Logs et Bound by Flame, les français de chez Spiders pêchent ici encore une fois par manque de temps et de moyens plus que par manque d’ambitions. Reste au final un action-RPG à la partie action bancale, mais au volet RPG étonnamment solide pour un projet de cette trempe. À surveiller donc au fil de ses éventuelles baisses de prix.