Deux ans après le très sympathique Crimes & Punishments, le célèbre détective de Londres reprend du service. Sans bouleverser la formule d'origine, Frogwares parvient à la redynamiser grâce à une grande variété de situations et une intrigue plutôt maîtrisée. Avec sa touche de modernisme, son ambiance décontractée et son enrobage agréable, The Devil's Daughter a tous les atouts pour convaincre les enquêteurs en herbe. Entre humour, tension et trahison, Sherlock Holmes continue de traverser les générations avec le flegme "so british" qui le caractérise. Reste à savoir si son calme légendaire va résister aux épreuves qui l'attendent.
L'histoire commence de façon abrupte, au cœur d'une forêt enneigée et voilée par un épais brouillard. Soudainement, on y découvre un Sherlock apeuré, comme traqué par une menace invisible mais bien réelle. Essoufflé et visiblement mal en point, le fin limier est en mauvaise posture. L'ambiance, oppressante, pose les bases d'un jeu qui se compose de plusieurs actes indépendants (4 et une sorte de long épilogue), autour desquels gravite un fil rouge s'intéressant au passé du détective et à celui de Kate, sa fille adoptive. Après le prologue, un flashback de 48 heures transporte le joueur dans le bel appartement de Baker Street. The Devil's Daughter marche sur les traces de ses aînés mais parvient à se démarquer grâce à des idées ingénieuses et des thèmes variés (disparition, mystère, paranormal...).
PERDU DE VUE
Avachi sur son canapé, Sherlock déprime de plus en plus à mesure que les heures passent. Pour tenter de réchauffer l'atmosphère, son cher acolyte, Watson, allume un feu pendant que le chien Toby roupille dans son coin. La quiétude est interrompue par la visite inattendue d'Alice de Bouviers, une nouvelle voisine. Cette dernière amène un gamin en pleurs, sans nouvelles de son père depuis plusieurs semaines. Il n'en fallait pas plus pour redonner du baume au cœur au meilleur détective de la ville et lancer la première enquête du jeu. Que les amateurs de la licence se rassurent, on retrouve tout ce qui fait le charme des aventures du personnage : interrogatoires, contre-interrogatoires, recherche et recoupage d'indices, observations des lieux et des individus... tout y est ! Le déroulement des enquêtes est cohérent et on ne peut s'empêcher de penser à L.A Noire. Souvenez-vous, il était possible de détecter les failles des personnes interrogées en se basant sur leurs expressions faciales (c'était d'ailleurs l'une des prouesses du jeu). Dans Sherlock, une telle feature serait bien trop limitée compte tenu des animations trop rigides. En revanche, tout comme dans le jeu de Rockstar, les mauvaises déductions, si les éléments sont mal interprétés, peuvent conduire vers de fausses pistes et mettre à mal la vérité des faits. Heureusement, Sherlock, grâce à ses capacités d'analyse supérieures à la moyenne, est capable d'activer un sixième sens lui permettant de débusquer des indices insoupçonnés ou encore de reconstituer le déroulement d'une scène, pour remettre les morceaux du puzzle dans le bon ordre. Cela n'est pas trop pour repérer les menteurs des personnes honnêtes. Et ce jeu du chat et de la souris est particulièrement plaisant.
TOUS LES CHEMINS MÈNENT AUX INDICES
Pour casser une routine établie, les développeurs ont eu la bonne idée de multiplier les situations. Outre les passages obligés (inspection des lieux, fouille d'un corps...), le jeu intègre de nombreuses phases d'action et d'infiltration visant à briser la monotonie. Selon les enquêtes, il faut suivre un suspect sans faire remarquer, se faufiler à travers les marécages et les bois en évitant les balles sifflantes, se cacher avant qu'une personne ne pénètre dans la pièce, désamorcer une bombe, échapper à des pièges dans un temple maya... cette succession de séquences participent grandement à l'immersion, même si c'est généralement bancal et que les commandes se révèlent capricieuses. Le jeu propose également son lot d'énigmes et de mini-jeux basés sur la mémoire, les réflexes ou encore la logique. Certaines scènes sont également surprenantes, puisqu'il est possible, selon les évènements, d'incarner Toby et sa truffe de compét' ou encore le jeune Wiggins, qui n'hésite pas à passer par un conduit de cheminée pour mener à bien sa mission. Vous aurez même le loisir de vous essayer au boulingrin, une variante britannique de notre pétanque. Tout est loin d'être parfait et l'ensemble est parfois capillotracté mais l'histoire est si accrocheuse et moderne qu'on oublie aisément toutes les imperfections qui écornent l'enrobage global. Par rapport à Crimes & Punishment, le jeu est encore un peu trop téléguidé mais il a clairement gagné en intérêt. On apprécie également les petits détails, comme la possibilité de changer de vêtement (il faut notamment se déguiser pour tromper la vigilance des individus) ou de look. Moustache, rouflaquettes, chapeau, lunettes, pardessus, tenue de sport, costume... voire accoutrement négligé ou carrément pasteur (qui sert pour une séquence totalement barrée), Sherlock aime les extrêmes. L'appartement de Holmes est également un point central pour faire parler les indices, que ce soit par l'analyse et la modification de ces derniers ou la recherche d'informations dans la bibliothèque, les encyclopédies ou les journaux.
BAKER STREET
Sur le plan technique, The Devil's Daughter peine à surprendre avec son Unreal Engine 3 mais il cache ses faiblesses par une atmosphère vraiment réussie. Par rapport à son prédécesseur, les lieux visités sont plus vastes et donnent un cachet assez unique à chacune des enquêtes. De l'appartement de Baker Street aux rues piétonnes de Londres en passant par Scotland Yard, il y a plus d'une vingtaine d'environnements à arpenter et à fouiller et cette variété permet d'atténuer les sempiternels allers-retours. L'autre bonne surprise vient des doublages. Excellents en anglais, ils sont également très convaincants en français puisqu'on a la chance de profiter de certains doubleurs officiels de la série Sherlock. Pour terminer, selon les joueurs, certains préféreront le couple clavier/souris tandis que les autres opteront pour la manette. Il faut tout de même souligner que certaines phases, notamment lors des exercices d'équilibre, sont beaucoup plus simples à gérer avec deux sticks.
Si certaines maladresses sont toujours présentes, The Devil's Daughter démontre à qui veut l'entendre que les jeux d'enquête peuvent se renouveler. Certes, l'évolution peut sembler timide et la linéarité du titre est évidente. Mais le résultat est tel qu'on ne s'ennuie à aucun moment et qu'on prend plaisir, heure après heure, à plonger dans le passé trouble de Sherlock Holmes. Il est vrai que les fans de l'œuvre de Sir Arthur Conan Doyle seront peut-être décontenancés par cette approche moderne du polar mais l'univers du jeu suit la tendance amorcée par la série télévisée. Et avec une quinzaine d'heures d'enquête, il apparaît difficile, si vous êtes fans du genre, de passer à côté. À condition, toutefois, de ne pas s'attendre à un challenge redoutable.
Points forts
- L'utilisation des indices et des déductions
- Artistiquement intéressant
- Très varié pour un "simple" jeu d'enquête
- Personnages attachants
- Une écriture de qualité
- Vue subjective disponible
- Possibilité d'absoudre le coupable présumé
Points faibles
- Trop facile pour les puristes du genre
- Un peu fourre-tout
- Certaines séquences un peu maladroites
- Techniquement léger
- Un peu trop linéaire
Plus vivant, plus prenant et plus immersif que son prédécesseur, Sherlock Holmes : The Devil's Daughter a tous les atouts pour convaincre les passionnés d'enquête. S'il donne l'impression d'être un peu fourre-tout, sa narration maîtrisée, ses moments de tension et ses personnages n'ont aucun mal à captiver le joueur, même si cela se fait au travers de séquences parfois moins réussies. Il offre également une variété de tous les instants, une direction artistique cohérente et des phases de jeu étonnantes. On regrette que certains choix n'aient pas plus d'impact et que le gameplay soit trop souvent guidé par des aides contextuelles mais Frogwares dispose d'une base très solide pour faire encore mieux la prochaine fois. Élémentaire, mon cher Watson !