N'en déplaise aux grands rêveurs, voyager dans le temps reste aujourd'hui la chasse gardée des personnages de films, séries, romans et jeux vidéo favoris. Le concept a toujours su alimenter les fantasmes des plumes inspirées, jamais avares en retournement de situation jouant sur les différentes lignes temporelles d'un récit. S'il n'était qu'un mécanisme de jeu dans Max Payne, celui-ci est de nouveau mis à profit par le studio Remedy au sein de Quantum Break, dans lequel il occupe même le rôle principal suite à une mauvaise expérience rapprochant l'humanité de la fin du temps. Profitons donc des quelques minutes qui nous restent pour vous livrer nos impressions finales sur une aventure originale.
Toujours amoureux de la narration léchée et doté d'un certain goût pour la mise en scène, le studio finlandais s'est offert un casting de choix pour sa dernière production : Aiden Gillen (Game of Thrones), Shawn Ashmore (X-Men, Fringe), Dominic Monaghan (LOST, Le Seigneur des Anneaux) ou encore Lance Reddick (The Wire) pour ne citer que les têtes d'affiches. Une fine équipe qui devrait parler aux amateurs de The Wire, LOST ou Fringe, qui ont tôt ou tard compté - ne serait-ce que temporairement - une grande partie des ces acteurs au sein de leur équipe. Ceux-ci prêtent leur jeu d'acteur - capture de mouvements et voix à la clé - à leur alter ego virtuel mais également à la série, bien réelle cette fois et qui vient se mêler directement au jeu.
Cross media, "Crosse ambition"
Le soft est divisé en 5 actes, tous ponctués - à l'exception du dernier, vous comprendrez rapidement pourquoi - d'un junction point ainsi que d'un des 4 épisodes de la série. Le junction point vous place systématiquement en face d'un choix crucial qui aura des répercussions sur certaines séquences du scénario mais également sur la série elle-même, dont plusieurs passages peuvent être modifiés en fonction de vos décisions passées. Remedy use toutefois ici des subterfuges classiques du genre pour que vos choix soient principalement visibles à court terme mais ne bouleversent pas la trame principale. L'ensemble reste toutefois plaisant à parcourir et démontre du soin apporté à la création de l'univers, dont les journaux audios, écrits ou vidéos éparpillés dans les zones de jeu peuvent même changer en fonction de vos décisions passées.
Ces documents figurent parmi les nombreux "collectibles" de l'aventure, qui permettent d'en savoir davantage sur les dessous de Monarch et de gonfler le background d'une histoire mixant complots, voyages dans le temps et affaires de famille. Sans vous gâcher le plaisir de la découverte, on se contentera donc de rappeller le pitch de base qui vous place aux commandes de Jack Joyce, un bourlingueur éloigné de Riverport -ville fictive de la côte est des Etats-Unis - et qui va revenir en ville après qu'un ami proche lui ai demandé de l'aide. Cet ami n'est autre que Paul Serene, investisseur réputé qui entend bien vous solliciter pour essayer sa dernière trouvaille. Après un enchaînement d'évènements qu'on vous laissera le plaisir de découvrir de vos propres yeux, la dimension temporelle telle que nous la connaissons va être fracturée, provoquant à intervalles réguliers des coupures du temps. En marge de cette donnée déjà plus qu'handicapante pour l'humanité, votre héros va se découvrir une série de pouvoirs dont il va tirer profit en vue de "réparer le temps". Sur sa route se dressera Monarch, une puissante organisation disposant de la technologie et du savoir-faire pour contrer cette menace, mais qui va curieusement choisir de s'orienter sur une voie opposée à celle de Jack.
Les 10 premières minutes de Quantum Break
Soyons honnête, le scénario de Quantum Break ne brille pas par son originalité et réutilise nombre de mécaniques typiques du genre, boucles temporelles et rebondissements multiples par exemple. Il se distingue surtout par un rythme maîtrisé, démarrant sur une séquence pleine de punch à la mise en scène impeccable et proposant un dernier tiers empreint de dynamisme. Entre les deux, l'aventure parvient à alterner entre temps morts et action frénétique sans jamais se perdre en cours de route ni nous ennuyer, signe d'une narration qui parvient à nous garder éveillé jusqu'au bout de l'aventure... et une jolie fin ouverte nous préparant à d'éventuels DLC ou une suite directe. Un brin frustrant, bien que le modèle adopté s'y prête, en toute logique. Comptez une petite dizaine d'heures minimum pour voir le bout de l'histoire, 5 à 6 de plus si vous souhaitez récupérer l'intégralité des documents et viser le 100%. Et si le total ici mentionné vous semble un peu juste, n'hésitez pas à monter d'un cran la difficulté, le soft proposant de base un challenge déjà convaincant. Nous y reviendrons.
On pouvait légitimement craindre l'intégration d'une série au coeur du jeu si l'on se basait sur les précédentes tentatives cross media de notre loisir favori. Le résultat est ici convaincant à plus d'un titre : d'une part parce qu'il est tout à fait possible de sauter les épisodes sans être perdu dans le scénario principal, d'autre part parce que les situations abordent le point de vue d'autres personnages et permettent donc de creuser un autre arc narratif enrichissant l'univers du jeu, enfin parce que la présence d'acteurs de renom et le doublage français plutôt convaincant assurent un niveau de qualité minimum. On pourra tout de même regretter une réalisation manquant foncièrement de personnalité et quelques séquences un brin cliché qui restent heureusement suffisamment rares pour ne pas ternir un tableau d'ensemble convaincant. Nous sommes loin des standards d'une série HBO, mais pour une production intégrée au sein d'un jeu vidéo et proposant 4 épisodes d'environ 25 minutes, l'expérience vaut le détour et mérite d'être renouvelée. Un bon point pour la fraîcheur de l'idée et son intégration au sein du soft, des encouragements pour la réalisation globale.
Précision d'importance : les épisodes de la série étant streamés durant votre partie, les connexions un peu faiblardes devront s'orienter vers le téléchargement de celles-ci sur leur console, représentant -tout de même - 75 Go de données puisque le pack comprend les différentes versions des épisodes concernés.
Quand on me braque...
Nous évoquions un peu plus haut les pouvoirs temporels dont dispose Jack Joyce pendant son aventure. Après quelques séquences plutôt axées sur les gunfights, vous récupérerez l'intégralité des pouvoirs assez rapidement. Si l'on fait exception des rares séquences ou vous utiliserez ces compétences sur des éléments de l'environnement, la majeure partie du temps, c'est en combat que vous pourrez jongler à loisir entre ces pouvoirs. La vision temporelle permet de repérer les éléments dignes d'intérêt et équivaut donc aux autres types de vues améliorées déjà apercues dans des softs concurrents, l'arrêt temporel permet de bloquer le temps dans une zone prenant la forme d'une bulle géante, l'esquive temporelle de déplacer rapidement votre personnage à courte distance façon "inFamous" et le bouclier temporel de créer un bouclier d'énergie autour de celui-ci. En bonus, vous pourrez également accélérer les déplacements de votre personnage pendant un temps limité ou même créer une bulle d'énergie temporelle sur un point précis, qui provoquera une explosion figeant vos adversaires dans les airs pour un résultat visuel réussi. Bien évidemment, tous ces pouvoirs disposent d'un temps de régénération minimum et peuvent être améliorés sur 3 paliers chacun, via l'utilisation de sources de chronons à trouver dans les lieux explorés au cours de l'aventure.
Un extrait de combats avec les pouvoirs temporels
La complémentarité des différents pouvoirs ne devient évidente qu'autour de la moitié de l'aventure, moment ou vous serez confronté aux premiers gunfights retors qui vous obligeront à délaisser plus souvent les mécaniques des fusillades classiques pour jongler avec les pouvoirs à votre disposition. Ces pouvoirs sont également sublimés par quelques bonnes idées concernant les ennemis. Exemple : ceux non-équipés de harnais à chronon ne peuvent se déplacer ou même être touchés lors d'une fracture temporelle. Ainsi, vous pourrez être de nouveau pris à revers par un de ces ennemis dès lors que le temps reprendra son cours. Dans le même ordre d'idées, des affrontements contre des adversaires plus coriaces sont au programme, ainsi qu'un véritable combat final plutôt corsé et rapidement punitif. Sans doute un peu trop d'ailleurs, à cause d'un mélange d'effets visuels qui rendent l'action brouillonne et peuvent nous amener à adopter un mauvais timing s'avérant bien souvent fatal. Dommage, surtout que la progression s'avère globalement bien pensée en terme de difficulté, exception faite d'un ou deux pics qui rappellent aux joueurs que Remedy tient toujours à proposer une difficulté "à l'ancienne".
Le soft aurait toutefois gagné à être peaufiné dans sa jouabilité de TPS pur, en témoignent ces nombreux placements hasardeux dus à un mode de couverture automatique : outre un Jack parfois trop lent pour se cacher, on notera ainsi pêle-mêle l'impossibilité de se mettre à couvert contre un mur, une couverture qui lâche sans qu'on sache trop pourquoi mais aussi l'absence de fonctions qui auraient pu être utiles comme jouer à saute-moutons avec les obstacles au lieu de simplement grimper bêtement dessus avant de devoir se laisser retomber de l'autre côté.
Bon pour les yeux, pas pour le processeur
Dernière étape habituelle d'une majorité des tests de l'auteur de ces lignes, le point technique et artistique est ici particulièrement convaincant à plus d'un titre... Mais aussi agaçant par moments. On ne peut tout d'abord que saluer les efforts de modélisation des personnages et de leurs expressions, qui en dehors d'une synchronisation labiale un peu hésitante sur les premières heures ne souffrent d'aucun défaut. Les éclairages particulièrement réussis contribuent même parfois à donner un aspect quasiment photoréaliste à certains plans du jeu, signe d'une qualité technique bluffante sur ce point. Le "mais" se trouve donc, malheureusement, dans la gourmandise peut être trop forte d'un titre qui semble parfois mettre votre machine à genoux : sans gâcher l'expérience, quelques ralentissements, micro-freezes ou même un soupçon de clipping peuvent se pointer sans prévenir, un résultat qui fait quand même un peu tâche pour un titre à la construction linéaire. On mettra également un carton rouge aux temps de chargement dépassant parfois la minute et souvent accompagnés de checkpoints au placement aléatoire, tout en restant mesuré sur ces points puisqu'ils devraient être en partie corrigés avec le patch day-one, pas encore disponible au cours de notre test. Enfin, l'ambiance sonore est particulièrement bien pensée et s'adapte aux variations du temps, donnant l'impression de saturer lors d'une coupure temporelle ou de changer de rythme en fonction de l'utilisation de vos pouvoirs : le résultat est immersif et témoigne une nouvelle fois de la volonté du studio de créer une ambiance baignant dans les voyages temporels.
Points forts
- Visuellement superbe
- Narration et écriture soignée...
- Une série facultative agréable...
- Ambiance sonore bien pensée
- Complémentarité des pouvoirs temporels
- Casting de choix
Points faibles
- Système de couverture perfectible
- ... malgré un scénario trop convenu
- ... mais dotée d'une réalisation sommaire
- Un brin de clipping, quelques ralentissements, temps de chargements indécents : vivement le patch
Il aura mis longtemps à pleinement nous convaincre, mais Quantum Break confirme avec cette version finale les bonnes impressions qu'il nous avait laissé lors des dernières sessions en sa compagnie. Doté d'un casting copieux, de mécanismes temporels bien intégrés et d'une narration soignée, l'aventure de Jack Joyce et ses compères pêche toutefois dans la finition, ce que ne contrediront pas sa dimension shooter imprécise, ses quelques soucis techniques ainsi qu'un léger manque d'audace sur le fond, heureusement contrebalancé par une forme mêlant habilement série et jeu vidéo. Si vous avez un goût prononcé pour les productions de Remedy, toujours teintées d'un soupçon de gameplay à l'ancienne pour accompagner une pièce narrative de choix, Quantum Break saura parler à votre coeur de joueur.