Impossible de parler de The Witness sans évoquer son concepteur Jonathan Blow, designer de génie responsable du très solide Braid qui, sorti en 2008, a envoûté plus d'un joueur. Nécessairement attendu au tournant, Blow s'est employé la même année à concevoir The Witness, jeu d'exploration et de puzzles qui vient de voir le jour sur PlayStation 4 et PC. Décortiquons donc ce titre assez unique en son genre.
Compte tenu de la nature du jeu, s'il ne sera pas difficile de parler de The Witness sans vous spoiler outre mesure, le montrer vous conduira inévitablement à être en présence de la résolution de certaines énigmes. Nous nous efforcerons toutefois de ne dévoiler que celles qui font partie du début de l'aventure.
Nous n'allons pas nous mentir, chers lecteurs et chères lectrices, « sens aïgu de la déduction » et « implacable logique » ne sont pas des mentions que votre serviteur pourrait apposer les yeux fermés sur son CV, et pourtant, paradoxalement, il s'est laissé tenter par l'expérience The Witness, qui mettra les nerfs et les neurones de chacun d'entre-vous à contribution dans un environnement qui a des allures d'invitation permanente à la capture d'écran.
Un level design exemplaire
Avant de se plonger dans les entrailles de The Witness, attardons nous un instant sur sa forme, qui témoigne à elle seule d'un souci permanent du détail et de la cohérence. Si vous avez suivi un tant soit peu l'évolution du jeu, vous saurez que The Witness vous place sur une île qu'il vous appartiendra d'explorer à votre gré. Au delà de sa direction artistique de haute volée, polygonale certes, mais terriblement inspirée et envoûtante avec ses couleurs vives, c'est essentiellement l'architecture de l'endroit qui laisse pantois. The Witness compense largement ses dimensions modestes par une densité hallucinante et une variété d'environnements que l'on ne soupçonne pas de prime abord. C'est bien simple, en vous contentant de vous balader avec un œil un brin observateur, vous apercevrez régulièrement des sentiers dérobés, des bunkers cachés et des chemins dissimulés. En les arpentant et sans vous en rendre compte, vous passerez d'une atmosphère à une autre : forêt aux couleurs automnales, désert aride, bord de plage, jungle de bambous ou cimes enneigées... la quantité de choses à voir et la cohésion générale de l'ensemble donne le vertige et force incontestablement le respect, en somme, n'ayons pas peur des mots, The Witness est un véritable bijou de level design, du genre que l'on ne voit que trop rarement dans l'industrie.
Dites bonjour à votre matière grise, c'est l'heure des retrouvailles
Exploration et puzzles. Voilà en substance l'essence de The Witness. L'île du jeu est jonchée de panneaux qui répondent tous à un principe de base très simple : emmener un faisceau lumineux de son point de départ vers sa sortie, en suivant un chemin labyrinthique. Les premiers instants du jeu ne sont pas spécialement palpitants et passé l’émerveillement du level design et de la qualité des graphismes, il nous a semblé que The Witness n'était qu'un « vulgaire » recueil de puzzle incohérents entre-eux, qui laissaient à la discrétion du joueur le soin de comprendre la logique de développeurs un peu tordus. On comprend que résoudre un panneau active le fil électrique qui lui est relié, qui alimentera un nouveau puzzle, et qu'une suite d'énigmes habilement résolues permettra enfin de débloquer des « cubes jaunes », envoyant un laser bleu vers le point culminant de l'île. Premier indice concernant la manière de parvenir à avancer dans l'aventure : activer un maximum de lasers pour voir ce qui se trame derrière cette île figée dans le temps.
Si vous vous laissez aller à la tentation (très grande) de prendre vos petites guibolles et de partir à la découverte de cette île regorgeant de plans plus beaux les uns que les autres, vous ne parviendrez jamais à bout de The Witness. C'est avant tout la frustration qui anime le joueur, laissé seul face à lui même devant des panneaux qui semblent tous répondre à une logique qui lui échappe s'il a le malheur de ne pas les prendre dans l'ordre.
Déconstruit en apparence, inutilement compliqué et avare en informations de prime abord, The Wtiness doit s'apprivoiser. Il demande une implication active de la part du joueur, qui ne devra pas céder aux sirènes de l'open-world, ne pas se laisser tenter par la curiosité d'explorer dans tous les sens l'île qui lui est offerte. Sous ses airs de monde ouvert, The Witness est finalement construit de telle manière qu'il existera toujours un tutoriel expliquant les mécaniques des puzzles à résoudre. Il est assez simple de décrire ce jeu, finalement : une succession de puzzles élaborés sur le même principe mais qui profitent de multiples déclinaisons. Si la base exige de vous d'emmener un trait d'un point A à un point B, l'expérience vous montrera qu'il sera nécessaire de donner à votre tracé certaines formes, d'associer certains motifs pour en faire des paires, d'observer le décor environnant pour comprendre que le chemin le plus simple n'est pas nécessairement le meilleur. Il va de soit que la difficulté sera exponentielle, jusqu'aux derniers tableaux qui réuniront en un seul point la plupart des techniques que vous avez apprises au long de l'aventure. De longues heures d'arrachage de cheveux en perspective, vous pouvez nous croire sur parole.
Difficile, évidemment, de traduire sans trop vous en dire de toute la richesse qui anime les puzzles de The Witness. Ce qu'il faut savoir en revanche, c'est que le titre vous demandera une attention toute particulière et fera autant appel à votre logique qu'à votre sens de l'observation car dans ce titre, vous ne serez jamais pris par la main. Avant de résoudre un puzzle, il vous faudra avant tout comprendre la logique qui permettra d'en venir à bout. Si rien n'est expliqué, tout est suggéré et c'est pourquoi, une fois encore, il faudra vous impliquer activement dans The Witness, ne jamais confondre vitesse et précipitation afin d'assimiler les mécaniques des tableaux qui, si considérés individuellement sont presque enfantins, deviennent particulièrement retors une fois que leur résolution est basée sur l'ensemble des éléments dans un seul et même panneau.
C'est au bout de quelques heures à se torturer l'esprit que nous avons compris à quel point The Witness était intelligent. Pas nécessairement parce qu'il est difficile, pas forcément parce qu'il suggère plus qu'il ne montre, mais parce qu'il sait, à force de level design impeccable et de puzzles intelligents, confronter le joueur à sa propre patience, à sa propre capacité à accepter de lâcher la manette et penser voire repenser un puzzle qu'il n'arrive pas à résoudre. A trop insister sur une énigme, l'esprit se ferme et ne veut plus rien voir à tel point nous pourrions être tentés d'insister outre mesure, répétant un tracé que nous croyons être le bon mais que le jeu nous refuse. Il suffira alors de prendre une pause et de revenir un peu plus tard, l'esprit clair, pour que la résolution devienne évidente.
Il est plus que difficile de ne pas trouver admirable la construction de l'ensemble des puzzles qui, s'ils peuvent paraître compliqués au premier regard, deviennent limpide lorsque l'on prend le temps de relever le challenge intellectuel qu'ils proposent. Il faut ainsi observer attentivement, afin de savoir pourquoi ces énigmes sont dispersées de part et d'autre de l'île et bien au delà de la frustration qui peut naître lorsque l'on bute sur un puzzle, c'est le vrai sentiment de satisfaction que l'on retient une fois que l'on parvient à dompter une énigme particulièrement corsée.
Une narration embryonnaire
Côté scénario, autant le dire tout net : la narration n'est pas le principal élément fort de The Witness. Au sein de votre petite île se trouvent de nombreuses structures manifestement construites par l'Homme et de multiples statues d'hommes et de femmes dans des postures figées, laissant supposer qu'un événement dramatique est survenu, prenant de court les habitants de l'île. Quelques audiobooks sont dispersés ici et là et la plupart d'entre-eux contiennent des extraits de pensées de personnes célèbres. Il faudra là encore décortiquer The Witness et persévérer dans l'aventure pour en percer toutes les arcanes, même si en définitive, ce n'est pas cela que l'on retiendra du jeu.
Naturellement, la durée de vie de The Witness dépendra grandement de votre capacité de logique et de déduction, mais terminer le jeu à 100%, c'est à dire parvenir à résoudre les quelques 600 tableaux de l'île, devrait vous occuper largement 20 heures, voire davantage. Bien entendu, il faut savoir où vous mettez les pieds et si les jeux de logique ne sont pas votre tasse de thé, vous trouverez dans The Witness davantage une source d'agacement que de challenge cérébral. Si en revanche vous aimez mettre votre matière grise à contribution, vous ne pourrez qu'être séduits par cette île délicieusement mystérieuse et ses puzzles diaboliques. Un conseil pour finir, ne cédez pas à la tentation de regarder des solutions qui finiront bien par apparaître sur la toile, vous vous gâcheriez une bonne partie du plaisir.
L'île de The Witness survolée
Points forts
- Direction artistique maîtrisée
- Une vraie leçon de level design
- Des puzzles à foison, intelligents et retors
- Durée de vie solide, que vous soyez un monstre de logique ou non
Points faibles
- Narration discrète et un brin pompeuse
- Une difficulté qui peut finir par décourager
- Peut-être un peu cher
- Le côté "simple" recueil de puzzle ne plaira pas à tout le monde
The Witness ne s'adressera qu'à un public féru d'énigmes, patient et qui accepte d'être tenu en échec par un puzzle pour mieux apprécier le sentiment d'accomplissement qui naît de sa résolution. Avec sa direction artistique de haute volée, son level design exemplaire et l'intelligence de ses énigmes, The Witness témoigne d'un grand savoir faire de ses créateurs, dont le travail de réflexion et d'inventivité laisse admiratif : parvenir à décliner d'une manière originale le même principe de base est effectivement un vrai tour de force. Certes, la narration est réduite à sa plus simple expression (oubliez les comparaisons avec Myst), certes, The Witness peut largement rebuter par sa difficulté croissante et par son aspect "recueil de puzzles", mais The Witness est aussi un jeu qui se grignote, qui vous invite à faire une pause pour revenir relever le challenge un peu plus tard, les idées claires. Une bien belle expérience qui mettra grandement certains de vos sens à contribution.