La formidable rencontre entre stratégie et jeu de rôle

Commençons par évoquer ce que cette version Reforged ne vient pas vraiment bousculer, le gameplay. Warcraft 3 est un jeu de stratégie, il permet donc de prendre part à des affrontements opposant quatre factions bien distinctes, les orcs, les humains, les mort-vivants et les elfes. Toutes les composantes inhérentes au jeu de stratégie sont évidemment présentes, collecte de ressources, construction d’une base, création d’une armée, exploration de la carte… Mais à cette base solide vient s’ajouter le talent exceptionnel de Blizzard pour l’innovation. Chaque race possède ses spécificités et se manie d’une manière tout à fait particulière. Prenons par exemple la récolte de l’or et du bois, les deux ressources indispensables pour bâtir structures et unités. Chez les mort-vivants, il faut tout d’abord hanter une mine vierge avant de pouvoir en récolter le précieux métal, tandis que la collecte du bois est réservée aux goules, créatures abjectes faisant également office de fantassins. Les humains peuvent, eux, construire leurs bâtisses à plusieurs, gagnant ainsi un temps considérable dans le processus de développement de leur base. Quant aux elfes, ils deviennent invisibles lorsque la nuit tombe. Bref, il n’y a pas que les unités ou les bâtiments qui changent, chaque race est unique et requiert un apprentissage spécifique.

L’autre invention brillante de Warcraft 3 est le système de héros. À la chair à canon traditionnelle viennent s’ajouter des unités uniques, bien plus puissantes et armées de pouvoirs très utiles. Chez les humains, nous retrouvons par exemple le Paladin qui peut soigner ses alliés, améliorer leur défense ou encore, lorsqu’il utilise son sort ultime, les faire renaître. Chez les orcs, le Long-Voyant lance des sorts à distance, tandis que le Maître-Lame peut invoquer des illusions pouvant combattre à ses côtés. Mais cette idée largement inspirée par les jeux de rôle ne s’arrête pas là. Nos héros peuvent monter en niveau, améliorer leurs compétences et enfin, porter des objets passifs ou consommables. Pour les obtenir, il faut se rendre dans des boutiques gobelines ou combattre les camps de monstres disséminés un peu partout sur la carte. Une trouvaille merveilleuse qui ajoute une couche de gestion supplémentaire à chaque partie puisque votre sélection de héros (jusqu’à trois par partie) et leur bon développement influent largement sur votre efficacité en combat. Il serait évidemment difficile de résumer toute la richesse du gameplay de Warcraft 3 dans ce test, mais il est clair que la surcouche RPG imaginée par Blizzard en fait un STR tout à fait exceptionnel et à part. Au bureau des réclamations, nous noterons simplement un système de pathfinding parfois un peu capricieux, même si certains diront que les collisions entre unités font partie de l’expérience.

La naissance d’une mythologie

Le gameplay est donc là, il faut désormais l’exploiter. Pour ce faire Blizzard nous propose deux grands modes de jeu, le multijoueur, permettant des affrontements classiques face à d’autres utilisateurs, et la campagne. Divisée en neuf grands chapitres (le contenu Frozen Throne est bien présent), cette épopée fantastique nous permet de découvrir l’univers incroyablement riche de Warcraft à travers des dizaines de missions. Nous y découvrons le prince Arthas, paladin passionné et aveuglé par son envie de tuer le leader du Fléau, Mal’Ganis. Malgré son schéma narratif classique, inspiré par la fameuse théorie du monomythe, cette histoire s’avère, comme les autres, bien écrite et passionnante. La transformation progressive de notre héros est par ailleurs accompagnée par des cinématiques 3D qui, en dépit du poids de l’âge, restent d’une grande finesse. Quel choix étrange de la part de Blizzard. Pourquoi avoir recréé la cinématique d’introduction, mais pas le reste ?

Bien entendu, Arthas n’est pas le seul héros que nous découvrons dans cette longue campagne solo. Thrall, Tyrande, Maiev, Kael’thas, Sylvanas, Rexxar et tous leurs compagnons forment au fil des épisodes une mythologie extraordinaire dont se sont grassement abreuvés les scénaristes de World of Warcraft. Du point de vue du gameplay, cela se traduit par des missions consistant, par exemple, à éliminer une unité adverse, protéger un camp durant 30 minutes ou tout simplement, atteindre un point donné. Afin d’éviter de tomber dans un dirigisme lassant, les développeurs ont également eu la bonne idée d’inclure quelques quêtes secondaires offrant des récompenses aux joueurs les plus investis. Une autre composante inspirée par le jeu de rôle et, là encore, la greffe prend particulièrement bien. Vous l’aurez donc compris, tout comme le mode multijoueur, la campagne s’avère très réussie. Blizzard est parvenu à mettre au point des histoires passionnantes s’articulant autour de personnages charismatiques et superbement mis en scène.

Acheter ou ne pas acheter : telle est la question

Venons-en maintenant à la question qui brûle toutes les lèvres : faut-il acheter Warcraft 3 Reforged ? Question fort complexe qui plonge l’auteur de ces lignes dans un certain embarras. Car avant d’attribuer une quelconque note à ce soft, il convient d’en présenter le cruel dilemme – faut-il noter la qualité du remaster ou l’expérience dans son ensemble ? Il serait criminel de démolir un tel classique, alors même que cette version Reforged est désormais la seule proposée à la vente par Blizzard. D’un autre côté, l’expérience proposée n’est pas exempte de défauts, surtout en 2020. Nous allons donc pencher pour un entre-deux, une forme de compromis dont nous allons présenter les points importants.

Tout d’abord, quelles sont les promesses de ce remaster ? Warcraft 3 Reforged, c’est avant tout un moteur graphique actualisé, avec de nouveaux modèles 3D, des textures refaites et des scénettes entre les chapitres améliorées. Sur ce point, le travail est fait et il suffit de mettre côte à côte les deux versions pour s’en rendre compte. Bien loin des modèles "polygoneux" de l’expérience originale, ce remaster nous offre effectivement une nouvelle vision bien plus agréable d’Azeroth. Étrangement, le tout paraît pourtant assez inégal. Le moteur du jeu est vieillissant et les développeurs semblent avoir effectué des améliorations là où ils le pouvaient. Si le nombre de polygones par modèle est, par exemple, très actuel, les animations sont en revanche assez décevantes. Le rendu est donc bon, sans être exceptionnel. Surprise, on se retrouve pourtant face à de nombreux ralentissements avec une Geforce GTX 1080Ti, ce qui dénote bien d’un processus de modernisation difficile. Notons par ailleurs que certains utilisateurs se plaignent de bugs, problème que nous n'avons pas rencontré durant nos heures de jeu.

"Encore du travail ?"

Notons par ailleurs qu’il est possible de ressortir les bons vieux assets du soft original en se rendant dans les options. Un vrai bonheur pour les plus nostalgiques. Ces derniers seront cependant déçus d’apprendre que les voix françaises ont été réenregistrées, pour coller avec les nouvelles scénettes semble-t-il. Les "oui, monseigneur !" n’ont plus tout à fait le même goût, c’est sûr… Par contre, rien à dire du côté des parties personnalisées, les mods les plus improbables attirent déjà des centaines d’utilisateurs.

Mais les vrais lésés du projet Reforged sont les amateurs du multijoueur. Hormis quelques équilibrages, le gameplay est strictement identique, ce qui n’est pas un mal quand on s’attaque à un monument tel que Warcraft 3. En revanche, c’est du côté des fonctionnalités que ça coince. Pour l’heure, le multijoueur se résume à un écran vous permettant de sélectionner le type de partie que vous recherchez (1v1, 2v2, 3v3, 4v4 ou chacun pour soi) et… C’est tout ! Où est passé le système de ladder ? Les fonctionnalités du Battle.net d’antan sont à des années-lumière de l’interface sommaire qui nous est proposée aujourd’hui. C’est donc là le gros point négatif, un remaster n’est pas censé réduire les possibilités de l’original.