A l’occasion de la gamescom 2019, nous avions pu prendre en main Still There, l’aventure narrative issue du studio italien de GhostShark. A l’instar des titres What Remains, Edith Finch, Tacoma ou Firewatch, la vingtaine de minutes passée aux commandes du jeu laissait entendre que les développeurs avaient conçu un jeu dans la même veine, en termes de genre ou d'approche scénaristique. Mais qu’en est-il réellement après plusieurs heures passées dans le huis-clos spatial en point and click imaginé par GhostShark ? Still There parvient-il à convaincre ?
Nos premières impressions sur Still There lors de la gamescom
Les débuts dans Still There montrent que si l’environnement choisi par les développeurs est fort différent de celui de Firewatch, les inspirations scénaristiques s’en rapprochent. Karl, le personnage que nous incarnons, est un homme qui gère un phare spatial, avec pour seule compagnie une Intelligence Artificielle à la forte personnalité nommée Gorky. Le duo a pour mission d’accomplir une liste de tâches quotidiennes, installé dans une routine qui va se voir perturbée par des évènements extérieurs, mais aussi par un panel de soucis techniques revêtant des degrés d’urgence et de gravité différents.
GORKY, L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE A LA VERVE... POÉTIQUE
Dans un premier temps, la narration passe par les échanges savoureux - sous forme de réponses à choix multiples - qui ont lieu entre notre protagoniste et l’IA, donnant lieu à une joute verbale à l’écriture fleurie, qui utilise un vocabulaire familier. En découle une certaine décontraction dans le propos, renforcée par des éléments du décor ayant une connotation sexuelle assumée. Nous pouvons ainsi croiser, entre autres, un poster suggestif épinglé sur la porte du réfrigérateur, une poubelle de recyclage à la forme phallique, ou encore lire quelques allusions à des contenus pornographiques. Cela va cependant se limiter à ces éléments, qui ne sont pas représentatifs du design général ou du contenu des conversations. L’ensemble de la direction artistique et la manière dont sont conçues les bulles de dialogue sont assez similaires à ce qu'on peut trouver dans une bande dessinée. Les plans fixes sur lesquels apparaissent et disparaissent les échanges entre les différents personnages du casting renforcent cette impression et collent totalement à l’ambiance recherchée. Quant à la bande son, elle est des plus agréables, que ce soit dans les effets sonores ou les musiques bien choisies qui ne provoquent aucune lassitude.
UN PROTAGONISTE TOURMENTÉ
Mais la narration passe également par les pensées de Karl, dont l’histoire personnelle est marquée par la perte de sa fille, 20 ans auparavant. Il existe un contraste saisissant entre la légèreté et l’humour qui accompagnent l’expérience, opposés au sérieux et à l’aspect dramatique qui se développe au fil du temps. En effet, notre gardien de phare rumine cette disparition, qui va faire partie intégrante du déploiement de l’histoire, même si tout au long des six journées qui composent la structure du gameplay, ce sont les tâches à réaliser qui vont nous occuper la majeure partie du temps. Les dialogues et états d’âme du personnage s’intègrent à la vie quotidienne et donnent le rythme à une partition qui alterne entre décontraction et séquences au ton plus grave. Concernant la question du rythme, notez qu’il a été ponctuellement rompu par un bug : l’écran s’est figé et il n’était plus possible de réaliser aucune action, phénomène rendant nécessaire un redémarrage du jeu. Cet inconvénient a cependant été extrêmement rare et concentré sur la première heure de jeu, il ne s’est pas reproduit ultérieurement.
Tout, ou presque, ce que nous sommes amenés à faire se situe dans la capsule qui sert de lieu de vie au protagoniste, dans un environnement 2D à défilement horizontal. Le déplacement peut se faire vers la droite ou vers la gauche, sachant que scroller dans un sens ou l’autre finit par nous faire revenir à notre point de départ, pour une impression de huis-clos qui se voit ainsi décuplée. Même s’il existe des séquences en extérieur, elles restent anecdotiques au regard de l’ensemble des propositions du titre et donnent la même sensation de confinement qu'à l’intérieur du phare. Le gameplay consiste principalement à résoudre des énigmes, des puzzles, ou à associer différents objets, le tout afin de remplir les objectifs du jour. Tous les éléments utiles à l’activité en cours sont à prendre et à positionner sur l’espace dédié, une large tablette qui va nous suivre lors des déplacements à travers les zones du phare. Cette interface s’avère bien conçue, la marche à suivre pour saisir les objets, les associer et les utiliser est simple et intuitive. Le système est simple, assez proche des grands classiques du point’n click et convient parfaitement au contexte du jeu. Il n’est par ailleurs pas sans faire penser aux titres du studio Artifex Mundi, tels que Dreamwalker : Never Fall Asleep ou My Brother Rabbit. Le panel d’activités est varié, allant de la simple réalisation de café en combinant les éléments demandés, au recyclage de l’urine du protagoniste afin d’en faire de l’eau potable, en passant par des énigmes plus ardues qui consistent, entre autres, à placer des composants au bon endroit pour réaliser un circuit, ou parvenir à synchroniser des flux afin de pouvoir jouer un court morceau de musique.
Lors de la première séquence qui nous demande de jouer une musique précise dans le cadre d'une énigme, un bug spécifique à la version Steam empêche l’icône qui indique une erreur de note d’apparaître. Les développeurs précisent que ce bug est absent de la version Nintendo Switch et durant notre partie sur PC, il n'a pas eu d'incidence sur le bon déroulement du jeu.
DES ÉNIGMES CORSÉES
Globalement, Still There demande une bonne dose de réflexion et de logique. Le titre s’adresse aux habitués du genre, et les indications qui peuvent être données par Gorky, ainsi que la présence d’un manuel technique à consulter - sans lequel il est d’ailleurs impossible d’avoir les éléments indispensables à la résolution de certaines énigmes - ne vont pas toujours être suffisantes pour appréhender sans mal ce qui est attendu. Certaines énigmes peuvent être de véritables casse-têtes, demandent de connaître les rouages de ce type de point and click et peuvent malgré tout donner l’impression d’être face à une question tout droit sortie d’un test de logique des plus ardus. Attribuons une mention spéciale à l’enchaînement de manipulations spécifiques à réaliser le quatrième jour, qui peut particulièrement mettre en difficulté, même les plus chevronnés d'entre nous. Notez que certaines énigmes sont proposées en version simplifiée, mais uniquement certaines, une généralisation du procédé aurait pu être la bienvenue afin de rendre l’ensemble plus accessible.
Nous avons évoqué des évènements extérieurs qui vont venir bousculer la routine, le premier d’entre eux est un appel de détresse qui sera le point départ d’une suite d’éléments de dialogue cruciaux dans le développement de la trame scénaristique. Sur ce point, Still There tombe juste car, même si arrivés à mi-parcours, il est possible de pressentir où les développeurs veulent nous emmener, la manière de le faire réserve une dose de surprise et d’inattendu. De la même manière, GhostShark a su intégrer des évènements qui viennent bousculer la manière d’aborder les tâches routinières. Il est possible de citer la recherche de l’étoile la plus radioactive d’une constellation via un appareil, outil qui va rapidement dysfonctionner et demander de trouver une alternative afin de mener à bien la mission. Ainsi, les quelques heures nécessaires pour connaître le dénouement de l’histoire de Karl laissent peu de place à la redondance des mécaniques qui peut être présente dans un point and click à la forme classique. Quant au fond, compte tenu des éléments qui le composent, il s'adresse plus spécifiquement à un public adulte.
Points forts
- La narration qui s'intègre intelligemment au gameplay
- Pas de sensation de redondance
- Une trame scénaristique qui réserve son lot de surprises
- La traduction française de qualité
- Les dialogues réjouissants
Points faibles
- La difficulté de certaines énigmes
- Un manque d'équilibre entre les différentes phases de jeu
- Une durée de vie qui tient essentiellement au temps de résolution des casse-têtes
Le huis clos spatial de l’équipe de GhostShark est-il convaincant ? Sans conteste oui. Le studio marque l’essai en confirmant le potentiel pressenti lors de la gamescom. Il réussit à maintenir l’intérêt jusqu’à l’issue de l’aventure, par le biais d’une narration qui s'intègre parfaitement au gameplay et d’éléments qui renouvellent la manière de réaliser les tâches routinières du jeu. Par ailleurs, si l’objectif narratif peut se pressentir, Still There n’en est pas moins surprenant, notamment grâce à un scénario qui propose des évènements inattendus. En outre, le titre parvient à marier légèreté, moments dramatiques et thèmes plus profonds sans faire d’erreur majeure, en dehors de cet aspect grivois qui peut être considéré comme une faute de goût dispensable, tout en ayant le mérite de souligner plus encore le contraste entre les deux ambiances qui imprègnent le titre. On regrettera cependant un degré de difficulté qui risque de décourager une partie des amateurs de point and click accessibles, ainsi que des séquences d’énigmes et de vie quotidienne chronophages au regard de la durée de vie du titre.