Suite aux classiques Runaway, à l’atypique The Next BIG Thing et aux surprenants 'Yesterday et Yesterday Origins, la collaboration entre le studio Pendulo et Dargaud promettait un nouveau projet singulier. Spécialiste du point and click sur PC, le studio est, d’autant plus, encore jeune dans le développement multiplateforme. Et voici que se retrouve entre leurs mains le détective charmant et cynique de l’œuvre Blacksad. Que vaut l’adaptation du polar noir de Guarnido et Juan Díaz Canales, dans l’imaginaire fantasque et empli d’humour de Pendulo Studios ?
Dans la pénombre d’un club de boxe, un cri strident vient percer le silence de la nuit ; là-haut, pendu à une corde, le cadavre de Joe Dunn, le propriétaire, surplombe les lieux. Le même jour, Rober Yale, vedette montante et régulier du gymnase, disparait. Joe Blacksad, détective privé, est engagé par la fille du défunt, Sonia Dunn, pour enquêter sur l’affaire. Au cœur des tréfonds et des sous-sols lugubres de New-York, Blacksad sera confronté aux pires immoralités. Pendulo conjugue le récit de Guarnido et Juan Díaz Canales avec l’écriture singulière qu’on lui reconnaît ; Under The Skin est une œuvre originale dotée de personnages charmants, mais gâchée par des défauts techniques, particulièrement frustrants.
Bug à Sin city
Pendulo s’est attaché à retranscrire avec attention l’ambiance de film noir illustrée dans l’œuvre originale. Dans le New-York des années 50, nid de vices et de névroses, Blacksad, détective désabusé, porte un regard cynique sur le monde. Sur fond de meurtre, haine raciale et corruption, il parcourt des paysages urbains entre l’ombre et la lumière. Tant d’éléments scénaristiques et visuels qui rendent joliment hommage au courant cinématographique.
L’attention est rendue explicite ; Suite à un face-à-face tendu avec un chef de la pègre, Blacksad soupire entre les couloirs étroits d’une ruelle sombre : « J’aurais souhaité être un auteur de romans noirs. À ce moment précis, je pourrais écrire quelques observations pertinentes et ironiques pour que le narrateur raconte ce que je viens de vivre : « Les ruelles sombres et tortueuses de New-York m’évoquaient mes états d’âme… » ».
Les décors, peu nombreux et plus sommaires, auront un effet moindre. Mais là n’est pas le défaut majeur de Blacksad : Under the Skin : le titre souffre d’une variété de bugs et défauts techniques, visuels, d’animation, ou de collision. Il nous sera parfois impossible de pénétrer une pièce normalement accessible ou de sélectionner une ligne de dialogue. Les images seront également susceptibles de perdre leurs couleurs, les animations de ne pas se déclencher, ou votre vue aiguisée de chat de ne devenir qu’un voile gris brumeux. Tant de regrettables tâches qui viennent ternir un polar pourtant convaincant dans le fond.
Mensonges et trahisons
Portés par les dialogues mélancoliques du chat noir et des mélodies d’un jazz enivrant, nous croisons le chemin d’atypiques et d’archétypes. Si le studio Pendulo s’était déjà splendidement illustré dans l’écriture de ses personnages - citons The Next BIG Thing notamment -, ceux de Blacksad ne sont pas en reste. Les fidèles de l’œuvre originale reconnaîtront déjà certains visages : notamment Smirnov, berger allemand et commissaire de police intègre, et Weekly, petite fouine journaliste un peu trop curieuse.
Ne vous méprenez pas, les personnages de Blacksad ne sont pas réellement des animaux. Guarnido et Juan Díaz Canales ont créé des humains aux traits animaliers, de manière à refléter leur nature sur leur face, ou celle qu’on leur accorde. Pourquoi les reptiles nous inspirent-ils si peu confiance ?, s’interroge Blacksad ; « Le vrai problème, c’est que nous croyons dur comme fer qu’il existe une explication logique à ce manque de confiance ». La confiance sera d’ailleurs une thématique centrale de notre aventure, mise à rude épreuve. Les mensonges des uns et les non-dits des autres viendront habilement brouiller nos déductions.
Une enquête qui tourne un peu en rond
Aussi plaisants soient les personnages que nous rencontrons (leur modélisation l’étant parfois un peu moins), les multiples allers-retours que nous devrons effectuer pour les rencontrer seront souvent excessifs. Sur une dizaine d’heures d’enquête, vous en investirez la première partie à vous rendre du club de boxe à Sam’s Dinner, encore en encore ; Cela, dans le but d'interroger les mêmes suspects, de révélation en révélation. Aussi faudra t-il s’habituer aux déplacements pénibles de Blacksad et à la caméra capricieuse qui le suit.
La suite de l’aventure se détachera de l’exploration pour vous faire voyager à travers les cinématiques de nouveaux lieux ; l’accent est mis sur des phases de QTE, alors que les combats s’accumulent. Entre missions d’infiltration et investigation, la seconde moitié du récit saura tout de même relever le rythme superfétatoire des débuts. De même, les quêtes secondaires, entre Sam le bulldog enragé, le bouc sans-abri unijambiste ou le taureau texan stéréotypé animeront avec gaieté un récit sombre.
Notre enquête sera assistée par les sens félins de Blacksad. Lorsque nous discutons avec un nouveau personnage, nous pouvons par l’ouïe, la vue et l’odorat, détecter des comportements anormaux. Une mécanique de recherche plaisante - quand elle ne souffre pas de bugs d’affichage - qui se conjuguera aisément avec une seconde phase du jeu : celle de la déduction. Ainsi vos observations, découvertes et autres indices vous permettront de coupler plusieurs hypothèses afin de tirer des conclusions et d’avancer de manière assez fluide dans l’affaire.
Un chat retombe toujours sur ses pattes
L’objectif de notre récit étant la résolution d’une enquête, les choix que nous effectuerons en tant que détective n’auront que peu d’influence sur le déroulement de l’affaire ; nos relations, la confiance que les gens nous accordent et notre éthique, en revanche, se verront évoluer. Depuis le menu, nous pouvons ainsi accéder à « Votre Blacksad », offrant une vue globale sur nos traits de personnalité. Certaines décisions nous rendront plus intègre que pragmatique, plus prudent que résolu ou encore plus preste que lourdaud. Plutôt que les habituelles rétrospectives sur nos précédentes décisions, Pendulo parvient à proposer une alternative plus singulière qui aurait pu être plus largement exploitée encore. Libre à nous, donc, de nous laisser aller à la corruption, trahison, paris illégaux et autres travers moraux.
Mais concernant la plupart de nos affrontements, notre libre-arbitre ne sera parfois qu’illusion ; graduellement, les confrontations, verbales ou brutales, deviendront de plus en plus punitives. Certaines conversations ne pouvant s’achever que sur les bonnes réponses, et certains combats ne se résolvant que par la victoire. Chaque faux pas nous valant la mort, nous serons ainsi invités à sans cesse retenter notre chance. Finalement, seule notre éthique est en jeu. Une mécanique, qui dénature par moment l’essence du jeu narratif à choix multiples.
Points forts
- Une adaptation fidèle de la bande dessinée
- Un scénario original globalement convaincant
- Le travail sonore, de la musique jazz à la voix de Blacksad
- L’écriture des personnages, certains plus attachants que d’autres
- L’analyse, les déductions, des mécaniques d’enquête assez bien pensées
Points faibles
- Une étonnante palette de défauts techniques et de bugs
- Des allers-retours bien trop répétitifs en première partie de jeu
- L’illusion du choix, très fréquente
Quel dommage que les innombrables défauts techniques viennent ternir l’adaptation pourtant fidèle du polar noir qu’est Blacksad. Des déplacements largement perfectibles, une caméra parfois pénible accompagnée de va-et-vient lassant s’ajoutent à la frustration. Dommage quand on constate que, dans le fond, Pendulo proposait un univers peuplé de personnages attachants aux répliques parfois drôles et cinglantes. Blacksad nous transporte de sa voix narratrice cynique dans le décor sombre et sans tabou des années 50 new-yorkaises. Un récit cru et un univers singulier doté de quelques bonnes idées devront nous contenter.