Trois ans se sont écoulés depuis le poétique Oxenfree, né de l’imaginaire de Night School Studio. Le temps de donner vie à un nouveau projet, au propos plus singulier, mais au concept similaire. Dans les antres de l’enfer, Afterparty nous propose une quête déjantée aux côtés de Milo et Lola, deux meilleurs amis fraîchement morts. Pour rejoindre le monde des vivants, ils devront défier le diable en personne à un jeu de boisson. Peinture burlesque des limbes, le titre illustre une fête éternelle où démons et humains cohabitent dans l'alcool et dans la joie. Vaut-elle le détour ?
Bande-annonce d'Afterparty
Si la soirée à laquelle Milo et Lola étaient conviés était d'un ennui mortel, rien ne les préparait pourtant à la tournure funeste qu’elle prendrait. Arrachés des moqueries mesquines de leurs camarades de classe, les deux amis se retrouvent soudainement projetés dans les profondeurs des enfers. La petite fête n’était qu’une sombre mascarade, un cadeau de bienvenue pour le royaume de Satan. Comment sont-ils morts, et pourquoi n’ont-ils pas droit au Paradis ? Nul ne daigne leur répondre. Ici-bas, la fête bat son plein au cours d'une nuit éternelle. Pour échapper au châtiment, une solution leur est suggérée : celui qui parvient à ingérer plus d’alcool que le Diable lui-même lui vaudra l’exil du monde des morts (“Outparty the prince of party”). Pas de temps à perdre, Milo et Lola comptent bien relever le défi qu’on leur propose.
En enfer, la fête est plus folle
Dans sa direction artistique, Afterparty est un voyage délicieusement déroutant conduit par une attention minutieuse. Difficile de ne pas apprécier la beauté des bâtisses infernales des night-clubs, le sublime camaïeu de rouge qui les habille, ou la variété de personnages non-jouables qui les fréquentent. Night School Studio choisit de mettre l’emphase sur l’univers visuel et sonore. Ne souhaitant pas se contraindre à la linéarité de l’exploration 2D, il joue sur les cadrages et perspectives. Le tout, dans une mise en scène joliment orchestrée. Une richesse environnante qui parviendra à combler le manque d'expressions faciales regrettable de Milo et Lola.
Les rencontres avec les habitants, humains comme démons, rythmeront notre exploration d’échanges profonds ou superflus sur la vie et la mort. Notre nouvelle amie, Sam, démone et chauffeuse de taxi, nous servira de guide entre les différentes zones du royaume. C’est elle qui nous conseillera pour notre défi final contre celui que l’on appelle également Belzébuth ou “Morningstar” (en français, “étoile du matin”). Nous croiserons également les chemins d’Asmodeus et Apollyon, membres de la fratrie du Diable. Chacun témoigne d’une situation familière sous tension. Parfois drôles, puis d'autres fois un peu moins en cherchant à trop l'être, les dialogues - uniquement en anglais - soulignent parfois quelques excès et longueurs ; mais les personnages extravagants qui composent le récit témoignent d’une écriture qui parvient à les démarquer. Nous retiendrons volontiers cette exclamation d'un fêtard s’adressant avec décontraction à Satan : “Hey, mais c’est mon gars ! T’as l’air en forme, t’as perdu du poids ?”.
King of the party
Dans la même veine qu’Oxenfree, l’imposante narration d’Afterparty dominera des interactions plus sommaires. Pour obtenir votre ticket d’entrée à la soirée de Satan, vous devrez d’abord accomplir des quêtes dans tout le royaume. La route qui mène au duel de shots est semée d’embûches et de détours. Ainsi, votre patience sera mise à l'épreuve par quelques allers-retours répétitifs. Par des choix de dialogue, vous pourrez influencer à moindre ou demi-mesure le cours de votre quête. Allez-vous condamner le pauvre Roberto, accusé à tort, afin d’obtenir les faveurs d’Appollyon ? Dans tous les cas, vos actions seront systématiquement pointées du doigt par Wormhorn qui ne manquera pas d'ironiser sur vos décisions. Aussi serez-vous invité à boire toutes sortes de cocktails douteux afin de débloquer de nouveaux dialogues. Selon les effets de chacun, l’alcool vous rendra plus sociable, mais pas forcément plus convaincant. Cela aura toutefois le mérite de débloquer des répliques cocasses, parfois risibles.
Le titre pourra nous ravir par l’apparition progressive de features et possibilités plus ou moins convaincantes : vous aurez accès à une charmante carte du royaume des enfers, la homepage - plus anecdotique - d’un réseau social, ainsi qu’une galerie - là aussi, plus anecdotique - d’images. Aussi l’objectif de votre première mission, entrer chez Satan, se décline en deux options : offrir une margarita à la rockstar Lydia, ou aider le démon Fela à appréhender quelqu’un. Et puisqu’il est toujours question de fête : vous ne passerez pas à côté du traditionnel beer-pong ou d’une compétition de danse au cours de mini-jeux de rythme et d’adresse.
L'enfer, c'est les autres
Entre les premiers tracas administratifs et discussions de comptoir, nous prenons vite conscience que l’enfer a quelque chose d’humain. Milo et Lola rencontrent démons et anciens vivants avec qui ils entament diverses réflexions. Qu’on t-ils donc fait pour mériter l’enfer ? “Qu’est-ce que tu as fait pour mériter autre chose ?” leur répondra t-on. Au long de leur voyage, les cœurs s’ouvrent et les langues se délient, mettant à rude épreuve leur amitié. Si Afterparty amuse par sa représentation burlesque des limbes, il nous ébranle par le satyrisme acerbe de son discours.
Quand Sartre écrivait “l’enfer, c’est les autres”, il faisait référence à notre conscience vulnérable, sans cesse exposée au regard d’autrui ; un drame intérieur qui se reflète dans le propos d’Afterparty. Car l’enfer accueille avec beaucoup d’attention ses nouveaux occupants, Milo et Lola ont droit à un audit personnel. En résulte l’assignation de leur démon, Wormhorn, chargé de les torturer avec dévotion durant leur séjour. Celui-ci s’amusera à exposer aux yeux des autres les souffrances personnelles des héros. La pression familiale et sociale, les humiliations du passé, les regrets, des mal-êtres affichés sans leur consentement. La soif d’attention de Milo, l’asociabilité de Lola, des défauts soulignant une écriture réaliste dénuée de romance. L’enfer profite même de son propre réseau social, Biker, où tous déversent leur ressenti sur les autres.
Points forts
- La direction artistique sublime dans son ensemble
- La mise en scène burlesque des enfers
- Les personnages, parfois drôles, souvent attachants
- Des dialogues sans filtre teintés de sarcasme
Points faibles
- Quelques allers-retours répétitifs
- Une absence de localisation qui nous incite à redoubler d’attention
- Certains choix et mini-jeux aux répercussions souvent imperceptibles
Singulier, déroutant, Afterparty charme par son esthétique captivante et sa narration sardonique. Night School Studio, dans sa représentation théâtrale des enfers, est parvenu à créer un univers complet et inratable. Si les mordus de FPS bourrins peuvent déplorer un gameplay simpliste, la direction artistique, charmante et maîtrisée, saura combler cet aspect. Mettant de côté des actions trop accessoires, le titre se laisse aborder comme un plaisant voyage, six pieds sous terre. Un titre à consommer sans modération.