Disponible depuis février 2019 au Japon, Catherine : Full Body se décide enfin à atterrir dans nos contrées, affublé d’un nouveau moteur et doté d’un nombre conséquent de nouveautés. Le titre original aura fait couler beaucoup d’encre et déchaîné les passions mais cette version revue et corrigée a-t-elle ce qu’il faut pour nous faire repasser à la caisse ?
Alternant entre phases de cauchemars, où il nous faudra résoudre des puzzles sous une contrainte de temps, discussions et cut-scenes à la manière d’un visual novel, Catherine premier du nom est un jeu singulier à bien des niveaux. Et ce n’est pas cette nouvelle version qui nous fera mentir.
Si vous voulez vous lancer dans Catherine Full Body, il est à mes yeux important de noter qu’il n’est pas à mettre entre toutes les mains. D’une part parce que la morale parfois douteuse des personnages peut rebuter, voire choquer des personnes sensibles. Et d’autre part car il doit être contextualisé. Full Body est une relecture d’un jeu japonais doté d’accents érotiques, traitant du couple et de l’adultère, sorti en 2012. L’écart culturel et temporel potentiel peut se révéler problématique pour certains. Quelques-uns l’observeront avec plus de distance comme un objet vidéoludique étrange, tandis que d’autres s’y sentiront à la maison. En prenant ceci en considération, on peut passer plus aisément au dessus des archétypes ou de la représentation de quelques personnages qui seront reçus avec un accueil plus ou moins chaleureux en fonction des profils.
Un étrange rectangle amoureux
Le joueur est placé dans les bottes de Vincent, un trentenaire ayant bien du mal à transitionner vers l'âge adulte. Incapable de gérer intelligemment son argent, il passe le plus clair de son temps au Stray Sheep, le bar du coin, à boire des coups avec ses potes de lycée. Vincent a donc tout de l’éternel adolescent, incapable de prendre des décisions, qui voit sa vie dictée par les évènements et sa petite amie Katherine qu’il côtoie depuis 5 ans. Son confort sera très vite perturbé par cette dernière qui attend de lui plus d’engagement -une demande en mariage- et d’assumer ses responsabilités face à une paternité éventuelle. À ce tourbillon de mauvaises nouvelles vient se greffer Catherine, avec laquelle Vincent commet l’adultère lors d’une perte de conscience nocturne. Le coeur de l’intrigue résultant de différents dilemmes moraux auxquels il sera confronté. Devrait-il mettre en péril sa relation de longue date avec Katherine, autoritaire, exigeante et avec qui la passion semble s’étioler ? Ou plutôt couper court à son idylle physique et mouvementée avec Catherine, sensuelle, intrusive et mystérieuse ? Ces questionnements sont l’occasion d’aborder des thématiques qui le sont trop rarement dans le jeu vidéo : Le couple et dans une moindre mesure, la sexualité.
À ce postulat de départ qui compose les enjeux du Catherine de 2012 vient s’ajouter Qatherine, ou Rin, jeune femme amnésique au cheveux roses que notre “héros” prend sous son aile. Cette dernière représente donc un archétype supplémentaire. Rin est calme, gentille et soutient Vincent autant moralement que lors des phases de puzzle. D’autres protagonistes gravitent autour de Vincent, le conseillent et apportent leurs point de vue à ses réflexions. Erica, la barmaid, Toby, Orlando et Jonny, tous ont leur mots à dire sur l’évolution des relations de notre trentenaire en proie au tourment. Il est primordial de les mentionner car une bonne moitié du jeu consiste à converser avec eux autour d’un verre sur une banquette du Stray Sheep. Ces phases de jeu sont également l’occasion de rencontrer des habitués du café, essayer de battre les highscore sur la borne Rapunzel, une version alternative des phases de réflexion du jeu ou encore changer de piste son sur le jukebox.
La structure reste donc inchangée, les connaisseurs du premier épisode seront en terrain connu et ne constateront finalement qu'assez peu de changements sur le déroulement de l’histoire hormis le personnage de Rin. Et c’était là une des plus grosses interrogations que l’on pouvait avoir : Est-il possible d’intégrer efficacement un nouvel enjeu romantique à une histoire déjà établie et ayant déjà fait ses preuves ? La réponse est oui et non. La jeune femme embarque avec elle de nouvelles cut-scenes et par la même occasion ajoute du temps de jeu et des lignes de dialogue abordant des thématiques et des angles inédits sur le traitement accordé au couple, au genre et à la sexualité. Elle permet à Catherine Full Body de s’extraire un peu de sa vision caricaturale (assumée) et binaire de la femme.
Catherine (2012) opposait donc deux visions du sexe féminin. La femme qui se définit par sa vie amoureuse et sa maternité, voyant ces deux éléments comme une fin en soi, en la personne de Katherine. Et la femme libre, objet de désir, véritable succube qui corrompt les hommes en la personne de Catherine. Ce grand écart un peu minimaliste trouvait un équilibre dans la représentation pathétique que les développeurs faisaient de Vincent. Rin permet donc d’arrondir les angles car elle apporte une personnalité apaisante, rassurante, ce qui change plus qu'on ne pourrait le croire le propos et le ressenti global du jeu. La femme n’est donc plus uniquement une source de stress, de tourment et d'enjeu sexuel. Full Body n’atténue cependant à aucun moment la pertinence des questionnements du jeu original mais il en devient un objet moins glauque et moins pessimiste. Cependant pour une majorité du jeu, Rin semble évoluer à côté des autres protagonistes. Un peu lunaire et tardivement incluse à l'intrigue, son intégration paraît occasionnellement assez forcée, mais la tâche étant loin d'être aisée le studio s'en sort avec les honneurs. D'autant que le personnage résèrve bien des surprises.
Un puzzle-game plus accessible, plus modulaire et plus riche en contenu
Mais Catherine n’est pas qu’un jeu de discussion bourré de cutscenes. Le coeur du gameplay tient dans ses cauchemars nocturnes qui voient Vincent forcé à escalader une tour pleines de pièges retors, affublé de cornes de mouton, d’un caleçon américain et d’un oreiller sous le bras. Cette dernière se désagrège en temps réel et c’est donc une véritable course contre la montre qui s’opère. La chute est lourde de conséquences car comme ses congénères piégés avec lui, si Vincent meurt dans ses rêves, il ne se reveillera pas. Ces séquences nocturnes sont donc l’occasion de prendre part à des puzzles particulièrement bien pensés auxquels s’ajoutent graduellement des éléments complexifiant la formule. Le joueur doit pousser et tirer des blocs, afin de créer des escaliers sur une tour en perpetuel mouvement. Comprendre leur comportement est donc primordial. Blocs piégés, glissants ou inamovibles vous obligent à user de la logique pour parvenir sain et sauf jusqu’au prochain havre de paix. Afin d’éviter d’être coincé trop facilement, le joueur peut user du “Undo” permettant de revenir jusqu’à 3 mouvements en arrière. Sur notre route, on pourra ramasser des consommables facilitant la progression : des oreillers ajoutant des utilisations de “Undo”, de quoi créer des plate-formes ou augmenter la hauteur de nos sauts. Le tout fonctionne toujours aussi bien et on se surprendra à tenter des highscores, ou expérimenter le nouveau mode “Arrange” qui modifie l’agencement des blocs et la façon dont on appréhende l'ascension.
En plus du mode “Safety”, recommandé si vous voulez vous concentrer sur l’histoire, Rin fait également son apparition lors de phases d’escalade. Cette dernière accompagnera votre ascension de ses partitions au piano ce qui a pour effet de ralentir la chute de la tour facilitant votre progression. Rin n’est donc pas qu’un soutien moral pour Vincent mais également un allié de taille lors des phases de gameplay. Et il en aura bien besoin car ces pérégrinations nocturnes se voient intensifiées par des matérialisations monstrueuses de ses plus grandes peurs. Voir un bébé géant au yeux écarquillés nous hurler dessus en détruisant tout sur son passage fait toujours son petit effet. Ce qui est certain c’est que les deux pans distincts du gameplay de Catherine Full Body fonctionnent toujours aussi bien, notamment parce qu’ils se répondent et apportent autant tous les deux au propos du jeu. Certaines manifestations des tourments de Vincent manquent peut-être un peu de subtilité, on a plus souvent affaire à de l’illustration claire et nette plutôt qu’à du symbolisme suggestif mais elles n’en sont pas moins marquantes.
Une fois le scénario achevé vous pourrez toujours vous rabattre sur le mode colosseum pour gravir de nombreux autres niveaux en incarnant le personnage de votre choix, dont un guest de qualité en la personne de Joker de Persona 5.
Une refonte visuelle réussie
Un des arguments non négligeables de Full Body vient bien évidemment de sa refonte graphique. Le meilleur qualificatif que l’on pourra donner à ces améliorations est : Satisfaisante. Le jeu tourne en 1080p/30 fps (même sur PS4 Pro), l’absence de 60 fps n’est pas foncièrement regrettable étant donné le rythme du jeu et les rotations de caméra très rares lors des phases d’escalade. Un passage à la 4k aurait évidemment pu beaucoup profiter au jeu mais la disparition presque totale de l’aliasing suffit à nous faire passer la pilule. On regrettera cependant une résolution plus faible lors des séquences animées de l’original tandis que les passages inédits paraissent bien plus nets et détaillés. Notons tout de même la finesse des traits assez inégale, capable du meilleur comme du pire sur certaines frames. Régulièrement très jolies, souvent correctes, elles sont à de rares occasions assez ratées pour qui est habitué des productions animées à gros budget.
Cependant le changement le plus flagrant vient sans aucun doute du travail effectué sur les lumières. Si dans l’appartement de Vincent et lors des phases de cauchemars, il s’agit principalement d’ajustements mineurs, le tout est plus lumineux et tend d’ailleurs un peu trop parfois vers la surexposition (ce qui était déjà le cas de l’original). Le constat est drastiquement différent à l’intérieur du Stray Sheep. Alors qu'il paraissait sombre, sale et inhospitalier, le café est désormais irradié d’une lumière chaude et de nouvelles sources lumineuses ont été ajoutées, notamment derrière le bar et de part et d’autre de la porte d’entrée. Bien que ces modifications puisse paraître mineures, il ne faut pas oublier que près de la moitié du scénario se déroule dans ledit lieu.
Ces ajouts et l’arrivée de Rin, qui joue du piano dans un coin, changent drastiquement l’ambiance du boui-boui. La taverne remplie de piliers de bars paraît presque devenir un salon lounge huppé. Le ressenti global est que Full Body est largement moins anxiogène et plus positif que Catherine Classic. On apprécie que les développeurs aient mis à profit des changements esthétiques pour soutenir un propos potentiellement plus réjouissant en fonction des fins possibles. La refonte esthétique de cet environnement est donc pleinement au service de l’histoire et de sa relecture. Cependant ceux qui avaient trouvé leur compte dans l’atmosphère plus poisseuse de Catherine seront peut-être déçus de ne pas retrouver le même jeu qu’à l’époque. On peut noter quelques ajustements plus mineurs sur les modèles 3D mais le reste est à peu près inchangé. L’interface est, comme toujours chez Atlus, sublime et ce n’est pas les menus du téléphone portable de Vincent qui nous feront mentir. Le temps passé à dialoguer ou à répondre aux sms de Catherine, Katherine et Quatherine est par conséquent bien plus agréable qu'il ne pourrait l'être. Le tout est mis au service d'une écriture très plaisante et agréable à suivre, d'autant que les sous-titres français sont de très bonne factures.
Points forts
- Une expérience toujours aussi singulière...
- Rin apporte un vrai plus au propos...
- Un puzzle-game malin et satisfaisant
- Des apports visuels agréables et pertinents
- Plus accessible et généreux en contenu
- Une interface irréprochable et stylisée
- La possibilité de passer en V.A ou en V.O à loisir
Points faibles
- ...mais qui ne plaira pas à tous le monde
- ...même si son intégration n'est pas toujours exempte de défauts
- Des séquences animées aux traits pas toujours très fins
Si l’on pouvait questionner la pertinence de cette nouvelle version, le travail effectué sur les lumières et la refonte visuelle valent le détour. Le personnage inédit de Rin apporte un peu plus de profondeur à un scénario et à des personnages qui pouvaient par moments paraître un peu binaires. Bien qu’un bonne partie de l’aventure soit identique, Catherine Full Body est une vraie relecture du jeu original, dont les apports pourront déplaire aux fans hardcore, mais qui constitue une très bonne occasion de se replonger dans une expérience pour le moins atypique et aux thématiques trop rarement abordées dans notre médium.