Lors de nos deux précédents contacts avec lui, Night Call était largement parvenu à éveiller notre curiosité. Atmosphère sombre, écriture soignée, concept alléchant... autant d'arguments qui laissaient entrevoir une expérience atypique, mais dont nous demandions ce qu'elle donnerait sur la durée. Il s'avère malheureusement que le titre ne parvient pas à être aussi captivant qu'il l'aurait pu.
Night Call est un jeu pour le moins atypique, en premier lieu parce qu'il vous propose de coiffer la double casquette de chauffeur de taxi parisien et d'enquêteur. Suite à une agression par un tueur en série ayant coûté la vie à votre passager et vous ayant laissé pour mort, la police vous approche et vous demande de reprendre votree service tout en tentant de glaner des informations sur le tueur. Malheureusement, impossible pour vous de refuser. Si cette demande d'enquête de la part d'une inspectrice sort du cadre purement légal, la menace de la révélation de votre passé trouble et le risque de retourner en prison pour des faits que vous auriez préféré oublier vous contraignent à accepter le marché.
Un schéma qui ne dévie pas
Le jeu, sur les trois enquêtes différentes qui vous seront proposées, se déroulera toujours de la même manière : arpenter les rues de Paris, acheminer différents clients vers leur destination et enchaîner les courses jusqu'à la fin de votre service, qui intervient tard dans la nuit. Une fois rentré chez vous, vous vous trouverez face à un tableau sur lequel 5 personnes suspectées d'être le tueur sont affichées. Ces suspects, fournis par la police en début de partie, pourront faire partie de votre clientèle du soir, et à mesure que vous parlez avec certaines personnes, des indices relatifs aux meurtres, aux victimes ou aux lieux des crimes pourront être consultés depuis votre appartement. L'analyse de ces indices demande un certain temps, qui est déduit de votre temps de repos aussi ne sera-t-il pas systématiquement possible de tous les compulser en une seule et même nuit.
Une fois les indices analysés, ils se matérialisent sous forme de notes qui sont directement rattachées aux suspects correspondants. Par exemple, si vous apprenez que le tueur faisait moins d'un mètre soixante-dix, tous les suspects correspondant à la taille seront associés à l'indice. Il en ira de même pour toutes les autres informations, tant et si bien que Night Call ne vous demandera jamais de faire un véritable travail de déduction, il le fait en grande partie pour vous. Notez que les trois enquêtes se dérouleront sur le même schéma : même introduction, suppression d'un suspect sur les 5 proposé au bout de la troisième nuit et nécessité de communiquer le nom du tueur au bout de la septième.
La nuit, tous les chats sont gris
Mais avant de récolter suffisamment d'indices pour confondre le tueur, il faudra remplir votre devoir de chauffeur de taxi. Pendant la poignée d'heures que dure votre service, vous verrez, sur une carte stylisée de la capitale, différents portraits correspondants aux courses disponibles dans les environs. En acceptant la course, une séquence plus ou moins longue se lance, matérialisant le dialogue que vous entretenez avec votre passager. Si la plupart des courses ne sont pas nécessairement utiles à l'enquête, elles seront cependant souvent l'occasion d'écouter et de prendre part à différentes tranches de vie. Du prêtre à la prostituée en passant par le couple adoptant ou la mère peinant à éduquer son enfant, les profils sont multiples et variés. Il est d'ailleurs assez rare qu'une histoire ne soit pas intéressante à suivre. Certaines d'entre elles étant inspirées d'histoires réelles, le jeu déploie un univers assez sombre, loin de la vision romantique et peu crédible du Paris nocturne, qui dévoile ici des tourments plus vrais, plus humains. À l'issue de la plupart des courses, vous pourrez empocher votre salaire, qui vous servira à payer autant l'entretien de votre automobile que l'essence. Si vous ne prenez pas garde à ces quelques considérations financières, c'est le game over. Cependant, dans le mode normal (il existe un mode « histoire » et un mode « défi ») nous n'avons pas trop eu à nous inquiéter des finances, le simple fait de prendre une poignée de courses dont on sait qu'elles payent bien a suffi à maintenir notre compteur dans le vert.
Certaines icônes du jeu vous indiquent que des contacts ont des choses à vous apprendre sur votre enquête. Opter pour l'un d'entre eux ne vous rapportera pas d'argent (et pourrait même vous en coûter), mais la démarche sera indispensable pour garnir votre tableau d'indices. Là encore, nous avons pu consulter tous ces points d'intérêts sans jamais être pris de court par la montre. Mais ce n'est pas tout. Il faudra également être attentif à ce que certains inconnus vous confient dans le taxi. Rendre service à une journaliste en acceptant, par exemple, de faire la pause ou le détour qu'elle demande la rendra plus prompte à vous donner des informations que si vous choisissez de garder le silence. Offrir une course à un SDF pourrait bien à terme vous être utile puisqu'il s'avère en réalité être une vraie mine d'informations. Il conviendra donc de savoir comment brosser le client dans le sens du poil pour lui tirer les vers du nez.
Une enquête en retrait
Il en ira ainsi d'une nuit sur l'autre et, au terme de la semaine de travail, la police vous appelle et exige un nom. À vous alors de voir quels indices ont été associés à quels suspects et, avec un peu de logique voire parfois un peu de chance (les libellés ne sont pas franchement toujours explicites) quel individu vous estimez coupable. Notez que nous avons vu juste sur les 3 enquêtes et que, si toutefois vous vous trompez, la police vous faire part de ses doutes et vous invite à vous porter vers un autre choix avant de le valider définitivement. Ainsi, la dimension enquête au sens « déduction » du terme est plus que maigre et ne demande qu'une implication limitée du joueur. Si le suspect identifié est le bon, une dernière séquence dans laquelle vous devez le conduire à la police se déclenche, donnant lieu à des dialogues souvent tendus, mais assez dirigistes et parfois un peu incohérents, Night Call s'autorisant parfois des excursions dans le fantastique qui tranche avec la crédibilité de l'ensemble.
L'histoire d'un Paris sombre et humain
Si la première enquête déçoit en raison des attentes sans doute trop élevées que nous avions des mécaniques d'enquête et de gestion héritées de Papers Please, à savoir optimiser le ratio enquête / temps / argent, beaucoup trop en retrait dans Night Call, elle séduit en revanche sur d'autres points. Outre la direction artistique particulièrement soignée, c'est aussi par sa science narrative que le titre s'avère captivant. Effectivement, nous l'évoquions plus haut, les profils croisés sont très divers et, si les stéréotypes ne manquent pas, les dialogues sont d'une grande intelligence, parvenant à pointer du doigt les dysfonctionnements qui existent dans la société française sans jamais verser dans le cliché éhonté. Les textes sont faits de nuances, les didascalies sont précises et immergent parfaitement le joueur dans l'atmosphère de la cabine du taxi que dans la tête du personnage que vous incarnez. En somme Night Call donne beaucoup d'humanité à ses différents personnages, qui parleront bien évidemment beaucoup aux Français, le titre mettant en avant dans une très large mesure les travers de l'Hexagone. Sur ce point la réussite est incontestable.
Notez que le nombre de personnages à croiser est assez conséquent, même si vous n'aurez sans doute pas le temps de tous les rencontrer à l'issue des trois enquêtes. Et c'est aussi là que le bât blesse. Effectivement, chaque enquête commence de la même manière, mais a également pour problème de faire repartir à 0 toutes les intrigues précédemment dévoilées. Ainsi, si vous vouliez avoir la chance de faire deux courses différentes avec le même personnage afin d'en apprendre plus sur son histoire, il faudra recommencer tous les dialogues précédemment entendus. Si ce principe est logique, il est en revanche préjudiciable et brise tout le charme de la découverte. Le joueur se trouve donc rapidement confronté à deux options : soit cliquer frénétiquement pour passer au plus vite les déclamations de son interlocuteur, soit lire un journal ou écouter la radio du jeu pour faire passer le temps, déclencher de nouvelles courses et donc espérer croiser un personnage inédit, ce qui, en l'occurrence, pourrait bien mettre vos comptes en péril. Le fait d'entendre donc au moins 3 fois la même histoire, parfois très longue est donc inévitable et finit par être un rien agaçant.
Il en résulte une répétitivité très regrettable dans un jeu qui puise sa principale force dans la découverte de nouveaux protagonistes. En limitant la dimension enquête et gestion et en rendant celle de l'argent plutôt secondaire, Night Call n'a pas su pleinement offrir au joueur l'expérience narrative variée qu'il aurait pourtant pu prodiguer. Il n’en demeure pas moins un titre intéressant, qui sait clairement brosser une galerie de personnages crédibles et immerger le joueur dans une atmosphère atypique, qu'il conviendra de déguster par petites sessions, en laissant une vraie pause entre les enquêtes.
Bande-annonce de Night Call
Points forts
- Une écriture habile et intelligente
- Une galerie intéressante et généreuse de personnages crédibles
- L'atmosphère soignée
- Une belle mise en scène du Paris nocturne
- Quelques vrais moments de tension
Points faibles
- Dimension enquête anecdotique
- Pas vraiment d'enjeux dans la gestion de l'argent et du temps
- 3 enquêtes trop similaires, peu captivantes et calquées sur le même schéma
- Relancer plusieurs fois les mêmes histoire... presque inévitable
- Une construction qui rend le jeu redondant
Quel dommage que Night Call n'ait pas pu embrasser l'épaisseur que son concept lui permettait d'atteindre. Avec son atmosphère pesante, sombre et immersive, son écriture intelligente et sa galerie de personnages bien brossés, le titre de Raw Fury est davantage à prendre comme un roman interactif que comme un jeu d'enquête / de gestion. Effectivement, l'investigation est limitée tandis que la partie gestion ne conduit jamais vraiment vers de quelconques dilemmes. Avec une construction maladroite menant inévitablement à une vraie répétitivité qui ne rend pas justice à la richesse des personnages présents dans le jeu, Night Call est une expérience qui n'est pas désagréable, mais qui aurait pu être bien plus renversante. Il n'est cependant pas un jeu à bouder si vous aimez les récits bien écrits et qu'une virée dans les tourments des Français qui vivent la nuit vous tente.