Annoncé à l’E3 2018 à la conférence Electronic Arts, Sea of Solitude fait partie des projets labellisés “indépendants” mis en avant par le géant de l’édition via sa gamme EA Originals. Dans les eaux troubles de ce jeu d’aventure/plates-formes très “arty”, la jeune Kay doit mener sa barque pour purger le monde d’une insidieuse menace. Vendu comme étant “le projet le plus personnel” jamais créé par sa conceptrice, il est temps de s’assurer que Sea of Solitude pense bien à inclure le joueur.
Sea of Solitude : Nous rencontrons les deux premiers boss du jeu
De tempêtes en naufrage
Alors que son sombre pelage se gorge d’eau, Kay se réveille en pleine tempête dans une barque à la dérive. Ses yeux rouges tel du rubis incandescent percent l’obscurité et captent une lumière, au loin. “Quelqu’un a peut-être besoin d’aide” ébruite-t-elle. “Je vais m’approcher”. Contre vents et marées, l’altruiste aventurière s’y dirige, non sans l’aide du joueur qui par quelques pressions sur son joystick déroule cette histoire. Sea of Solitude est un jeu d’aventure narratif composé de nombreuses phases de plates-formes. À bien des égards, il pourrait être comparé à un simulateur de marche (mais avec des sauts) dirigiste, malgré le sentiment de liberté qui se dégage des pérégrinations.
Kay se déplace avec sa barque ou à pied dans des niveaux urbains plus ou moins ensevelis sous les eaux. L’héroïne est perpétuellement guidée par ses fusées de détresse qu’elle peut tirer à tout moment et dont la lueur indique le chemin à suivre jusqu’au prochain objectif. Ces feux révèlent également des éléments normalement invisibles indispensables à la progression qu'il faut nettoyer de toute forme de corruption afin de rétablir la lumière. Car oui, il est demandé ici aussi d’éliminer la noirceur du monde à grands renforts d’illuminations. La montée du niveau de l’eau liée aux sentiments de l’aventurière est en fait totalement scriptée, n’espérez donc pas des mécaniques dédiées à cette fonctionnalité.
Le but de Sea of Solitude est donc de se balader dans des niveaux vides reposant sur les ruines d’une civilisation où chaque mur est une plate-forme potentiellement utile à l’atteinte d’un objectif révélé par une fusée. Malheureusement, les nombreuses séquences de plates-formes déçoivent par leur absence de profondeur. À part les souffleries frustrantes de la dernière partie du jeu, il n’y a aucun autre composant capable d’apporter un soupçon de diversité aux phases demandant un peu de doigté. Il faut reconnaître que la grande approximation du gameplay lors des phases purement plates-formes, en intérieur, n’a sûrement pas encouragé les développeurs à creuser ce sillon.
Larmes de crocodile
Le monde tantôt coloré, tantôt grisâtre de Sea of Solitude abrite des êtres monstrueux, à l’image du piranha géant qui pourchasse Kay dès que cette dernière met une épaule à l’eau, ou encore de la tortue maléfique à repousser grâce à des faisceaux lumineux. Ces ennemis qui rôdent à des endroits précis de la carte sont animés avec soin et disposent d’une modélisation inspirée. Les différents lieux visités par la jeune aventurière cachent un bestiaire qu’il faut apprendre à éviter jusqu’à trouver une manière contextuelle de les détruire (en allumant une lumière par exemple). Les moments où il faut fuir la grosse bête aquatique sont stressants, et les scènes où il est nécessaire de voler des objets à des démons volants qui nous poursuivent tels des Phanto (Super Mario Bros. 2) fonctionnent assez bien. Les bonnes idées sont malheureusement rares. La scène dans le noir complet infestée d’ennemis n’est tout simplement pas intéressante à jouer, même si elle est chargée en symbolique.
Il est peut-être là, le problème majeur du titre de Jo-Mei. Introduit et porté par sa conceptrice Cornelia Geppert, les “sujets sensibles” traités ont du mal à faire mouche. Les nombreux dialogues explicitent les sentiments à outrance, ne laissant aucune place à la libre interprétation. L’absence de finesse dans le propos empêche toute empathie envers les personnages malgré les efforts soutenus pour nous arracher des larmes. De plus, les thèmes abordés ne sont jamais servis par des mécaniques intéressantes de jeu. Là où certaines expériences se servent de leur côté dirigiste pour surprendre le joueur avec une mise en scène forte, Sea of Solitude se laisse porter par sa petite vague sans provoquer de palpitation durant ses 4 heures de jeu.
Points forts
- Une direction artistique réussie
- Des protagonistes animés avec soin
- Quelques boss plaisants
Points faibles
- Les bonnes idées sont rares
- Des mécaniques de jeu qui restent en surface
- Trop d'approximations dans les phases de plates-formes
- Un manque de finesse regrettable dans les dialogues
- C’est court (4 heures)
Sea of Solitude est sans aucun doute un projet très personnel, voire utile, pour sa conceptrice qui y insuffle ses propres démons. Par ce point précis, le jeu du studio Jo-Mei ne doit pas être ignoré. Malgré ses bonnes intentions et ses multiples inspirations, le nouveau titre du label EA Originals n’arrive que très rarement à rendre sa progression intéressante pad en main. En essayant de trop en dire et de trop en faire, l’œuvre se disperse et l’aventure se dilue. L’aspect platformer 3D, trop basique, nous laisse définitivement le bec dans l’eau.