Annoncé en 2017 par le studio bordelais Asobo, A Plague Tale : Innocence sort enfin de sa tanière pixellisée. Lors de nos précédentes rencontres avec la bête, nous avions apprécié son univers racé ainsi qu’une proposition grouillante de bonnes intentions. Désormais à l'air libre, il est temps de s'assurer que la bestiole est suffisamment agile pour ne pas se prendre les pattes dans le premier piège à rats venu.
Infiltration impériale
Prenant place au XIVème siècle alors que la peste grignote le Royaume de France, A Plague Tale narre les mésaventures de la famille de Rune. Amicia et Hugo, les enfants, se retrouvent bon gré mal gré sur les chemins infestés de dangers à la recherche d'aide. En fuite, le duo va mener une fronde contre l'Inquisition, source de tous leurs maux, par l'intermédiaire du bras armé de la grande sœur. Amicia ne possède ni arc, ni “vision d’aigle”, mais elle manie les cailloux comme personne grâce à son lance-pierre fétiche. Pendant une grande partie de son périple, la fratrie doit s’infiltrer dans les lignes ennemies en déjouant l’attention des gardes massés devant les objectifs à atteindre. Il est demandé de ruser pour progresser. Se cacher dans les hautes herbes tout en menant les soldats sur de fausses pistes fait partie des techniques à maîtriser pour dompter A Plague Tale Innocence, particulièrement lors de ses premiers chapitres. Certes, les mécaniques d’infiltration sont simples, mais le rythme de l’aventure est suffisamment soutenu pour que les situations se renouvellent régulièrement. Le level design est construit de façon à ce que l’utilisateur ne se sente jamais perdu malgré des zones semi-ouvertes à explorer. Le chemin à suivre est suggéré tantôt par la présence d’un décor gigantesque au loin vers lequel aller, tantôt par un personnage annexe ouvrant la marche.
Un mode immersif est disponible dans les options du titre. S’il est activé, aucun HUD n’est affiché à l’écran.
À l’image des héros marchant sur la pointe des pieds pour progresser, l’interface utilisateur est discrète. Les éléments à ramasser ou à détruire sont recouverts d’un liseré brillant, tandis que des orbes signifiant qu’une interaction est possible apparaissent quand le joueur s’approche d’objets importants. Les bordures de l’écran s’éclairent afin de signaler la présence d’un méchant hors-champ, et des flèches jaunes au point d’impact d’un item informent quel ennemi sera attiré par le bruit engendré. Le système de jauge renseignant sur l’état d’alerte des gardes est quant à lui largement emprunté à celui des Assassin’s Creed. Envoyer des pierres trois fois de suite au même endroit a tendance à énerver les gardes qui gagneront en état d’alerte en cas de bruits suspects répétés. Dans son ensemble, l’intelligence artificielle fait bien son boulot avec des gardes capables de remarquer une anomalie d’assez loin bien qu'ils semblent avoir beaucoup de mal à baisser les yeux. Si le joueur ou un membre de son équipe se fait formellement identifier, la course-poursuite qui s’en suit mène quasiment toujours au game over tant les soldats sont nombreux et rapides. N’espérez donc pas casser trop souvent les cônes de vision en pleine course, à l’instar du titre d’Ubisoft précédemment cité : foncer dans le tas sans réfléchir n’est jamais une bonne solution.
Luth et combats
A Plague Tale Innocence ne se contente pas de faire passer le joueur dans le dos de soldats pendant la totalité de ses 17 chapitres. Dans sa construction, il alterne infiltration, puzzles, courses-poursuites et séquences à pied purement contemplatives aux abords de routes aux jolis paysages. Les scènes de fuite très scriptées agrémentent régulièrement l’épopée en obligeant l’utilisateur à trouver rapidement le bon chemin malgré la tension installée. Les développeurs ont néanmoins été généreux dans la distribution des checkpoints, ce qui pourra être perçu comme un défaut auprès de ceux cherchant une expérience plus orientée vers la survie. Même si la narration demeure très présente notamment grâce à de nombreux dialogues in-game, la création d’Asobo ne met pas de côté un gameplay qui sait évoluer au fil de l’avancée. L’arrivée des rats à partir du troisième chapitre rompt le schéma instauré depuis le début de l’aventure. Ces bestioles qui se déplacent par vagues détestent la lumière mais adorent la nourriture. Une torche flamboyante les disperse alors qu’un morceau de viande habilement décroché d’un plafond (grâce à la fronde de l’héroïne) les attire, créant ainsi une efficace diversion. Outre les énigmes basées sur les chemins lumineux à mettre en place dans le but d’effrayer les rongeurs, le système permet surtout de se servir de ces voraces créatures dans l'annihilation des harceleurs humains.
Quelques passages exigent de se creuser les méninges pour arriver à ses fins. Il est par exemple demandé de monter les bons meubles afin de créer un chemin praticable dans une bibliothèque, ou encore de s’aider de ses compères pour créer un pont grâce aux mécanismes présents. L’observation est la clé de la réussite.
Comme nous l’expliquions dans notre aperçu, Amicia a la faculté de ramasser comme de concevoir différents objets utiles aux nombreuses phases d’infiltration, mais aussi d’attaque. En renforçant sa fronde, elle gagne la faculté d’éliminer des ennemis d’une pierre entre les deux yeux. Au fil des chapitres, elle découvre comment mettre au point des concoctions capables d’éliminer des adversaires au corps-à-corps, de brûler les casques des malotrus afin de les forcer à exposer leur joli minois, ou encore d’exploser des rats malgré l’absence de feu dans les environs. Mieux, elle apprend à fabriquer des “grenades” donnant la possibilité de créer des flammes là où se tassent des cendres, ou au contraire d’éteindre un feu nourri. Ces objets amènent une belle variété aux situations et laissent le joueur juge de la meilleure manière d’arriver à ses fins. Il dispose en effet de tout un attirail pour retourner n’importe quelle situation à son avantage. Un soldat en armure lourde se balade ? Pourquoi ne pas l’offrir aux rats en éteignant la flamme salvatrice qu’il porte ? À moins d’envisager de mener les rongeurs loin de la route principale avec un peu d’Odoris et quelques lumières bien placées ? Cette bonne impression sur les mécaniques de jeu n’est entachée que par quelques énigmes devant être accomplies dans un ordre particulier. Comme ce passage où un personnage annexe doit retourner voir Amicia alors que les rats sont partout près d’un château. Si le joueur ne fait pas la solution prévue par le script, alors le PNJ ne fait rien, quand bien même les rats seraient (temporairement) éliminés par un Luminosa bien placé.
Tout au long de son périple, Amicia ramasse diverses ressources (cuir, corde, liquide, etc.) utiles à l’amélioration de son équipement (poches, sacs de munitions, entre autres).
L’art de l’enluminure
Les liens qui unissent les différents protagonistes sont étonnamment bien construits, à commencer par ceux qui soudent Amicia à Hugo. La complémentarité frère-sœur n’est pas au centre des mécaniques du jeu bien qu’il soit possible de donner quelques ordres primaires (suivre, rester, s’infiltrer dans des endroits exigus). Elle est par contre exploitée par l’intermédiaire de scènes jouables déroulant des dialogues bien amenés. Au début seule avec son petit protégé, la grande sœur rencontre rapidement d’autres adjuvants au cours de sa quête. Ensemble, ces jeunes rebelles déroulent un scénario captivant plein de rebondissements, malgré de minimes maladresses.
Chaque PNJ qui accompagne Amicia dispose de compétences à activer avec le D-pad haut. S’il est possible de donner des ordres à Hugo (suivre, rester sur place), il est finalement assez rare de devoir le laisser seul à un endroit en cours de mission.
Soigné dans ses graphismes et dans ses éclairages, A Plague Tale Innocence expose des ambiances réussies tantôt oniriques, tantôt anxiogènes. Seules quelques caméras pas toujours très naturelles et des animations qui toussotent entre deux liaisons rappellent qu’Asbobo n’a sûrement pas eu le budget d’un AAA traditionnel. Néanmoins, les décors sont splendides et certaines niveaux (dans la dernière partie du jeu) n’ont rien à envier aux dernières grosses productions. La musique d’Olivier Derivière emprunte quant à elle quelques effets à Vampyr, autre titre édité par Focus dont le compositeur s’est occupé de la bande sonore. Les instruments à cordes souffrent sous les cris des rats déambulant par milliers dans les recoins de ce Royaume de France maudit.
Points forts
- Une balance gameplay/narration équilibrée
- L’architecture infiltration/énigmes/fuite assure de la variété et du rythme
- Une réalisation habilement exécutée
- Durée de vie honorable (une petite quinzaine d’heures de jeu)
- La VF est de bonne qualité (excepté pour certains soldats)
Points faibles
- Quelques énigmes devant être forcément résolues de la manière prévue par le script
- Des animations et des caméras qui auraient mérité plus de soin
- Des petits bugs d’IA
Au royaume des chemins de ronde, les frondes sont reines. Dans sa fuite en avant perpétuelle pour aider son frère, Amicia n’oublie pas d’emporter avec elle les outils nécessaires à la construction d’une très bonne aventure. Grâce à de nombreux objets à confectionner aux multiples effets sur les nuisibles aussi bien humains que rongeurs, A Plague Tale : Innocence est intéressant à parcourir jusqu’au chapitre final. Son histoire captivante apportant régulièrement de nouveaux éléments de gameplay est le symbole de sa réussite. Il ne manque que quelques gouttes d’excellence à la potion pour enflammer la terre entière.