Il y a bientôt 14 ans, YouTube amorçait une révolution majeure pour notre média : celle du partage d’expérience, offrant au grand public la possibilité de “jouer par procuration” en enchaînant les vidéos de longplay. Un créneau poursuivi par l’arrivée de Twitch, et qui a aujourd’hui démocratisé la pratique, n’en déplaise à quelques grincheux issus de l’univers du petit écran. Mais si les bienfaits de cette pratique sont connus, son effet est pervers pour de nombreux viewers prompts à donner leur avis sur un titre dont ils n’ont jamais réellement pris les commandes, oubliant alors que non, regarder n’est pas jouer.
Comprenons-nous bien, pouvoir regarder une session de jeu par le biais de plateformes telles que Twitch ou Youtube a de très nombreux avantages, et n’est en aucun cas une pratique à blâmer : cela permet notamment de découvrir un titre que vous n’auriez pas spécialement eu envie d’essayer, ou d’en savoir plus à son sujet sans avoir à sortir le moindre sou de votre poche. Un atout non négligeable sur lequel n’aurait pas craché mon moi adolescent, et qui permet aux petits budgets - parfois même inexistants pour les plus jeunes ou les personnes en situation précaire - d’avoir accès à un minimum de culture vidéoludique.
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La remarque est également moins pertinente pour certaines formes particulières de jeux sur Twitch, souvent créées en souhaitant s’adapter aux particularités de la plateforme. Ainsi, “Twitch Plays Pokémon” peut être considéré comme une sorte de jeu de par sa notion d’interactivité, bien qu’il demeure avant tout un concept amusant. D’autres titres disposaient même d’une potentielle solution, comme les dernières productions de Telltale et leur système de crowd play, permettant à plusieurs joueurs de voter pour le prochain choix de dialogue. L’idée n’a jamais été portée sur Twitch, mais elle aurait pu ajouter une interaction supplémentaire et réellement permettre aux viewers de jouer, en l'occurrence, tout en offrant à la plateforme sa propre grammaire vidéoludique.
Gameplay ou pas, la question ne se pose pas
Mais même en penchant pour cette solution, il est difficile de considérer qu’il est réellement possible de donner un avis juste et complet sur le titre concerné. Les productions avec des mécaniques de jeux simplistes sont légions, allant des formules épisodiques à la DONTNOD ou Telltale Games, justement, aux exclusivités Sony récemment matérialisées par les titres de Quantic Dream ou Supermassive Games. Des produits à la prise en main souvent similaire, basée sur des choix de dialogue, des QTE, et d'autres interactions simples qui confirment qu’il n’est pas toujours nécessaire d’y jouer pour se faire une idée à leur sujet, d’autant plus que leur plus value se situe davantage dans l’expérience narrative qu’ils procurent. Mais justement, comment appréhender correctement cette notion lorsque vous vous contentez de regarder la session d’un autre ? L’ensemble peut être divertissant, c’est indéniable, mais les choix ne sont pas les vôtres et l’expérience est donc moins forte, moins personnelle, alors qu’il s’agit de l’essence même de ce type de production.
Avec une telle pensée concernant un gameplay particulièrement facile à “cerner”, vous vous doutez bien de mon opinion concernant le reste des jeux. Ressentir la prise en main du personnage dans un platformer, la nervosité du gameplay d’un beat’em up, les subtiles différences d’une année sur l’autre lors de la sortie d’un nouvel épisode d’un jeu de sport annuel ne peut se faire en regardant une autre personne jouer. De même, certaines vidéos retranscrivent mal une expérience de jeu : nous pensons notamment à For Honor, au rythme lent peu propice au divertissement, mais qui s’avère nettement plus intéressant manette en main. Il m’est aussi arrivé de me faire piéger à cause d’un ressenti du même type : il y a quelques années, au moment de la sortie de Bloodborne, j’ai préféré passer mon tour en me basant sur mon expérience de jeu avec les Souls et les quelques vidéos du nouveau titre de From Software. Manette en main, la plus grande souplesse du personnage par rapport à la série des Souls m’a alors davantage marqué et permis de laisser une chance à un titre sur lequel je m’étais hâtivement forgé une opinion.
Il reste cependant un obstacle majeur déjà évoqué plus haut : l’argent. Comme bon nombre de passions, le jeu vidéo peut rapidement alléger votre portefeuille, et vouloir rester à la page s’avère donc coûteux pour peu que vous ayez un appétit vidéoludique vorace. Si les solutions permettant de jouer à prix réduit n’ont jamais été aussi nombreuses (Gamepass, PS Now, jeux offerts, soldes, démos, accès anticipés, remboursement Steam, prolifération des Free to Play…) et feraient là encore pâlir d’envie la version adolescente de l’auteur de ces lignes, la solution se trouve peut-être davantage dans une certaine prise de recul. Plutôt que d’être prompt à juger hâtivement et publiquement un titre en se basant uniquement sur une expérience vécue par procuration, il serait nettement plus sage de se contenter de garder ce visionnage pour son propre usage, à des fins de divertissement ou de prise de décision en vue d’un éventuel achat.
