Le jeu vidéo entretient un rapport de longue date avec la notion de réalisme. Représenter le plus fidèlement possible la réalité semble être un but en soit pour de nombreux acteurs de l'industrie. La plupart des avancées technologiques effectuées depuis l'apparition du média tendent à le rapprocher toujours un peu plus du réel. Que l'on parle de réalisme visuel avec des moteurs de plus en plus performants, ou de fidélité aux mécaniques de notre monde, la quête du réalisme semble encore avoir de beaux jours devant elle. Mais faut-il tendre vers toujours plus de réalisme dans les jeux vidéo ? Si la simulation du réel passe aussi par la recréation des contraintes de ce dernier, ne risque-t'on pas d'entraver la jouabilité ?
Les mécaniques du jeu vidéo sont en grande majorité construites sur des abstractions du réel. De la plus simple, comme le saut dans un Mario ou le tir dans un Battlefield, ces éléments copient des actions réelles, mais y appliquent des modifications nécessaires au plaisir de jeu. Le plombier bondit bien en effet plus loin et plus haut que n'importe quel athlète olympique et les armes de nos soldats ne s'enrayent pas au moindre contact avec de la poussière ou de l'eau sur le champ de bataille. Le réalisme est ainsi soumis à différent degrés d'interprétation dans nos expériences ludiques au point de devoir s'éclipser à certains moments. La série Assassin's Creed revendique par exemple le contexte historique réaliste dans sa peinture des différentes époques visitées, mais elle ne cherche pas pour autant à simuler de manière réelle la vie et les actions possibles dans son univers. Il existe donc différents niveaux de réalisme dans nos jeux ; les escarmouches d'un PUBG semblent plus "réelles" que celles d'un Fortnite, mais aucun des deux titres ne peut pour autant être qualifié de réaliste.
Le réalisme n'a pourtant pas mauvaise image au sein de l'industrie et chez les joueurs, il est même perçu comme l'un des principaux axes d'évolution technique du jeu vidéo. Les moteurs graphiques et physiques, les technologies de motion et de performance capture, l'intelligence artificielle, les calculs cloudés, ces avancées tendent à rendre nos jeux toujours plus beaux, toujours plus proches du réel. De même pour l'explosion de popularité au cours des dernières années du genre de la survie qui nous démontre la réponse très favorable des joueurs à la multiplication des mécaniques réalistes dans certaines expériences de jeu.
Néanmoins, malgré leur attachement à vouloir reproduire les contraintes humaines (la faim, la soif, la fatigue, etc.) la plupart des titres de survie pratiquent tout même l'abstraction de certaines mécaniques du réel afin de rendre leur expérience de jeu plus agréable. S'ils proposent un inventaire limité, ils laissent tout de même souvent porter des quantités de matériaux qu'un humain lambda ne pourrait pas transporter plus de quelques minutes. Il en va même pour les plus avancées des simulations stratégiques de guerre où des paramètres comme la faim ou le moral des troupes sont rarement pris en compte. Le réalisme dans le jeu vidéo s'arrête là où il commence à entraver le plaisir de jeu, au moment précis où il devient contraire au but même du média : se divertir. La quête du réalisme ne doit pas se faire au détriment de la jouabilité, qui restera toujours l'élément le plus important aux yeux de la plupart des joueurs. Marier réalisme et plaisir de jeu devient alors un exercice périlleux où il est facile de perdre une bonne partie de son public.
Certains titres tentent par exemple de multiplier les systèmes avancés afin de se rapprocher au mieux de la simulation du réel. Un bon exemple serait le récent Scum, jeu de survie multijoueur dont la promesse est de simuler, au mieux, les fonctions du corps humain. Décompte des calories, impact de la masse du personnage sur ses capacités de déplacement et de combat, gestion du système digestif, le corps est ici envisagé tel une machine dont la satisfaction des besoins entraîne un impact positif en jeu. Malheureusement, en l'état (voir notre test de l'early access du jeu), la volonté de réalisme de Scum se heurte aux impératifs de gameplay d'une telle expérience et peine à rendre cette approche de la gestion humaine agréable à utiliser. À contrario, un titre tel que The Legend of Zelda : Breath of the Wild utilise l'avancée de son moteur physique afin de simuler avec un certain réalisme les différentes interactions mécaniques de son univers. Le tout est néanmoins pensé avec un impératif de jouabilité et de plaisir de jeu, évitant à l'épopée de tomber dans les travers de la pure simulation du réel.
Un autre cas récent serait bien entendu Red Dead Redemption II où de nombreuses mécaniques calquées sur le réel tendent à la simulation du quotidien lors de la conquête de l'Ouest à l'heure de la transition entre deux siècles. Boire, manger, dormir, brosser son cheval, lustrer des armes, autant d'éléments qui participent à renforcer la sacro-sainte immersion dans cet univers. Mais tout réaliste qu'il se veut, tout immersif qu'il soit, Red Dead 2 comporte aussi son lot d'abstractions de la réalité comme le ralentissement du temps de sa mécanique de tir Dead Eye, son inventaire bien trop large pour un simple humain, etc. Se crée alors un paradoxe entre les différents niveaux d'interprétation du réel avec certaines actions bien ancrées dans l'impératif de jouabilité propre au jeu vidéo et d'autres plus réalistes portant avec elles une part de lourdeur propre à la simulation du réel. Une lenteur que certains apprécient, mais qui tend à rendre l'expérience plus fastidieuse pour d'autres.
Au final, ces quelques cas de figure nous montrent que le réalisme aura toujours ses limites dans le jeu vidéo. Hormis quelques titres orientés vers la pure simulation, qu'il est parfois même difficile d'assimiler à des jeux, le réalisme doit adopter différents degrés afin de ne jamais compromettre notre plaisir de jeu.