Courant septembre, l’Institut Français d’Opinion Publique (IFOP) a réalisé une étude sur le jeu vidéo en France, et plus précisément sur le rapport des Français à ce medium. Le document réalisé avec ces résultats dresse le portrait d’un pays où le jeu vidéo ne s’est pas encore tout à fait démocratisé, contrairement à ce que l'on pourrait penser.
C’est une séquence de télévision qui avait fait sensation chez les gamers, fin 2015 : le présentateur de l’émission Touche Pas À Mon Poste, Cyril Hanouna, était tout fier de faire gagner « la toute dernière console Xbox de Nintendo, avec le nouveau jeu Mario Kart ». Et les connoisseurs de faire remarquer qu’il s’agissait d’un pack Wii U + Super Mario Maker. Les images avaient provoqué moqueries et parodies, mais cette séquence cache une vérité ignorée par beaucoup : malgré une influence grandissante, et des chiffres de vente toujours plus impressionnants, le jeu vidéo ne s’est pas encore complètement démocratisé en France. C’est ce que met en relief une étude réalisée par l’IFOP, en septembre 2018. L’institut a interrogé 2022 Français, en suivant la méthode des quotas, « après stratification par région et catégorie d’agglomération ». Et les résultats sont plutôt intéressants.
Une pratique encore occasionnelle
Les résultats sont pour le moins contrastés. Selon l’IFOP, 68 % des Français jouent à des jeux vidéo. Mais la pratique n’est pas si régulière que cela : seuls 18 % des joueurs français sont décrits comme des joueurs « investis ». Et pour rentrer dans cette catégorie, il suffit de jouer au minimum 31 minutes par semaine, ce qui nous paraît assez peu pour un joueur dit « investi ». Si cette catégorisation des joueurs (investis, moyens, occasionnels) semble discutable, les résultats sont pour le moins significatifs : les Français joueraient finalement assez peu. Une conclusion que l’on peut retrouver dans le temps de jeu moyen de 27 minutes par session, jusque dans les plates-formes utilisées. Ainsi, les consoles de jeu sont les machines les plus populaires, avec 71 % de Français y ayant déjà touché dans l’année ; en revanche, elles sont aussi les moins utilisées : 10 % s’en servent tous les jours, tandis que 31 % l’utilisent moins d’une fois par mois. Les consoles sont donc assez peu sollicitées par leurs propriétaires. À l’inverse, 48 % des Français n’ont jamais joué sur leur smartphone, mais ceux qui le font sont beaucoup plus assidus : 25 % d’entre eux jouent tous les jours sur leur appareil. Les ordinateurs n’attirent finalement que 51 % des joueurs français, avec 19 % d’entre eux qui l’utilisent quotidiennement. On devine là l’impact des jeux pour navigateurs, très appréciés des joueurs occasionnels, et surtout de l’activité des « PCistes », des gamers généralement plus investis que les joueurs consoles.
Des dépenses assez faibles
L’étude pointe aussi du doigt la faible attractivité du jeu vidéo, par rapport à d’autres types de bien culturels. Si certains répètent à qui veut l’entendre que le jeu vidéo est le premier bien culturel en France, il faut relativiser cette affirmation : c’est sans doute vrai en termes de revenus, mais pas en actes d’achat. Le jeu vidéo est ainsi comparé aux ventes de livres, de musique, ou de films/séries télé. Ainsi, à date, 57 % des Français n’ont pas acheté de jeux vidéo cette année. Le chiffre est plus impressionnant encore lorsqu’on l’oppose à celui des ventes de films et séries, un secteur pourtant en nette perte de vitesse depuis plusieurs années, a fortiori depuis l’arrivée de Netflix et d’autres services de vidéo à la demande : 50 % des Français ont acheté un film ou une série en 2017. En fin de compte, parmi les quatre types de biens culturels proposés par l’étude, les jeux vidéo sont ceux qui ont attiré le moins de monde en 2017, avec seulement 22 % des sondés qui reconnaissent avoir acheté un jeu cette année ; à l’inverse, 65 % d’entre eux ont acheté des livres, et 38 % de la musique.
Si l’on pourrait croire que la période de fin d’année va tourner à l’avantage du jeu vidéo, il n’en est rien : 71 % des Français ne prévoient pas d’achat pour Noël. En revanche, pour les 29 % restants, le budget alloué est assez élevé, puisqu’ils comptent dépenser 61 euros en moyenne, contre 34 euros pour les films et séries, ou encore 46 euros pour les livres. Le jeu vidéo paye sans doute des tarifs élevés, mais c’est aussi ce qui lui permet de rapporter autant d’argent tout en se vendant moins.
Des disparités d’une région à l’autre
Les sondages de l’IFOP permettent de mettre en relief d’étonnantes disparités entre les différentes régions françaises, avec certains territoires clairement plus favorables aux jeux vidéo que d’autres. À en croire l’étude, les champions du jeu vidéo français sont les habitants de la région Grand Est. C’est là que l’on compte le plus grand nombre d’achats en 2017, avec 30 % des sondés qui ont annoncé être passé à la caisse au moins une fois cette année. C’est également là que l’on est le plus prompts à payer pour des micro-transactions. On y compte aussi 21 % de joueurs dits « investis », ce qui place le Grand Est derrière le Centre-Val de Loire (23 %) et les Hauts-de-France (22 %). L’est de la France est également bien représenté par la région de Bourgogne-Franche Comté, où l’on trouve le temps de jeu moyen le plus élevé, avec 31 minutes par session.
Un constat à mettre en opposition avec l’intérêt modéré que porte la moitié sud de la France pour le jeu vidéo, à commencer par les régions Occitanie et Provence-Alpes-Côté d’Azur. Dans cette dernière, seulement 16 % des habitants ont acheté des jeux vidéo en 2017 ; ils sont à peine plus (19 %) en Occitanie. C’est toujours en Occitanie que l’on trouve l’un des budget jeux vidéo moyen le plus bas, pour la période de Noël à venir : 49 euros en moyenne, ce qui en fait la seule région de France avec les Pays de Loire (42 euros) à dépenser moins de 50 euros. La moyenne est elle située à 61 euros.
Une activité sociale… dans une certaine limite
Souvent pointé du doigt parce qu’il engendrerait des tendances asociales, le jeu vidéo affiche pourtant un meilleur visage dans le rapport de l’IFOP. En effet, selon lui, 62 % des personnes consultées disent jouer avec une autre personne. En regardant les chiffres dans le détail, on remarque néanmoins que la portée sociale du jeu vidéo reste limitée puisque les Français jouent surtout avec leur entourage direct : 60 % ont déjà joué avec leurs enfants, 47 % avec leur compagnon ou compagne, mais seulement 38 % avec des amis. On joue donc majoritairement avec les membres d’un même foyer, entre soi. Il y a tout de même deux exceptions, que l’on retrouve dans les deux grandes zones urbanisées du pays : en Île-de-France, où se trouve la région parisienne, et en Auvergne-Rhône-Alpes, où se situe la vallée du Rhône. Deux aires densément peuplées et très urbanisées, où les joueurs aiment se retrouver entre amis : ils sont 44 % en Auvergne-Rhône-Alpes, et 46 % en Île-de-France.
Si on regarde dans le détail, par régions, le Grand Est est encore le grand gagnant : 70 % des gamers de cette région ont déjà joué avec leurs enfants, et 58 % avec leurs compagnons/compagnes. Et l'on retrouve les traces des disparités précédemment mentionnées : la région PACA est dans le top 3 des régions où l’on joue le moins avec ses enfants (48 %), tandis que l’Occitanie est dans le top 3 des régions où l’on joue le moins avec son compagnon/sa compagne (37 %). Des chiffres qui démontrent une nouvelle fois que le jeu vidéo ne s’est pas implanté de la même manière, partout en France.
Car c’est bien ce que dessine l’étude de l’Institut Français d’Opinion Publique : la carte d’une France encore divisée sur la question du jeu vidéo. Et ce n’est pas seulement une question de moyens. Car si le jeu vidéo coûte cher, on remarque que les régions où les revenus sont les plus élevés ne sont pas forcément les plus « gamers » : ainsi, l’Occitanie et la Provence-Côte d’Azur jouent moins que le Grand Est ou le Nord-Pas-de-Calais, malgré des moyens financiers bien supérieurs. Dans ces régions, le jeu vidéo n’est qu’un loisir parmi tant d’autres. Peut-il faire mieux ? On aura sans doute la réponse d’ici quelques années.