Adapter un jeu vidéo n’est pas chose aisée et ce ne sont pas les derniers exemples en date (Warcraft, Assassin’s Creed) qui nous feront mentir. Pourtant, paradoxalement, le cinéma d’action s’inspire de plus en plus de la grammaire du jeu vidéo au point parfois de fusionner à l’image d’Hardcore Henry. Si les deux premiers Tomb Raider s’inspiraient de l’univers créé par Toby Gard tout en proposant une intrigue inédite, le reboot de 2018 choisit de réutiliser les scènes les plus marquantes de celui vidéoludique de 2013 tout en prenant le grand public par la main afin de l’introduire dans son univers par le biais d’un hôte de marque : Lara Croft. Une prise de position qu’on pourrait juger salvatrice et suffisante, mais qui parfois se révèle compliquée à gérer.
S’inscrivant dans la droite lignée du reboot vidéoludique de Crystal Dynamics qui présentait une Lara plus jeune, plus inexpérimentée, mais tout aussi déterminée, le reboot cinématographique prend également ses distances par rapport aux deux premiers longs-métrages qui mettaient en vedette Angelina Jolie. Logique puisque ces deux films n’étaient au final que le reflet des premiers épisodes sortis notamment sur Playstation, mais aussi et surtout d’une époque. Tomb Raider 2018 délaisse donc l’aspect «comic book» synonyme d’une Lara toujours sûre d’elle, iconique et virtuellement indestructible pour un personnage plus fragile qui devra apprendre et s’adapter au fur et à mesure de son aventure. Toutefois, l’un des premiers points importants du film tient justement à cet état de fait et surtout au besoin d’expliquer aux non-initiés d’où vient Lara, par où elle est passée et pourquoi elle en est là.
Ainsi, vu qu’il était difficilement concevable de balancer directement la demoiselle dans le grand bain, le premier tiers du film nous décrit le quotidien de la lady britannique campée par une Alicia Vikander plutôt à l’aise dans le rôle, autant dans les scènes physiques que plus posées pas toujours aidées, il est vrai, par des dialogues très bien écrits. On y découvre une Lara ayant refusé de reprendre les rênes de l’entreprise familiale et obligée de faire des livraisons à vélo en parallèle de ses études pour joindre les deux bouts. Si très rapidement on comprend que la belle a refusé la cuillère en argent qui lui était promise pour vivre comme elle l’entend, elle devra néanmoins renouer avec son ancienne existence pour espérer retrouver son père porté disparu il y a sept ans alors qu’il s’était lancé à la recherche de la reine Himiko sur l'île du Yamatai au sud du Japon.
Le premier acte pose donc les bases du scénario en dressant un portrait d'une Lara plus actuelle, plus dynamique et surtout plus identifiable par le public. Son passé y prend beaucoup plus de place que dans les précédents films voire même n’importe quel jeu qui ne s’est jamais vraiment intéressé à la jeunesse de son héroïne autrement que via quelques flashbacks. Des flashbacks, justement, Tomb Raider en regorge sans être pour autant être intrusifs. Ils permettent ainsi de mieux comprendre la relation entre Lara et son père campé par Dominic West (l’excellente bien qu’inégale série The Wire) et l’envie de l’aventurière de le retrouver. Si l’élément déclencheur de ce départ est familial, le périple n'en sera pas moins jalonné d’épreuves que Lara devra affronter seule puis avec l’aide de Lu Ren, marin hongkongais et accessoirement ancien compagnon de route de son père.
Bien que l’histoire reprenne les grandes lignes du titre de Crystal tout en y greffant des éléments supplémentaires, ces ajouts, parfois artificiels, mettent surtout en avant l'inutilité de certains personnages à l'image d'Ana, interprétée par Kristin Scott Thomas. On appréciera tout de même le caméo de Nick Frost qui, malgré un temps de présence réduit à peau de chagrin, réussit à nous décocher quelques sourires. Malheureusement, outre certains protagonistes fantômes (l'intrigue aurait très bien pu se passer de Lu Ren par exemple), Tomb Raider a du mal à aller au bout des choses, sans doute prisonnier de son PG-13. Si cette classification est compréhensible compte tenu du sujet et du public visé, on note néanmoins un paradoxe voulant que la principale référence du film, autrement dit le jeu, était lui déconseillé aux moins de 18 ans. En résulte un long-métrage pris entre deux eaux, reprenant les grandes scènes/idées du jeu (le naufrage, la descente dans la rivière, l'usage de l'arc…), mais en l’expurgeant le plus souvent de son aspect survie pourtant au coeur du soft de Crystal Dynamics. Fait d’autant plus notable que le jeu s’inspirait ouvertement de l’excellent The Descent auquel il reprenait certaines des scènes les plus viscérales et un côté survival parfois hardcore.
Ainsi, ce Tomb Raider 2018, tout en étant respectueux du matériau de base, donne souvent l’impression de ne pas aller assez loin, ceci desservant notamment son rythme. On aurait ainsi apprécié une once de folie, d'imprévu et un peu plus de mysticisme dans un final réunissant tous ces aspects. A ceci, le réalisateur Roar Uthaug (le très sympathique Cold Prey) préfère un film posé, à la réalisation très propre et bénéficiant d’un visuel léché synonyme de décors exotiques et d'effets maîtrisés. Un bien pour un mal donc même si les acteurs semblent à l’aise dans leurs rôles respectifs, Walton Goggins (Les Huit Salopards) réussissant même la prouesse d’incarner un Mathias Vogel loin d’être caricatural, du moins dans son jeu. Mieux, plutôt que de cabotiner, l’acteur nous livre une prestation très convaincante donnant un peu plus de crédit à l’Ordre de la Trinité. Dommage donc que le personnage reste en retrait alors qu’il aurait mérité un traitement plus important et sans doute mieux défini afin de ne pas être que l’exécutant d’un commanditaire de l’ombre.
Au final, Tomb Raider fait partie de ces films oscillant souvent entre la bonne idée et son contraire à l’image d’un certain Assassin’s Creed. Si Uthaug nous livre un long-métrage qui se laisse voir et même apprécier grâce au dynamisme évident de sa star, le revers de la médaille tient à sa trop grande propension à être coûte que coûte accessible à tout un chacun, qu’on connaisse ou non le jeu vidéo. On est loin du mauvais film, mais difficile de ne pas rester sur sa faim. D’autant plus vrai que le plan final (issu lui aussi du reboot de 2013) laisse augurer d’un second volet qui s’affranchirait de sa nature introductive pour s’émanciper et lorgner davantage vers le fantastique plus musclé. Espérons donc que ce Tomb Raider trouve son public, ne serait-ce que pour avoir la chance de voir vers quelle voie la franchise cinématographique s’oriente.