Cette semaine, Nintendo a diffusé ses derniers résultats de ventes de consoles et de jeux. Sans surprise, on a eu la confirmation d’un succès retentissant, preuve que le concept de la Nintendo Switch a réussi à séduire le public. Mais pour mieux comprendre ces chiffres, il est temps de rentrer dans les détails.
Avec 14,86 millions d’unités vendues en 10 mois (du 3 mars au 31 décembre 2017), Nintendo a réussi à dépasser ses objectifs que les détracteurs pensaient pourtant inatteignables. La boîte avait en effet prévu 14 millions de ventes en 13 mois (jusqu’au 31 mars 2018). Pour vous donner une idée, rappelez-vous que la Wii U s’est vendue à 13,56 millions d’exemplaires depuis sa sortie le 18 novembre 2012, il y a cinq ans et un trimestre (62 mois et demi pour être exact). Bien que ce soit surtout révélateur de l’échec de la Wii U, cela met vraiment en avant la renaissance de la firme japonaise.
Mais parmi les chiffres diffusés lors de ce bilan, nous voulions surtout revenir sur les chiffres de ventes de jeux Nintendo Switch afin de mieux comprendre le public de la console et les leçons que pourrait en tirer Nintendo pour l’avenir. Rappelons un peu le top des sept jeux first-party qui ont dépassé le million d’exemplaires vendus :
Jeu | Editeur | Développeur | Ventes |
---|---|---|---|
1 - Super Mario Odyssey | Nintendo | Nintendo | 9,07M |
2 - Mario Kart 8 Deluxe | Nintendo | Nintendo | 7,33M |
3 - The Legend of Zelda : Breath of the Wild | Nintendo | Nintendo | 6,70M |
4 - Splatoon 2 | Nintendo | Nintendo | 4,91M |
5 - 1-2 Switch | Nintendo | Nintendo | 1,88M |
6 - ARMS | Nintendo | Nintendo | 1,61M |
7 - Xenoblade Chronicles 2 | Nintendo | Monolith Soft | 1,06M |
Comme sur ces précédentes consoles, le Big N confirme qu’il est un des plus grands développeurs du monde, capable de produire de nombreux jeux d’excellentes qualités par an, raison pour laquelle les joueurs sont si fidèles. Malgré quelques rares balbutiements, l’esprit « Seal of Quality », instauré dans les années 80 avec la NES, semble toujours de rigueur, expliquant ainsi la confiance des joueurs.
On note cependant une différence notable avec les autres constructeurs lorsque l’on observe le rapport entre les ventes de jeux par rapport au parc de consoles disponibles. Avec 9,07 millions de Super Mario Odyssey vendus pour 14,86 de consoles, ce sont 61 % des possesseurs de Switch qui ont achetés les dernières aventures de Mario ! Pour avoir un ordre d’idée, la PlayStation 4 s’est écoulée à 73,6 millions d’unités et son jeu le plus vendu, Uncharted 4, s'est coulé à 12 millions d’exemplaires. Ce qui correspond à 16 % du parc. Quand on sait que vendre un jeu à plus de 10 % du parc d’une console est déjà une belle preuve de succès et d’estime, on comprend mieux pourquoi les chiffres de Nintendo dans ce domaine sont extraterrestres. Toutefois, il conviendra de quelque peu relativiser ces chiffres fortement liés à la logithèque de la machine. En effet, lorsque Super Mario Odyssey est sorti, les possesseurs de Switch avaient peu de AAA récents et/ou de Nintendo à se mettre sous la dent, ce qui n'était absolument pas le cas de la PS4 qui bénéficiait déjà en 2016 (date de sortie du jeu de Naughty Dog) d'une logithèque conséquente et de qualité. Le joueur n'avait donc que l'embarras du choix, ceci ayant sans doute impacté sur les ventes de Uncharted 4.
Bien évidemment, on peut se dire que c’est un exploit facile quand il y a cinq fois moins de Nintendo Switch que de PlayStation 4 à travers le monde. Cela dit, ce serait oublier que Nintendo a l’habitude de vendre certains de leurs jeux à plus de 20 % du parc de leurs consoles depuis des générations, y compris leurs consoles les plus vendues. Mais si cette analyse confirme l’incarnation de Nintendo en tant que développeur auprès des joueurs, elle n’explique pas encore pourquoi ce succès s'est produit juste après la catastrophe Wii U, qui aurait pu engendrer une certaine forme de perte de confiance auprès des joueurs.
Il y a en fait deux explications à cette fine esquive de purgatoire. D’une, si la Wii U est effectivement un échec flagrant, les jeux n’en ont jamais été la cause. Mario Kart 8, Splatoon, Super Mario Maker, Super Smash Bros Wii U, Super Mario 3D World… Nintendo a offert à sa console défunte une belle fournée de hits en puissance. N’ayant rien perdu de sa superbe en tant que créateur d'expérience de jeu, Nintendo avait juste à convaincre les joueurs que leur nouvelle console avait un concept. Bien sûr, on ne va pas débattre à nouveau sur les qualités de la Nintendo Switch, puisque ce n’est pas le sujet. Mais c’est justement ici qu’intervient le deuxième élément qui explique le succès des licences Nintendo sur 2017. Et ce deuxième élément, c’est The Legend of Zelda : Breath of the Wild !
Vous pourriez vous demander pourquoi BotW, qui n’est que le troisième jeu le plus vendu sur Switch actuellement (ce que je vais vous expliquer plus bas), est la raison de ce succès. C'est pourtant simple : alors que les fans de Nintendo étaient toujours là, en attente de la confirmation d’un vrai retour vers les succès d’antan, la boîte nipponne a réussi à convaincre tout le monde avec un jeu qui a non seulement reçu des critiques parmi les plus dithyrambiques de ces vingt dernières années, mais qui est aussi la preuve ultime que Nintendo ne fait rien comme tout le monde. En proposant une structure des plus atypiques pour un titre d'une telle envergure, il ne s’est pas seulement inscrit comme un chef d’oeuvre, mais aussi comme une expérience unique, et donc indispensable. Il n’en fallait pas plus aux joueurs !
Mais comme nous le disions précédemment, The Legend of Zelda : Breath of the Wild n’est qu'à la troisième place de ce classement. Cela voudrait-il dire que le jeu n’est pas aussi bon qu’on ne le dit ? Non. Outre le fait que la qualité d’un jeu et ses ventes n’ont jamais été directement proportionnelles (Super Metroid, Okami, Shenmue, les exemples ne manquent pas), il faut aussi faire la différence entre un console-seller et un best-seller. Pour Nintendo, BotW était le console-seller parfait, car la série des Zelda a toujours réussi à attirer un public qui n’est pas nécessairement tagué Big N. Ce n’est pas un hasard si de nombreux joueurs s’étant procurés la Nintendo Switch pour BotW ne jouaient pas sur Wii U ou Wii. C’est la force de cette saga, une sorte d’hameçon qui permet de récupérer de nouveaux joueurs. Derrière, la firme de Kyoto n’a plus qu’à livrer ses best-sellers : des titres au pouvoir universel qui contrairement aux aventures de Link (qui sont PEGI 12 à pratiquement chaque épisode, pour rappel), arrivent à réunir tous les publics. Super Mario Odyssey, Mario Kart 8 Deluxe, on parle de jeux qui cartonnent chez toutes les générations, des évidences qui n’ont besoin que d’un parc de consoles déjà installé pour se vendre comme des petits pains. Pas de surprises, pas de changements, cela fait des décennies que les Zelda se vendent moins bien que les Mario, Mario Kart et Super Smash Bros, et ce n’est certainement pas près de changer.
Bien sûr, le reste de la ludothèque Nintendo n’a plus qu’à ramasser les miettes. Splatoon 2 est un tel carton au Japon qu’il serait quand même 4ème du classement en ne comptant que les ventes au pays du Soleil-Levant, 1-2 Switch a profité de son statut de « jeu démo des possibilités des Joy-Con » pour bien se vendre malgré des avis mitigés, et Xenoblade Chronicles 2 fait plutôt fort pour un jeu que l’on peut considérer de niche, malgré des qualités indéniables. Dernier point quand même, on ne sait pas trop comment prendre les chiffres de ARMS. Une nouvelle licence qui se vend à 1,61 million d’exemplaires, c’est plutôt une bonne chose, mais on n’est pas vraiment devant le « Splatoon du jeu de combat » que l’on aurait pu espérer, au moins en matière de communauté.
En conclusion, devant ce succès indéniable, on pourrait se dire que l’avenir de la Nintendo Switch est tout tracé. Pourtant, il faut encore définitivement convaincre les éditeurs-tiers de développer avec la console en tête. Les portages, c’est bien, mais ce n’est pas ça qui fait vendre des consoles. 2018 risque donc d’être une année charnière ou la portable devra prouver sa pérennité, qui sera sans doute aidée par l'importante scène indépendante et par l’arrivée d’autres licences Nintendo comme Pokémon, et dans une moindre mesure, Metroid. Et dire qu’on ne sait toujours pas sur quoi travaille Retro Studios…