L'uchronie ou l'art de réécrire de manière fictionnelle l'histoire est une pratique courante sur Internet : le succès du roman 50 Nuances de Grey en est d'ailleurs un très bon exemple puisque celui-ci est d'abord une adaptation BDSM (Bondage Discipline/Domination Soumission/Sadisme Masochisme) de la série Twilight. Les interstices laissés par les créations cinématographiques, littéraires ou bien vidéoludiques sont l'occasion pour des communautés de fans de s'expirmer librement, rompant quelquefois avec les codes de l'oeuvre originale tout en veillant cepandant à ne jamais la dénaturer. Ces créations de fans (fan fiction, game, films, etc...) posent de fait une question simple : à qui une oeuvre originale appartient-elle ? Si ces contenus culturels sont à première vue la propriété de ceux qui en détiennent les droits légaux (éditeurs, studios, etc...), identifiés comme des "producteurs" dans cet article, les fans ne peuvent être uniquement représentés comme des consommateurs, de simples joueurs et joueuses dénué-e-s de sens critique. Qu'il soit activiste du jeu vidéo, défenseur d'un genre vidéoludique, rédacteurs engagé (commentaires, avis, test, etc...), ou bien artiste, le fan, dans sa plus grande généralité, créé en permance du contenu. Ces créations, souvent partagées sur des conversations, forums et autres lieux réservés à des publics d'aficionados, parviennent quelquefois à se rapprocher du soleil, mais tout comme Ycare, cette notoriété à des limites, risquant de faire perdre à ces jeux leurs ailes (nous penserons par exemple à AM2R ou Pokémon Uranium, petits anges partis trop tôt...).
Cet article est rédigé et proposé par Anthony, sociologue de formation.
C'est donc avec cette passion vidéoludique brûlant en chacun de nous, que je vous invite aujourd'hui à vous pencher sur le cas des fan games : véritable hommage à une oeuvre originale, il permet à celle-ci d'explorer de nouvelles aventures et autres mécaniques de gameplay novatrices, offrant finalement un univers toujours plus étendu et riche à la production de base. Le mods ont volontairement été mis de côté car ils pourront offrir à eux seuls une analyse différente de celle défendue dans cet article (ce n'est donc que partie remise).
Avant de débuter cette lecture, ou bien après l'avoir terminée (vous laissant donc le choix de faire comme vous le souhaitez), je vous conseille l'épisode de l'émission BiTS d'Arte intitulé Fan Wars qui offre un angle anaytique particulièrement intéressant ayant pu m'inspirer dans la rédaction de cet article.
Fan Friction
Le fan reste un élément de problématique à lui tout seul : il peut à la fois incarner le rôle défenseur d'un partimoine culturel, mais également devenir un opposant coriace lorsqu'il s'agit de protéger l'essence même d'une oeuvre. Le cas de Star Wars est intéressant et le documentaire The People vs George Lucas offre un point de vue particulièrement original pour étudier l'image du fan.
George Lucas, père de la série interstellaire, décide en 1997 (à l'occasion de vingt ans de la série), de "remasteriser" sa trilogie originale afin de lui redonner un coup de jeune (nouvelles images de synthèses, amélioration de la qualité du film) et choisit par la même occasion de modifier volontairement certains éléments emblématiques des films. Le passionné de la saga originale (également appelé archéologue des temps modernes) sait de quelle scène il va être question. En effet, le célèbre (non) duel entre Greedo et Han Solo dans la cantina de Mos Eisley présente, dans la version de 1977, le mercenaire comme le premier à dégainer, alors que la version remasterisée nous présente celui-ci comme le second tireur. Ce "rafistolage numérique" provoque un élan de fureur chez les fans : ceux-ci défendent l'idée que ce montage vient complètement modifier l'image de ce personnage faisant passer Solo de costume de mercenaire sans pitié, sans peur, à une simple victime répondant à la légitime défense.
Cette version revisitée par George Lucas lui-même, sera d'ailleurs la seule à être projetée dans les salles de cinéma, et Lucasfilm donne expressément l'ordre de ne plus utiliser l'original qui finira détruite. Si le fait de "remasteriser" la trilogie est l'occasion pour les fans de redécouvrir, grâce au numérique, une version nouvelle de '''''Star Wars''' '', cette modification devient également pour certains, la raison pour laquelle George Lucas n'est plus en capacité d'offrir le meilleur de sa série. Certains puristes en appelleront au boycott pur et simple des produits estampillés ''Star Wars'' et George Lucas en guise de protestation.
L'émission BiTS se demande à juste titre si un artiste a le droit de faire disparaître un patrimoine culturel-commun, même s'il en a les droits juridiques ? Les fans ne sont pas uniquement des consommateurs passifs, se nourissant de ce que l'on leur donne, mais au contraire des utilisateurs, des acteurs qui font vivre l'oeuvre originale. Internet prend facilement l'image d'immense bac à sable dans lequel les utilisateurs-fans peuvent s'exprimer de bien différentes manières : fan art, fiction, game, film et bien d'autres, sont autant d'hommages appuyés à la création originale. Si la culture du numérique met un point d'orgue à valoriser une certaines liberté de création, celle-ci vient néanmoins se heurter à un problème de taille : les fans ne sont pas les dépositaires légaux des licenses qu'ils honorent. Si la cohabitation semble relativement bien se passer dans la majeure partie des cas, les Rita Mitsouko l'ont déjà chanté, "les histoires d'amour finissent mal en général" et certaines controverses renvoient à cet amour parfois impossible dû à des logiques bien différentes.
Je(u) t'aime, moi non plus
Le terme de fan est particulièrement difficile à définir précisement, car sa géométrie peut sembler variable. Néanmoins, celui-ci présente une certaine idée de l'attachement à des objets qui comptent pour ceux qui y sont attachés. La notion de fan est en réalité une question : qu'est ce qui compte et pourquoi ça compte ? (Le Guern, 2009).
J'avais déjà pu en parler au cours du précédent article, mais l'identité de joueur tout comme celle du fan (les deux étant liées) sont des éléments eminemment singuliers et personnels : "chacun fait, c'qu'il lui plaît" (merci Chagrin d'Amour). Il serait néanmoins possible d'identifier un fan comme un passionné, un amoureux de quelque chose pour lequel il lui est possible de prendre partie et de valoriser son point de vue de différentes manières : les débats entre défenseurs de Sega et Nintendo, ou plus récemment entre Sony et Microsoft sont autant d'exemples prouvant la détermination des fans à valoriser ce qu'ils estiment être meilleur que le reste au prix de débats houleux voire incandescents. Selon Jenkins (chercheur dans les Technologies de l'Information et de la Communication, TIC), cinq caractéristiques permettent d'identifier un fan : un mode de réception distinctif, le cadre d'une "communauté interprétative", une forme de participation active dans le processus de production, une aptitude à la création artistique et la formation d'une "communauté sociale alternative" (1992). Si cette classification semble assez limitée et il serait possible de mettre en doute l'idée que n'importe quel fan puisse s'identifier en totalité des ces caractéristiques, elles ont le mérite de nous dépeindre l'idéal-type (Weber, 1992), c'est-a-dire un portrait robot de ce pourrait être le passionné dans sa généralité. Comme tout idéal-type, celui-ci est davantage une concentration hypothétique de toutes les caractéristiques représentant une catégorie de la population. Il est donc une aide, un moyen de savoir à quoi pourrait ressembler un fan par exemple, à identifier des caractéristiques propres à des individus que l'on qualifirait ainsi.
L'aptitude à la création qu'identifie Jenkins reste un élément clef dans la compréhension de la logique passionnelle qui anime un fan. Le fan game que celui-ci produit n'est en aucun cas le fruit d'un travail aléatoire, mais au contraire une remarquable réalisation censée garder l'essence même du jeu ou de la série d'origine tout en lui offrant un nouveau regard. Ce jeux sont souvent l'oeuvre d'une personne ou d'un petit groupe de fans (très souvent non rémunérés), animés par la volonté d'offrir quelque chose de manquant au jeu ou à la licence originale. La logique qualifiée de "passionnée" n'est donc pas en premier lieu liée à des impératifs commerciaux et/ou financiers : très largement partagées sur des forums spécialisés plus ou moins fréquentés, les ROM sont proposées et téléchargeables gratuitement.
Ces créations n'ont pas pour motivation première de vendre un produit, ce qui la ferait entrer dans le cas contraire dans la case de la contrefaçon. Il est d'ailleurs particulièrement amusant de voir la manière dont certaines créations cinématographiques, appelées "nanar", ont très souvent massacré des oeuvres originales afin de proposer à des publics divers des adaptations bancales de Superman, King Kong, ou bien Batman par exemple. Contrairement à nos fan games , si la passion pour une oeuvre originale peut-être présente dans ces adaptations (ne nous le cachons pas néanmoins, ces créations sont souvent l'occasion de surfer sur le succès du titre hollywoodiens), la plupart de ces productions ont été copieusement commercialisées, les intégrant clairement dans la catégorie des contrefaçons (feu les droits à la SACEM). La frontière entre hommage et contrefaçon peut très vite être franchie, à l'image du jeu Another Metroid 2 Remake (AM2R) et de l'un de ses créateurs DoctorM64 pris tous-deux dans les filets de Nintendo.
Il est très intéressant de suivre une controverse afin d'en comprendre se construction et les raisons de ses tenants et aboutissants. AM2R est un fan game entièrement réalisé par une équipe de passionnés, dont DoctorM64, figure de proue du groupe, dans lequel ils ont voulu proposer une version remasterisée de Metroid 2 (sorti sur Game Boy) dotée de graphismes proches de Metroid Fusion sorti bien plus tard sur Gameboy Advance. Le titre se dote d'ajouts de divers fonctionnalités, d'''assets'' particuliers, d'un nouveau degré de difficulté, etc... Ce jeu a nécessité un temps et un investissement particulièrement important à ses auteurs afin de le finaliser (près de dix années tout de même, un beau bébé). De part sa qualité et sa date de sortie officielle (pour célébrer le trentième anniversaire de la franchise), le soft n'est pas passé inaperçu ni aux yeux aiguisés des ''fans'', de la presse, ni à celui de la firme de Kyoto, dépositaire de la licence Metroid. Cette dernière a d'ailleurs sommé ''DoctorM64'' et son équipe de retirer leur jeu afin d'éviter toute forme de poursuite au nom du ''Digital Millenium Copyright Act.'' Comme dans le cas de ''Star Wars'' évoqué en début d'article, cette situation a provoqué une vague de protestation à l'égard du constructeur nippon de la part des ''fans''. L'histoire nous apprendra par la suite que ''Nintendo'' travaillait au même moment sur un version de Metroid 2 revenant aux sources et intitulée "Samus Returns", offrant au jeu une refonte graphique totale.
"Nous discutons avec des entités qui étaient des fans et sont devenus des partenaires de travail. Ces conversations arrivent tout le temps, mais encore une fois, quand quelque chose devient un produit commercial...et c'était le cas d'AM2R - il n'avait pas de prix, mais c'était un produit commercial." Reggie Fils Aimé, président de Nintendo America.
Le fait de définir le fan game comme un élément illicite, répondant à des logiques commerciales, identifie celui-ci comme une contrefaçon : un produit ne respectant pas les règles de productions de la marque, relégué donc au statut d'imitation (comme peuvent l'être ces fameux "nanar").
"Après avoir posté des vidéos, plusieurs personnes ont souhaité m'aider. Le projet a pris davantage d'ampleur, porté par les encouragements de la communauté Metroid et bénéficiant du relais de plusieurs médias spécialisés. (...) Je pensais que Nintendo connaissait le projet et comprenait que son but était de redonner de l'intérêt à Metroid" . DoctorM64.
L'hommage répondant de son côté à une logique de fan, c'est-à-dire à une volonté de partager sa passion sans but lucratif, s'est donc opposée à une logique mercantile que défend Nintendo dans ce débat. Si cette finalité semble relativement ironique du fait de l'attribution du terme de contrefaçon à un produit qui n'en avait aucune volonté dans sa conception, il montre également une forme de rationalité productive que l'entreprise se doit de défendre, au risque de se mettre à dos ses propres défenseurs. Jenkins présente un cas similaire avec Lucasfilm et la manière dont le studio menaça de porter plainte contre des fanzines (habile contraction de fan + magazines) qui "publiaient des récits violant les valeurs familiales constitutives des films originaux" (Jenkins, 1992; Le Guern, 2009). Le fait d'avoir un décalage entre ce que pensent les fans et les actions des producteurs montre la difficulté de gérer une communauté créatrice sans pour autant faire fi de l'univers original d'une licence, protégée par des droits de propriété intellectuelle. Le fait de créer un fan game vient donc de mettre un véritable coup de pied dans la fourmilière : le jeu s'approprie des droits d'utiliser tout un univers sans pour autant payer une compensation financière et n'a pas la nécessité de passer par des instances de contrôle, veillant au respect des valeur diffusées par la franchise. L'un des arguments employé à plusieurs reprises par Nintendo dans cette contreverse a été de réduire au silence le projet AM2R du fait de sa ressemblance très (ou trop) prononcée avec le remake qu'ils préparaient à sortir sur les consoles de la famille 3DS. S'il est en effet compréhensible que la firme nippone veuille garder le monopole de sa franchise et de fait, éviter de se faire voler des parts de marché par un jeu de fans proposé gratuitement, le cas de Pokémon Uranium met en lumière d'autres problématiques sous-jacentes.
Attrapez les tous !
Pokémon Uranium est un jeu également crée par des fans. Il introduisait l'univers des monstres de poche dans un environnement post-apocalyptique. Le soft veut proposer une approche bien plus adulte, traitant ainsi plus ouvertement des thématiques comme les conflits/risques nucléaires, l'appauvrissement des ressources naturelles et la disparition progressive des êtres vivants (y compris les fameux Pokémon). Les fans n'ont donc pas seulement cherché, comme dans AM2R, à "enrichir" un jeu déjà existant, mais ont décidé de proposer une relecture quelque peu différente de l'oeuvre originale. Des questions particulièrement "adultes" comme les problèmes environnementaux ou du braconnage ont d'ailleurs déjà été survolées dans des épisodes officiels de Pokémon comme avec l'exemple de la team Rocket ou de la team Aqua et Magma cherchant à établir une sorte de "dictature écologique" sur Hoenn. Si ces thématiques sont abordées par les équipes de conception, elles restent néanmoins "légères", elles ne cherchent pas à aller trop loin et à rendre leurs jeux volontairement et explicitement adultes (comme peut le faire la série des Fallout par exemple que je conseillerais plus difficilement à mes petits neveux ou nièces).
Pokémon Uranium vient clairement remettre en cause ce principe d'accessibilité et propose un soft bien plus mature que ce soit dans son scénario, ou bien dans ses dialogues et dynamiques de gameplay (un language plus cru et une difficulté réhaussée).
"Malheureusement, comme Pokémon Uranium est un fan game, il y a une limite sur la manière dont peut se diriger le projet. En tant que créateurs du jeu, nous ne proposerons plus de liens de téléchargement, de mise à jour, ou de service de support pour Pokémon Uranium" . La Team Uranium.
Les diverses prises de positions présentées plus haut permettent de mieux identifier ce qui est remis constamment en question : le principe de marque et de son copyright ne prétendent plus seulement défendre les intérêts économiques d'un parti, mais également d'encadrer jusqu'aux affects des fans, de censurer des significations alternatives au profit d'un sens univoque et unilatéral (Jenkins, 1992; Le Guern, 2009). Il est d'ailleurs intéressant de revenir aux origines du terme de "marque" afin de mieux comprendre la politique du producteur. La marque (brand en anglais) prend son étymologie du fer à marquer le bétail, appelé branding iron. Cette marque fut inventée "comme un moyen de tracer l'origine de la marchandise de façon rapide, bon marché et permanente, soit pour prévenir les vols et les pertes, soit pour suivre et promouvoir le droits de propriétés sur le marché, au sein ou au-delà des clotûres." (Cochoy, 2008; Thoenig & Waldman, 2005). Henry Jenkins emprunte à Michel de Certeau la notion de "braconnage textuel" (1980), développant l'idée que les "braconniers" sont ceux qui chassent dans des lieux qui ne leur sont pas permis. En d'autres termes, les fans pénètrent dans des zones sur lesquelles les producteurs imposent déjà des significations et des usages (Le Guern, 2009).
Chasser sur un même terrain, sans en avoir l’autorisation, c’est s’exposer à des représailles de la part des acteurs qui dirigent la zone. Le terme “braconnage” semble particulièrement fort, il est assez difficile de s’imaginer que les fans eux-mêmes cherchent à “chasser” les licences qu’ils affectionnent. Pour comprendre cette position, il est nécessaire de changer d’angle de vue quelques secondes. Si l’on se place dans la peau d’un producteur, quel qu’il soit d’ailleurs, la propriété industrielle est le principal biais qu’il ait pour défendre son produit, mais également son “image de marque”. Georges Lewi (2005) définit trois fonctions à la marque que je vais tenter de résumer le plus rapidement et simplement possible.
- Une fonction financière, le capital de marque. Je ne vous apprends rien, vendre une console, un vêtement ou un smartphone griffé d'une marque fera augmenter son prix.
- Une fonction marketing, la marque ou la licence bénéficie de ce que l'on peut qualifier de "capital sympathie", une franchise offre une familiarité avec des personnages, des univers que chacun s'approprie petit à petit.
- Une fonction sémiotique, la marque est définit par un message, une histoire qui est racontée à nous consommateurs : si Sega "c'est plus fort que toi" ou PlayStation "pour les joueurs", pas de doute, les producteurs veulent nous faire comprendre des choses, espérant très fortement que nous les retiendrons et nous nous les approprierons.
Bien que ces trois fonctions soient liées les unes aux autres, cet imbroglio théorique nous explique qu'un producteur a presque la nécessité de miser sur une marque pour vivre dans ce que Dallas nous décrivait si bien comme "un univers impitoyable" (je ne suis en aucun cas responsable du générique que vous avez pu chanter après cette phrase). Ici réside donc un profond dilemme : le fan n'est pas réellement un problème en soi, au contraire, il est un atout majeur, un allié de poids pouvant assurer le prospérité d'une licence. Néanmoins, ce même fan, dès lors qu'il devient un peu trop "web ou consom'acteur", peut au contraire modifier l'image de la marque elle-même. Le fait de sortir en partie Pokémon de son univers original pour le mettre dans un environnement plus mature vient directement déconstruire l'image même de Pokémon que le marketing transmédia tente de façonner depuis de nombreuses années : Pokémon Uranium n'est-il pas finalement pas ce que Game Freak et Nintendo tentent de nous susurrer à l'oreille depuis des décennies ?
Si pour une partie des fans, le fait d'intégrer un univers réellement adulte dans la série est une idée particulièrement attendue, elle ferait fuir d'un autre côté toute une population jeune, consommatrice des différents produits que proposent la franchise et qui ne comprendraient pas l'inquiétante mutation qu'a subi Pikachu, contraignant celui-ci à vivre avec cinq pattes et trois queues (ni même Sacha d'ailleurs regrettant amèrement ses jeunes années insouciantes au Bourg-Palette). L'image est bien évidemment grossie, mais il reste l'idée que développer des marques, licences ou franchises coûte particulièrement cher (financièrement tout comme en terme de temps), et le fait de modifier ne serait-ce qu'un aspect de l'univers d'une licence peut provoquer un véritable tourbillon fanatique (le cas de Star Wars en est un très bon exemple).
Tout n'est néanmoins pas sombre, il reste un bon côté à mentionner avant de conclure (car oui, il en existe malgré-tout), si pour les producteurs, changer un élément dans la marque reste un exercice assez périlleux, ils peuvent profiter de ce les fans produisent afin de bénéficier de pistes sur lesquelles travailler par la suite. En effet, ces passionnés n’ayant pas les mêmes cahiers des charges que les équipes de Recherche et Développement, ils peuvent donc “jouer” à leur guise avec les licences, les manipuler, les transformer, voire les désacraliser sans avoir le risque de perte de part de marché. Des mécaniques de gameplay originales, l’incrustation de crossovers improbables (Megaman x Street Fighter), de nouveaux personnages, ou bien la création de scénarii tout à fait singuliers sont autant d’éléments novateurs que l’équipe officielle pourrait penser à intégrer dans un futur opus. Ces fan games sont des sortes de “prototypes”, des mines d’or exploitables (et parfois exploitées) afin de voir ce qui peut fonctionner et ce qui risque de mettre à dos toute une communauté sans à devoir débourser le moindre centime.
"Je voulais refaire quelque chose qui méritait d'être repensé, et à l'époque, c'était une bonne idée. Metroid est le seul univers de Nintendo avec une histoire cohérente, avec une bonne continuité. Les gens peuvent aimer la majeure partie des chapitres tout en jouant des jeux complets. Le seul chapitre quelque peu dépassé était Metroid 2 donc finalement, AM2R était la pièce manquante. Au vu de la différence entre ces deux jeux (Metroid : Samus Return et AM2R) je suis sûr que beaucoup de gens ne vont pas voir mon jeu comme un simple remake de Metroid 2" . DoctorM64.
Si le destin de ce fan game lui a valu des affaires avec Nintendo, il montre que la volonté première du projet était d'offrir une version revisitée à un jeu qui, selon lui, le méritait. Par chance, ou malchance (tout dépend du point de vue), Big N avait également en tête un projet similaire qui lui a valu de sortir les griffes à la vue de ce concurrent indépendant. Est-ce que le fan game a motivé ce possible nouveau Metroid ? La question risque de trouver difficilement une réponse, peut-être que nous aurons droit à des aveux à demi-mots dans quelques années, mais une chose est sûre : les fans et les producteurs ne sont pas nécessairement des concurents, il est au contraire nécessaire que ces deux acteurs travaillent ensemble. Il serait d'ailleurs possible de se demander si toute cette controverse autour de ce remake de Metroid, n'a pas servi à Nintendo plutôt que l'inverse. Le très bon accueil de ce fan game a mis à la fois en lumière la communauté de fans de la licence et à su intéresser d'autres curieux qui ont pu s'essayer à un jeu du genre avant de se décider à acheter d'autres titres de la licence, dont le dernier en date sur 3DS.
Pour finir, revenons de nouveau sur une question posée en début d’article: un producteur a t-il le droit de faire disparaître un patrimoine culturel commun, même s’il en a les droits juridiques ? D’un point de vue de la loi, la réponse est bien évidemment oui, mais du point de vue moral et technique, la question est plus difficile à trancher. Le producteur détient en effet la licence, il peut prendre la décision de fermer un site ou de bloquer des liens de téléchargement “officiels” du fan game, mais il pourra difficilement détruire toute trace de celui-ci. Internet étant une véritable fourmilière, frapper dedans reviendrait seulement à brasser de l’air. AM2R, tout comme Pokémon Uranium sont autant d’exemples qui montrent bien que le pouvoir juridique est limité ; ces contenus sont toujours accessibles, des joueurs s’y essayent, continuent à commenter leurs exploits dessus et peut-être même qu’une nouvelle équipe se réunira afin de pallier les lacunes dont ces fan games pourraient encore être pourvues. Enfin, l’aspect moral, “le capital sympathie” limite également ces actions : engager des procédures lourdes à l’égard de fans, de passionnés, qui ne font que finalement de la promotion gratuite d’une marque ou d’une licence reste difficilement sanctionnable et risque au détenteur de la marque de se mettre toute une communauté fidèle à dos, le pari est donc assez risqué. L’appartenance d’une oeuvre culturelle est donc difficile à définir car si des producteurs en détiennent les droits légaux et juridiques, cet article nous montre bien qu’il est difficile de ne pas rendre à César ce qui est à César ; en d’autres termes, le fan reste un allié fidèle qui fera vivre la licence tout au long de sa vie, compliqué donc de se froisser avec son gagne-pain... L’article touche à sa fin, mais une interrogation subsiste, une élément quelque peu paradoxal : pourquoi un fan chercherait à “braconner” une licence, alors qu’il sait, dès le lancement du projet que celui-ci risque de ne pas fonctionner? Il reste donc tout un pan du fan game à étudier, je vous donne donc rendez-vous très vite pour de nouvelles aventures…
PS : Comme vous avez sûrement pu l’observer si vous avez déjà lu mon premier article (je ne félicite donc pas les deux au fond qui n’ont pas fait leurs devoirs durant les vacances), je suis passé à la première personne du singulier qui me semble finalement moins académique et peut-être plus agréable à lire pour vous. J’ai également essayé de rendre cet article plus dynamique avec l’incrustation plus fréquente d’images et de références (parfois surprenantes, je le conçois). Je travaille avec vous sur ces études (c’est participatif, oui, oui), donc n’hésitez pas à me faire des retours, j’essaye de les appliquer au mieux dans mes écrits.
Réferences
Bibliographiques
Cochoy, Franck. « Parquer et marquer les produits, ou comment gérer le territoire du petit commerce. (États-Unis, 1929-1959) », Entreprises et histoire, vol. 53, no. 4, 2008, pp. 34-53. De Certeau Michel. L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, UGE, 1980. Jenkins Henry. Textual Poachers. Television fans and participatory culture, Londres, Routledge, 1992. Le Guern, Philippe. « « No matter what they do, they can never let you down... ». Entre esthétique et politique : sociologie des fans, un bilan critique », Réseaux, vol. 153, no. 1, 2009, pp. 19-54. Lewi, Georges. Branding management : La marque, de l’idée à l’action, Pearson Education, 2005. Thoenig, Jean-Claude & Waldman, Charles. De l’entreprise marchande à l’entreprise marquante, Paris, Éditions d’Organisation, 2005. Weber, Max. Essais sur la théorie de la science. Traduit par Freund, Julien. Paris, Editions Pocket, 1992.
Numériques
Fan Wars, Arte, BiTS, 2015. The People vs. George Lucas, Alexandre O. Philippe, Wrekin Hill Entertainment, USA, 2010.
Ressources graphiques (par ordre d’apparition)
Thumpxr / Imgur Lucasfilm/Disney Editions Wombat SensCritique gameinformer.com / Team Uranium retrojeux, Youtube / SEGA Capcom Unity, Youtube