La consommation de jeu vidéo semble se détourner des formats physiques au profit du dématérialisé, l'une des raisons causant sans doute pour partie la désertion progressive des boutiques spécialisées. Micromania, a choisi de faire face à cette difficulté en diversifiant ses activités pour l'étendre à la vente de goodies, comme nous vous l'expliquions dans dans cet article. La maison-mère de l'enseigne française, le géant américain Gamestop, a de son côté décidé de tenter de contrer cette tendance qui, entre autres, l'a conduite à annoncer la fermeture de 150 magasins dans le courant de l'année 2017.
Il faut bien le reconnaître, quelle que soit la plate-forme sur laquelle vous jouez, il n'est pas franchement compliqué d'acquérir de nouveaux jeux sans même quitter le confort de votre canapé. Sans même qu'il soit nécessaire d'évoquer le tout puissant Steam, qui a sans aucun doute mis un sacré coup de frein aux ventes physiques de jeux PC, Sony, Microsoft et Nintendo proposent tous leur propre service d'achat en ligne.
Et il faut admettre qu'il est difficile de donner tort aux joueurs qui désirent s'affranchir du format boîte pour profiter du dématérialisé. Outre les soucis assez pragmatiques d'encombrement, c'est aussi l'opportunité d'être instantanément informé d'éventuelles promotions d'un simple coup d'oeil sur la boutique en ligne qui séduit, promotions nettement plus récurrentes que celles proposées en boutique.
En somme, actuellement, il n'est pas nécessairement évident de convaincre des charmes des boutiques spécialisées face à l'accessibilité et l'immédiateté de l'achat de jeux vidéo en ligne. Alors pour tenter d'inciter davantage le joueur que le badaud à franchir le seuil de son enseigne, Gamestop vient de mettre en place un système de location en échange d'un abonnement mensuel.
Gamestop : le géant américain loue son stock d'occasion
Baptisée Power Pass, l'initiative du géant américain consiste à offrir la possibilité à sa clientèle de pouvoir piocher n'importe quel jeu d'occasion dans les stocks de la boutique en l'échange d'un abonnement de 60$ pour 6 mois. La souscription à cet abonnement n'est adossée qu'à la nécessité de posséder un compte gratuit sur le site de l'enseigne, ce qui permettra à cette dernière de garder à jour les allées et venues des jeux entre les mains des inscrits. En l'échange de ces quelques prérequis, le bénéficiaire pourra ramener chez lui un jeu à la fois, si tant est qu'il soit disponible dans le magasin près de chez lui. Une fois le jeu emprunté terminé, le client est libre de retourner en boutique pour fouiner dans les rayons afin de trouver un nouveau produit à lancer sur sa machine, l'ensemble débouchant sur la possibilité de garder l'un des titres empruntés définitivement à l'issue de la période de souscription.
Cette initiative a certes le mérite d'ouvrir l'accès à de très nombreux jeux en l'échange d'environ 10€ par mois, et même si l'emprunt est strictement limité aux jeux d'occasion, cela n'exclut pas la possibilité de s'essayer à des titres récents, certains d'entre eux revenant rapidement après leur sortie dans les bacs "occasions" des boutiques spécialisées.
Si concrètement, le prix est assez attractif en ce qu'il permet d'accéder à un catalogue certes limité aux stocks des magasins, mais concrètement assez varié et volumineux, difficile d'affirmer que l'idée parvienne à faire son chemin. Si nous percevons là l'intérêt de l'initiative, qui, en plus de rentabiliser les stocks d'occasion qui s'entassent, mais aussi de « contraindre » les joueurs à rentrer en boutique afin de les inciter à repartir avec un article dont l'achat n'était pas prévu, il n'est pas évident que le public se rue en masse dans les enseignes. Il existe en tout les cas plusieurs profils de consommateurs : certains achèteront leur jeu "day-one", tandis que d'autres se refuseront toujours à y mettre le prix fort. C'est incontestablement ce public qui est visé par la mise en place de ce système de location, pouvant à terme conduire les joueurs les plus économes à dépenser un peu plus qu'ils ne l'auraient fait en l'absence d'un abonnement mensuel offrant l'accès à un vaste panel de titres.
S'il faut bien reconnaître que le temps de passage d'un jeu d'un état neuf à celui d'occasion est de plus en plus mince après la commercialisation du titre, et que l'on peut voir dans la souscription à cette offre une belle opportunité d'essayer avant d'acheter, il aurait sans doute fallu que l'offre s'étende au catalogue en ligne de la marque pour conquérir le public, même si l'on perçoit bien les difficultés techniques bloquant cette extension au tout online. Par ailleurs, avec l'inclination des éditeurs pour le fameux "Games as a service", qui suppose que les titres adoptant cette philosophie retiennent un maximum leurs joueurs pour leur faire acheter divers contenus additionnels, l'adoption de la location ne semble pas répondre aux attentes actuelles des plus gros producteurs de jeux vidéo. Un jeu est désormais conçu pour être préservé et joué sur une longue durée avant que son possesseur n'envisage sa revente et ne le propulse sur le marché de l'occasion.
Une fenêtre d'ouverture pour la France ?
Malgré tout, ce système de location présente des avantages sérieux et il convient de se poser la question de savoir si un tel dispositif pourrait arriver en France. S'il existe bien des solutions alternatives, comme des sites qui proposent de procéder à du troc en lieu et place d'une location officielle, le cadre juridique entourant le jeu vidéo n'offre pas beaucoup de flexibilité au procédé. Toutefois, comme nous l'a précisé Emmanuel Forsans, directeur général de l'AFJV, les faits sont un peu plus nuancés :
En théorie, c'est interdit. Enfin, en réalité, c'est juridique donc un peu plus subtil que ça puisque ce n'est pas autorisé. Certains, comme Metaboli ont essayé de mettre en place des systèmes de location un peu détournés, où il fallait payer un abonnement recevoir puis renvoyer le jeu, il ne fallait pas que ça ressemble à de la location afin qu'au tribunal, on puisse faire savoir que ça n'en était pas, que c'était un autre système, plutôt comme de la vente avec option de reprise.
Si la législation est peu claire, il existe toutefois un arrêt rendu par la Cour de Cassation le 27 avril 2004 qui fait désormais jurisprudence. La Haute Juridiction avait effectivement statué sur un litige opposant Nintendo à une entreprise louant les jeux de l'éditeur sans son accord préalable et abouti à la conclusion suivante :
La mise en place d'un système de location de jeux vidéo Nintendo sans autorisation de la société Nintendo company Ltd porte atteinte aux droits d'exploitation que cette société détient sur ces jeux.
En somme, si demain il vous prenait l'envie d'ouvrir une boutique dans laquelle vous proposeriez à la location les derniers hits en date, il vous faudrait au préalable négocier les droits de location auprès de chaque éditeur. Lourde tâche plus que dissuasive, d'autant plus que même l'entrepreneur le plus motivé pourrait se heurter au refus pur et simple des possesseurs du droit d'exploitation de tel ou tel titre de laisser leur bébé être disponible à la location.
Mais pourquoi les choses bloquent-elles en France ? Croire qu'il s'agit d'un manque de demande réelle de la part du consommateur serait une erreur, comme nous le rappelle Emmanuel Forsans :
Il suffit de regarder sur tous les forums... Je crois qu'il n'y a pas une semaine sans qu'on reçoive un email qui nous dise : « Je voudrais des informations sur la location de jeux » ou « je voudrais ouvrir un bar gaming, comment ça se passe pour mettre des jeux en location, en accès payant ou gratuit, etc. » , c'est en permanence. Et c'est la même chose de la part des consommateurs, c'est aussi une demande. Mais le consommateur n'est pas super clair, car les offres comme Metaboli n'ont pas marché.
La demande des consommateurs comme des entrepreneurs existe donc réellement et ne date pas d'hier. Pourtant, il semblerait que les éditeurs dans l'hexagone voient toujours d'un mauvais œil l'encadrement de la location, ou très certainement comme un manque à gagner. Contacté par nos soins, le SELL (Syndicat des Éditeurs de Logiciels et de Loisirs) a refusé notre demande d'interview, déclarant que « le syndicat ne prend pas la parole sur la thématique de la location de jeux vidéo physique en France. » Micromania-Zing, de son côté, n'a pas désiré s'exprimer sur ce sujet dans l'immédiat.
Un marché hexagonal trop prospère pour la location
Il semblerait en tout cas que le marché français en particulier ne soit pas le terrain le plus fertile pour faire pousser des boutiques de location de jeux vidéo, en raison notamment de méthodes de consommation assez généreuses de la part du public hexagonal, comme le souligne Emmanuel Forsans :
Le marché de la location ne s'est jamais développé en France parce que les éditeurs n'en avaient pas besoin. C'est un marché qu'on développe lorsque l'on a besoin d'un relais de croissance et la location va faire mécaniquement baisser les ventes retail et perdre des clients. La France est un marché qui va presque « trop bien », le consommateur est gentil. C'est le pays où les jeux vidéo sont vendus le plus cher. Et si les prix sont ce qu'ils sont aujourd'hui, c'est parce que c'est possible.
Si rien n'a été mis en place c'est aussi parce que les éditeurs allaient trop bien et qu'ils sont concentrés sur leurs ventes. C'est un peu basique, mais dans le fond, c'est le cas. Ils sont concentrés sur leur rapport du prochain trimestre pour la société mère. C'est très formaté et on n'en bouge pas parce que la société mère n'a de toute façon pas donné son aval, etc. Ce sont des vendeurs qui ont des quotas à remplir : leur objectif est de vendre des boîtes dans les magasins, et basta.
Effectivement, difficile de trouver une raison valable pour une entreprise de rendre de casser les prix de ses prodEffectivement, difficile de trouver une raison valable pour une entreprise de casser les prix de ses produits tant que les gens sont prêts à y mettre le prix fort. Toutefois, un système de location permettrait aux éditeurs de garder le contrôle sur le marché de l'occasion, contrôle qui leur échappe totalement pour le moment. Un titre d'occasion pourra être revendu plusieurs fois, mais l'éditeur ne retirera des bénéfices que d'une seule vente au prix fort. Pourtant, cette perspective ne semble pas suffisante pour donner l'envie aux entreprises de réglementer un marché de location, qui pourtant pourrait sans doute être viable, comme c'était le cas pour la location de vidéos il y a quelques années de cela. L'arrivée d'une telle initiative n'est certes pas totalement exclue, et pourrait même être matériellement faisable, si elle est soumise à un consensus de la part de l'ensemble des éditeurs, ou du moins des éditeurs majeurs du secteur, comme l'explique le dirigeant de l'AFJV :
Je ne pense pas que la location en France puisse fonctionner si tous les éditeurs, en gros le S.E.L.L., ne se penche pas sur la question. Si ça fonctionne éditeur par éditeur, on refera ce qu'a fait Metaboli, à savoir des ersatz de propositions, qui ne seront pas satisfaisantes parce qu'il en manquera toujours un morceau. Il faudrait que l'intégralité des éditeurs en France mette en place le marché de la location comme ça a été fait pour la vidéo avec une grille de tarifs.
Si je veux acheter un jeu pour le mettre en location, il me coûtera 400 ou 600 euros et après les bénéfices de la location sont pour moi. Les entrepreneurs pourront développer un business parce qu'ils penseront pouvoir s'en sortir et les éditeurs, eux, n'auront pas l'impression d'avoir trop perdu parce que leur jeu aura été vendu 5 ou 10 fois le prix... Je crois que tout le monde pourrait s'y retrouver, mais seulement si le marché est clair et que l'offre est globale. Ce n'est pas avec des fragments d'offres que la location pourra fonctionner.