Le jeu vidéo est une industrie florissante qui chaque jour parvient à nous surprendre. Et pas toujours pour les bonnes raisons. Car si le médium évolue, les pratiques qui l'entourent en font de même : c'est notamment le cas de son économie et des différents business-models qui existent. Parmi lesquels, celui des micro-transactions. Si le phénomène n'a rien de nouveau, il prend petit à petit de l'ampleur. Au point de devenir le modèle du futur ?
Paru le 6 septembre dernier, Destiny 2 a rapidement fait l'actualité. Pas pour ses qualités, et donc les tests globalement positifs. Un détail a attiré l'attention d'une partie des joueurs : le nouveau titre de Bungie embarque un système de micro-transactions. C'est-à-dire qu'outre la soixantaine d'euros qu'il demande à l'achat, Destiny 2 propose également à son propriétaire de verser quelques euros supplémentaires, pour obtenir divers objets in-game. De quoi éveiller la colère de ceux qui, pour la plupart, n'avaient pas encore touché au jeu. Il faut dire que les micro-paiements n'ont pas vraiment bonne presse et que, comme les DLC et autres season pass, ils sont largement critiqués par ceux qui y voient une déviance, une énième preuve de l'avidité des grands éditeurs. Parmi lesquels figure en bonne place Activision, qui édite la licence Destiny. C'est peut-être pour cette raison que la réaction fut si vive, au sujet du shooter de Bungie. En vérité, si le jeu propose bel et bien des achats in-game, cela se limite à quelques collectibles et mods d'amélioration qui peuvent facilement se gagner en jouant, tout simplement. Mais cette vive réaction est avant tout représentative de l'aversion d'une énorme partie des joueurs vers un business-model qui prend de l'importance, de jour en jour, précisément parce qu'il rencontre un incroyable succès.
Aux origines du jeu vidéo
Les micro-transactions sont globalement perçues, par le grand public, comme une pratique assez récente, et qui traduit, selon lui, de l'avilissement du jeu vidéo. De la dégénération d'une industrie qui génère toujours plus d'argent et qui ne vivrait plus que dans cet optique. Toutefois, si l'on se penche sur l'histoire du jeu vidéo, et même du jeu de manière plus globale, on comprend que la pratique ne date pas d'aujourd'hui, bien au contraire. Il est même assez difficile de juger quel titre a, pour la première fois, incorporé un système de micro-transactions. Le jeu vidéo, en tant que divertissement, a toujours été pensé comme un moyen de produire des revenus. Les méthodes ont évolué, mais en soi, l'acte de faire payer régulièrement les joueurs, comme cela peut être le cas aujourd'hui dans un Counter-Strike : Global Offensive, un League of Legends ou un GTA Online est aussi vieux que le jeu vidéo lui-même. Les premières salles d'arcade proposaient des jeux mécaniques et électriques, avant l'arrivée des premières bornes de jeux vidéo ; pour y jouer, il fallait glisser dans la fente prévue à cet effet quelques pièces. Ils représentaient déjà une forme de revenu intéressante pour leurs constructeurs, mais aussi pour ceux qui les exploitaient.
Lorsqu'ils sont apparus dans les salles d'arcade, les jeux vidéo ont, en toute logique, suivi le même chemin. Les jeux pouvaient être difficiles et ce volontairement, de sorte que le joueur sorte à nouveau son porte-monnaie. Nombre de ces jeux sont aujourd'hui des références historiques de l'industrie du jeu vidéo. On compte parmi eux Space Invaders, Pac-Man, Donkey Kong, Galaga, OutRun, Bubble Bobble, Arkanoid... La démocratisation des consoles de salon, notamment avec la NES, peu de temps après le krach du jeu vidéo (1983), a toutefois changé la donne. Les joueurs ont alors commencé à consommer le jeu vidéo d'une autre manière. Les jeux ont évolué en conséquence : plus longs, plus complexes... Et toujours plus chers à produire. Une poignée de jeunes concepteurs a suffit à donner naissance au premier The Legend of Zelda, en à peine deux ans ; il aura fallu plusieurs centaines de développeurs, et cinq années de travail pour donner naissance à The Legend of Zelda : Breath of the Wild.
Alors qu'une seule et même borne pouvait amuser des centaines de joueurs, et ainsi rapporter énormément d'argent, l'évolution naturelle du jeu vidéo a changé la donne. Fabriquer et livrer des consoles en nombre suffisant a un coût ; à tel point que les fabricants, comme aujourd'hui Sony et Microsoft, doivent patienter plusieurs années avant de gagner de l'argent sur les ventes de machines. Les jeux sont eux plus rentables, mais sont soumis à la même logique : ils coûtent de l'argent.
Des jeux toujours plus chers à produire
Ces coûts, tout le monde ne peut pas les encaisser. Il s'agit trop souvent, pour certains, d'un véritable pari : créer un jeu vidéo, en 2017, revient à miser une grosse somme d'argent, en espérant la récupérer, avec bénéfice, si le jeu se vend bien. Alors, forcément, les grands noms du jeu vidéo ont rapidement cherché une façon de grappiller quelques billets supplémentaires. Dans les années 80 et 90, on a souvent multiplié les suites faciles ; Mega Man s'est fait à ce sujet une belle petite réputation, car le succès du premier épisode a permis d'engendrer rapidement des suites développées en un temps record ; sur PC, les extensions ont rapidement pointé le bout de leur nez. En réutilisant le travail déjà effectué sur le jeu original, les développeurs créent à moindre coût de nouveaux contenus qui peuvent rapporter gros. Très gros.
Au début des années 2000, lorsque Microsoft travaille sur sa première console de salon, il est rapidement décidé que la console doit bénéficier d'un disque dur interne, et d'une connexion internet. Selon Seamus Blackley, co-créateur de la Xbox, ces deux fonctionnalités permettront aux développeurs de proposer régulièrement aux joueurs de nouveaux contenus, de corriger à distance d'éventuels bugs, et donc de permettre aux titres les plus appréciés de vivre plus longtemps. Si Blackey pense principalement à l'intérêt des joueurs et des développeurs, il a à ses côtés Kevin Bachus, l'autre père de la première Xbox. Ce vétéran de Microsoft se passionne rapidement pour le projet et il perçoit les nombreux intérêts financiers de la connexion internet et surtout du disque dur. Alors que de nombreuses personnes, chez Microsoft, estiment que ce coûteux espace de stockage n'est absolument pas nécessaire, il va insister jusqu'à obtenir gain de cause. Le futur lui donnera rapidement raison.
La démocratisation des jeux vidéo, dans les années 2000, grâce à la 6ème génération de console et l'explosion du marché des mobiles, va donner naissance à un autre genre de jeux. Sur Facebook, qui domine rapidement le monde des réseaux sociaux, l'éditeur Zynga se fait un nom en éditant des jeux à budget réduit, simples d'accès mais surtout extrêmement profitables. Les mécaniques sont pensées de sorte que le joueur est invité, régulièrement, à utiliser sa carte de crédit. De l'autre côté du globe, en Corée du Sud, Nexon adopte également le modèle du free-to-play ; l'idée est de développer des jeux intéressants, avec des budgets modérés, et de gagner de l'argent avec des achats in-game. Une idée née presque par accident, comme l'expliquait en 2015 Owen Mahoney, le PDG de Nexon. Alors que l'un de ses jeux à abonnement voyait sa population décroître de manière inquiétante, l'équipe dirigeante a décidé de rendre son accès gratuit, troquant le système d'abonnement payant contre des micro-transactions. La courbe de fréquentation s'est inversée en seulement quelques jours. De quoi les convaincre du bien fondé de leur démarche.
Les grands éditeurs à la recherche d'un nouveau modèle
Si ce nouveau business-model a permis à de nouveaux studios et éditeurs de se faire un nom, il a rapidement été embrassé par les grands noms de l'industrie. Bon gré, mal gré. En 2013, c'est Electronic Art qui s'y essaie, avec une certaine audace. Dead Space 3, le troisième opus d'une série alors très populaire, enflamme les joueurs, lorsqu'ils découvrent un système de micro-transactions permettant d'améliorer les armes du jeu, ou d'en obtenir de plus puissantes. S'il est possible de le faire naturellement, sans payer, le processus est si long et si fastidieux qu'il rebute de nombreux gamers. Qui n'hésitent pas à accuser EA et Visceral Games de pousser les joueurs à débourser des euros supplémentaires, pour profiter pleinement de leur jeu. La polémique ne va pourtant pas refroidir les éditeurs et développeurs : depuis février 2013, les micro-transactions se sont multipliées. Difficile de trouver un titre AAA qui n'en propose pas. Afin de rédiger cet article, nous avons interrogé les joueurs via Twitter et ceux-ci ont mentionné de très nombreux jeux, et ce dans tous les genres possibles et imaginables. Diablo III, Crusader Kings II, Asura's Wrath, Team Fortress 2, Candy Crush, FIFA, Guitar Hero Live, Les Sims 3, Overwatch, HearthStone, Rocket League, Call of Duty Infinite Warfare, Grand Theft Auto V, Fallout Shelter, Halo 5 : Guardians, Destiny, Warframe...
Et les avis divergent. Si de nombreux joueurs critiquent vivement cette pratique, estimant qu'après avoir payé 60 ou 70€, il est anormal qu'ils ne puissent jouir de tout le contenu qu'a à proposer le jeu, d'autres sont plus nuancés. Pour Anthony, si le jeu est gratuit, il ne voit pas de problème à ce qu'un système de micro-transactions soit mis en place ; de même que comme « Noctis Caelum », les achats in-game ne sont pas un souci s'ils ne concernent que la partie esthétique du jeu. En effet, de nombreux titres proposent d'acheter directement des costumes, des armures, des skins, qui n'ont aucun impact sur le gameplay du jeu ; les joueurs qui utilisent leurs cartes de crédit ne sont aucunement avantagés une fois en ligne. C'est la formule utilisée par des jeux free-to-play comme League of Legends, mais aussi des AAA payants comme Halo 5 : Guardians, par exemple.
Seulement voilà, tous n'ont pas cette démarche. Vous avez été nombreux à réagir en citant des jeux qui, trop souvent, avantagent ceux qui n'ont pas hésité à sortir leurs cartes bancaires. Notamment la série FIFA, et son mode de jeu FIFA Ultimate Team, très populaire chez les fans de la licence, ou encore Call of Duty Infinite Warfare. L'un comme l'autre permet aux joueurs d'acquérir des lots au contenu aléatoire (des joueurs pour FUT, des armes pour Infinite Warfare). Bien entendu, les meilleures armes et les meilleures joueurs sont plus rares. Puisque la compétition en ligne fait rage, certains joueurs sont parfois tentés de dépenser plusieurs dizaines d'euros supplémentaires pour obtenir leurs précieux sésames. Certes, il est possible de les obtenir en jouant, mais la tâche est autrement plus compliquée.
Le piège gacha
Cet aspect aléatoire des achats in-game fait recette, à tel point qu'il s'est généralisé à de nombreux jeux vidéo. Ce modèle a cela d'intéressant qu'il excite le désir du joueur, l'incite à payer encore et toujours plus de coffres, de paquets de cartes virtuelles. Valve et Blizzard engrangent chaque année des millions de dollars, grâce aux micro-transactions de Counter-Strike Global Offensive, Hearthstone ou Overwatch. Des recettes qui permettent certes de faire des bénéfices, mais qui peuvent financer les nombreux projets de ces grands noms du jeu vidéo. Et de rentabiliser les coups démesurés de leurs développements.
D'autres, en revanche, vont beaucoup plus loin. On parle ici des fameux gacha games, comme le très populaire Dragon Ball Z Dokkan Battle. Très appréciés au Japon, où ils pullulent depuis des années, les gacha débarquent peu à peu en occident et y rencontrent le même succès. Il faut dire que la formule est hyper efficace : dans le cas de Dragon Ball Z Dokkan Battle, il s'agit de se constituer une petite équipe de personnages issus de l'oeuvre d'Akira Toriyama, et d'affronter d'autres équipes. Si ces jeux disposent de leur propre système monétaire, ils proposent tous obligatoirement des achats in-game, des micro-transactions qui vont permettre aux joueurs d'acheter des packs de personnages. En espérant obtenir les meilleurs du jeu. Tout est mis en place pour laisser croire au joueur qu'il pourra mettre la main sur ce qu'il vise. Mais les taux de drop sont ridicules et dans certains cas, limités, par pallier, aux sommes que le joueur a investi de sa poche. Certains personnages n'ont presque aucune chance d'être obtenus si le joueur n'a pas dépensé plusieurs centaines d'euros. Un véritable piège, et un vrai risque pour les joueurs non avertis, qui pour certains vivent des situations difficiles, semblables à celles rencontrés par les addicts aux machine à sous. Récemment, c'est le vidéaste Krayn, pourtant lui-même un grand adepte de jeux gacha, qui avertissait les joueurs de Dokkan Battle, via sa chaîne YouTube. Un coup d'épée dans l'eau ? C'est possible. Les jeux de ce genre sont généralement conçus par de petites équipes qui font vivre leurs jeux tant que dure la hype, avant de partir sur le développement d'un nouveau titre. Un gacha en remplace un autre, et l'argent continue de couler à flot.
Le début d'un long changement ?
Mais ce qu'il faut bien garder en tête, c'est que si ces micro-transactions existent encore, et se développent, c'est principalement parce que les joueurs le permettent. Ils exercent chez de nombreux joueurs un certain attrait. C'est Zerekiel, sur Twitter, qui nous disait être « plutôt soulagée de pouvoir si besoin, parce que pas de chance au loot ». D'autres apprécient simplement le fait d'avoir le choix. Que cette possibilité existe. Car tous les joueurs ne peuvent pas, ou ne veulent pas, passer des dizaines d'heures sur un jeu, pour obtenir une arme, un skin, un personnage. Ce sont les joueurs qui valident ces procédés, comme le prouvent les centaines de millions de dollars qu'empochent chaque année Rockstar et Take-Two, avec GTA Online. Et il ne s'agit que d'un exemple parmi tant d'autres. Nintendo, Electronic Arts, King, Zynga, Ubisoft, Activision, Valve, Blizzard, ou Ubisoft, tous misent sur ce business-model.
Nous le disions plus haut, le jeu vidéo coûte de plus en plus cher à produire et nombreux sont ceux à chercher une solution alternative. Les micro-transactions en font partie. En 2012, Peter Moore, alors patron de EA Sports, affirmait que tous les jeux partiraient vers le modèle du free-to-play dans les cinq à dix années à venir. Tommy Palm, le PDG de King, estimait en 2014 que tous les jeux vidéo finiraient en free-to-play, un jour ou l'autre. Ce qui est certain, c'est que les acteurs du jeu vidéo cherchent de nouvelles façons de financer leurs travaux. Ce n'est pas pour rien si les jeux en early-access se multiplient : les succès d'ARK : Survival Evolved, Conan Exiles ou plus récemment PlayerUnknown's Battleground, prouvent que les joueurs sont prêts à payer pour un jeu souvent loin d'être terminé. Comme Star Citizen, qui continue de faire rêver des milliers de joueurs. L'industrie a évolué, mais les joueurs et les moyens de communication également. Les studios ne veulent plus faire de paris, ils cherchent désormais d'autres façons de faire rentrer de l'argent, pour les développeurs en cours ou ceux à venir. Nous ne sommes probablement qu'au début d'une métamorphose plus complexe, il sera intéressant de regarder en arrière, d'ici dix ans, et de voir comment les choses ont évolué.