Avez-vous déjà réfléchi à votre manière de jouer aujourd'hui, par rapport à vos premières expériences vidéoludiques ? Si faire son introspection n'est jamais une mauvaise idée, une chose est sûre : notre façon de jouer évolue et le passage à l'âge adulte a un impact fondamental sur notre sens du gaming. Pour le meilleur et pour le pire.
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com. Vous êtes d'ailleurs convié à donner votre avis sur le sujet dans les commentaires, MP ou même via Twitter à l'auteur (@Anagund)
La Découverte
On ne naît pas joueur. Sauf cas médical particulièrement rare, aucun de nous n'est arrivé au monde une manette dans les mains, fier de notre dernier frag infligé avec classe et brio. Pour nous tous, le jeu vidéo a été une découverte, un choc, puis un long, très long apprentissage. C'est en passant des heures et des heures sur tel boss, tel niveau, tel puzzle ou encore tel serveur qu'on finit par modeler notre identité, ce qui ne se fait que rarement sans un certain sens du sacrifice... de notre vie sociale. Si je devais moi-même décrire mes débuts dans le jeu vidéo, qui ont eu lieu vers l'âge de 3 ans, le premier mot qui me viendrait à l'esprit serait le suivant : naïveté.
C'est émerveillé, des étoiles pleins les yeux, qu'on a découvert ce monde fantastique et toutes les histoires qu'il a à nous raconter. Mes premiers balbutiements sur Game & Watch, mes premières crises de nerfs à en péter des joysticks d'Amstrad CPC 464 sur Commando, les premières soufflantes de ma mère parce que je jouais trop, mon premier jeu de foot avec Kick Off, La première fois que j'ai vu une console tourner avec Double Dragon sur Famicom, mon premier J-RPG avec Final Fantasy V en import japonais, la première fois que j'ai compris un J-RPG avec Secret of Mana... Je pourrais continuer des siècles à énumérer mes premières fois et vous pourriez d'ailleurs tous faire de même.
I know Kung-Fu
Toutefois, au fur et à mesure de notre expérience, notre façon d'appréhender le jeu vidéo évolue. Croyez-moi, on devient sans aucun doute un autre homme quand on a joué 500h à Super Mario Bros 3 alors qu'on a fini le jeu des dizaines et des dizaines de fois ! Notre naïveté s'évapore et laisse place à la maîtrise. De plus en plus, on ne joue plus aux jeux pour être seulement ébahi, mais aussi pour être meilleur. La difficulté nous effraie de moins en moins, et on recherche des challenges corsés. On peut voir ça comme un gain en maturité, même si mine de rien, cela a tendance à faire de nous des "vieux cons" : on a toujours l'impression que les jeux sont de plus en plus faciles alors qu'en vrai, la plupart du temps, on est juste devenu plus expert.
Ce qui est sûr, c'est que vieillir dans le jeu vidéo a de superbes avantages. Qui, plus jeune, n'a pas acheté une daube infinie par manque de connaissance ? Les fameux "achats-jaquette"/"achats-magazine" (pour ma part, c'est Nintendo World Cup, soit dit en passant) sont une sorte de relique du passé qui nous ferait presque regarder l'ancien soi avec un regard rigolard et un poil condescendant. Mais c'est dans le gameplay que les joueurs peuvent noter une vraie évolution de leurs propres connaissances. A force de jouer, on reconnaît toutes les mécaniques, toutes les phases que peut offrir un jeu. Notre cerveau peut résoudre des énigmes et effacer les obstacles en mode automatique, sans même s'en rendre compte. A ce niveau, la saga Zelda est un très bon exemple. Si vous avez commencé à y jouer à l'époque 8-16 bits, rares sont les donjons des épisodes sortis dans les années 2000 à vous avoir posé des problèmes. Parce que vous avez gagné en logique "jeu vidéo", voire, en logique "Zelda". Un test simple peut nous aider à nous rendre compte à quel point notre cerveau est conditionné aux jeux vidéo : filez une manette à une personne complètement néophyte et vous vous verrez que des actions aussi simples que sauter, se mouvoir ou placer un cube dans une trou en forme de cube peut s'avérer diablement compliqué quand on est pas habitué au virtuel. Et pendant ce temps-là, nous, on comprend où se trouve le boss du Palais de L'Ombre rien qu'en voyant la forme des salles sur notre carte, pourtant grisée.
Combattre le temps qui passe
Mais si vieillir a du bon, il y a aussi des inconvénients, bien plus présents qu'on ne l'imagine. D'une, l'émerveillement, ça marche les premières années, mais ça ne marche pas indéfiniment. Au bout d'un moment, on finit par connaître tous les genres, tous les puzzles, toutes les idées et il est difficile de lâcher un waoow d'étonnement devant des principes observés maintes et maintes fois. Là encore, le côté vieux con resurgît et tout ça, c'est "la faute des éditeurs qui font toujours la même chose", alors qu'on oublie juste qu'il est beaucoup plus difficile d'innover dans un secteur vieux de 40 ans que dans un secteur vieux de 10 ans. De plus, puisqu'on est meilleur de par notre expérience, les jeux nous challengent de moins en moins et on finit parfois par errer l'âme en peine dans des titres pourtant adulés par d'autres, parce qu'ils n'arrivent plus à nous surprendre. Une sorte de fatigue s'installe nous obligeant à nous tourner vers d'autres jeux : si les blockbusters, destinés à un public large, n'offrent souvent que peu de nouveautés aux vétérans, c'est dans les productions plus intimes, indés ou non, que les anciens peuvent trouver un peu de bonheur. Un Super Meat Boy, par exemple, s'adresse clairement à ceux qui ont poncé les Super Mario et autres jeux de plates-formes jusqu'à la moëlle.
Toutefois, il y a un autre élément, souvent oublié, qui peut drastiquement modifier notre approche du jeu vidéo lorsque l'on prend de l'âge : notre vie sociale. Reprenons mon exemple de Super Mario Bros 3, sur lequel j'ai sans doute passé bien plus que 500h. Oui, à l'époque, je connaissais bien moins le jeu vidéo qu'aujourd'hui. Mais si j'ai passé autant de temps dessus, c'est aussi pour deux raisons bien communes : le temps et l'argent. A l'époque de sa sortie en France, j'avais neuf ans. On ne peut pas dire que ma vie personnelle et sociale était à son apogée et traîner des heures et des heures par jour devant ma NES était pour moi tout à fait normal. En matière de ressources financières, j'étais comme vous vous en doutez plutôt limité, ne jouant qu'à ce que ma mère avait bien voulu consentir à m'acheter après l'avoir persécuté psychologiquement pendant des mois et des mois. Quand on a droit à un jeu toutes les Saint-Glinglin, on devient soudainement beaucoup plus enclin à devenir complétiste, voire immunisé contre la répétitivité.
Et ce sont justement ces raisons, le temps et l'argent, qui changent la donne quant à notre façon de jouer. Parce que là est le grand paradoxe lorsque l'on vieillit : on a de plus en plus de jeux, mais de moins en moins de temps pour les faire. Ca s'appelle avoir un travail, et potentiellement une vie sociale. Bizarrement, quand on rentre du travail à 21h, avec du boulot sous le bras, accueilli par sa moitié et potentiellement un ou deux rejetons, les 150h de jeu pour arriver au dernier boss du dernier RPG à la mode semblent soudainement devenir une épreuve insurmontable. Du coup, au fur et à mesure, de nombreux joueurs s'orientent vers des expériences plus courtes et plus directes, laissant sans aucun doute passer des pléthores d'opportunités. Des jeux comme Towerfall Ascension, les Mario Kart ou encore les puzzle-game ne demandent pas un investissement intense pour rentrer dans une partie, contrairement à un Skyrim par exemple. Des expériences qui ont au moins un avantage : elles sont souvent moins longues et moins chères, tout en laissant des souvenirs parfois tout aussi intenses (n'est-ce pas Limbo ?).
Soyons bien d'accord, je ne dis pas que tout le monde est à loger à la même enseigne. Peut-être parmi vous existent quelques âmes d'enfant, qui malgré quelques décennies d'expériences arrivent encore à être constamment éveillés par de nouveaux jeux et à y jouer cinq heures par jour. Toutefois, je ne pense pas être le seul dans mon cas et je pense qu'il n'est pas mauvais de donner un bel exemple aux plus jeunes de ce qui peut les attendre par la suite. Quoi qu'il en soit, l'important, c'est de trouver l'expérience qui nous convient, aussi changeante soit-elle, pour que jamais ne s'éteigne la flamme.