C’est une remarque qui revient régulièrement sur Jeuxvideo.com, dans nos différents espaces de commentaires. Et même un partout sur le web, ou même dans les conversation. « Ce jeu, ce n’est pas une suite, c’est la version 1.5 du premier ! », peut-on lire ici et là. Cette petite phrase anodine, habituellement adressée aux suites de jeux plus ou moins populaires, pose question : pourquoi cette critique ? Que devraient faire les développeurs et éditeurs, pour l’éviter ? Et surtout, l’interrogation la plus essentielle, qu’est-ce qu’une bonne suite, en définitive ?
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
Ce sont les récentes annonces concernant Destiny 2, et surtout un nombre non négligeable de commentaires à son sujet, qui m’ont conduit à cette réflexion. Une réflexion plus globale, je vous rassure, puisque ce n’est pas la première fois que je la lis, cette fameuse critique. Dans le cas du shooter de Bungie, on pourrait grossièrement résumer les réactions des joueurs de la manière suivante : d’un côté, les connaisseurs et donc plutôt amateurs de la licence, qui dans l’immédiat semblent convaincus (il aurait fallu un véritable séisme pour qu’il en soit autrement) ; de l’autre, des gamers plus sceptiques, qui pour l’essentiel n’étaient déjà pas vraiment fans du premier, quelles que soient les raisons. En faisant cette critique, ces joueurs pointent du doigt ce qui, à leurs yeux, est un manque d’innovation, de nouveautés. Une position qui se comprend et se respecte. Mais au-delà du cas Destiny 2, sur lequel il est de toute manière idiot de se prononcer de façon aussi péremptoire tant il reste de choses à découvrir à son sujet, je m’interroge : qu’est-ce qui fait d’une suite… une « suite », justement ? Pourquoi cette attente de nouveautés, comme un besoin vital justifiant l’intérêt et l’achat d’un nouveau jeu ?
Les ingrédients d’une bonne suite
Des bonnes suites, ce n’est pas ce qui manque dans l’industrie du jeu vidéo. Vous êtes nombreux à le reprocher aux éditeurs et développeurs : les suite, ils aiment ça. Surtout lorsqu’un jeu a bien fonctionné. Il faut garder en tête que le jeu vidéo est un business, c’est une industrie puissante qui emploie de nombreuses personnes et qui a donc deux objectifs en tête : le premier, bien entendu, c’est de s’enrichir ; le second, et c’est par ce biais que le premier objectif peut être réalisé, c’est de concevoir des jeux qui vous divertissent. Pas par humanisme, ça non, mais simplement parce qu’en vous satisfaisant, un éditeur ou un développeur maximise ses chances de gagner encore plus d’argent. Notez qu’on ne doute pas une seconde que la plupart développeurs, qu’ils bossent chez Ubisoft ou pour un petit studio indépendant, prennent leur pied à travailler sur un jeu qui amusera et plaira aux joueurs. Ne soyons pas cyniques !
Revenons à nos moutons. Il existe de nombreuses façons d’amuser les joueurs, surtout à notre époque : le public est large et varié, les goûts et les couleurs font qu’il est assez facile de trouver une cible potentielle. Et plus cette cible est large, mieux c’est, puisque c’est l’assurance d’un retour sur investissement intéressant. Parce que oui, que vous le vouliez ou non, le jeu vidéo fonctionne d’abord comme cela : pour faire des jeux, il faut de l’argent. De l’argent qui va financer les développements, éventuellement la campagne marketing, et surtout, payer les développeurs. Créer un jeu vidéo, ça coûte cher, très cher, et le risque zéro n’existe pas, il y a toujours la possibilité de ne pas gagner suffisamment d’argent pour couvrir l’ensemble des dépenses. Ou pas suffisamment pour financer le développement d'un nouveau projet.
Les suites sont donc une solution assez facile de rentabiliser ces premiers investissements. En produisant une suite, vous disposez déjà de bases solides : le moteur graphique peut être réutilisé, une partie des mécaniques de gameplay ont déjà été conçues et ont été approuvées par le public, les animations des personnages pourront être peaufinées sans être à nouveau créées de toutes pièces… Et ainsi de suite. Mine de rien, cela représente une économie d’argent plus que conséquente, et si jamais la suite fonctionne, l’argent qu’elle rapportera permettra de trouver un certain équilibre avec le premier épisode. Voire mieux : elle permettra d’engranger des bénéfices. Côté joueurs, c’est l’occasion de retrouver des personnages, un concept et/ou un univers que l’on apprécie. C’est d’autant plus vrai si, en terminant le premier jeu, on a été gêné par quelques défauts : on attend forcément de sa suite qu’elles les corrigent.
De nombreux titres, dans notre histoire, ont eu la chance de compter d’excellentes suites. Le cas le plus parlant qui me vienne tout de suite à l’esprit, c’est celui d’Assassin's Creed 2. Passionné d’Histoire, j’avais apprécié le premier épisode, à ceci près que le caractère redondant de sa progression m’avait rapidement ennuyé. Et je ne pense pas être le seul. En sortant Assassin’s Creed 2, Ubisoft est parvenu non seulement à corriger l’ensemble de ce que l’on pouvait reprocher à son grand frère, mais aussi à améliorer la formule, tant et si bien qu’encore aujourd’hui, il est aux yeux de bons nombres de joueurs le plus mémorable épisode de la série. On pourrait dire la même chose d’Uncharted 2, couronné de succès après une premier effort intéressant mais tellement perfectible. Plus récemment, ce sont Watch Dogs 2 et Titanfall 2 qui ont su grandir. Vous aurez probablement en tête d’autres exemples, je n’en doute pas, et vous en conviendrez donc : une suite n’est pas forcément une mauvaise chose, loin de là, surtout lorsqu’elle permet de peaufiner une formule qui ne demandait qu’à recevoir un petit coup de polish. Comme les jeux cités précédemment.
Revenons rapidement sur le cas Assassin’s Creed 2, pour mieux comprendre ce qu’est ce petit coup de polish: qu’avait-il fait pour mériter ces louanges ? Eh bien, sans refaire les tests de l’époque, c’est très simple : il faisait tout mieux que son prédécesseur. Ou presque. Le personnage principal était autrement plus humain et moins caricatural, les combats gagnaient en dynamisme, les objectifs étaient plus variés, l’évolution du scénario comptait moult péripéties et de nombreux moments marquants… Bref, carton plein. Ces améliorations venaient se déposer sur les bases posées par le premier jeu, à savoir le monde ouvert, l’alternance entre passé et présent, les assassinats, la lame secrète, les combats et leur système de contre, les phases de repérage, le free-run et la grimpette, etc. Le coeur du jeu restait sensiblement le même. Mais il avait su évoluer, sans se mettre en danger, car les bases du jeu étaient bonnes : pourquoi les changer ?
À l’inverse il arrive, plus rarement, que certains jeux prennent le risque de tout bouleverser au moment d’accoucher d’une suite, et donc pourquoi pas de séduire de nouveaux joueurs… Tout en préservant l’intérêt des autres joueurs. C’est ce qu’a réussi récemment The Legend of Zelda : Breath of the Wild, qui a su réinventer avec brio la série, qui après 30 ans d’existence avait commencé à se faire quelques détracteurs, qui critiquaient son immobilisme. Si son cas n’est pas unique, il convient de reconnaître que la prise de risque et l’innovation sont rarement récompensées à leur juste valeur, dans le jeu vidéo.
Le risque du changement
Car voilà, parfois, des développeurs souhaitent tout casser pour mieux reconstruire. Soyons honnêtes, à moins d’être indépendants, ces amoureux du risque sont finalement peu nombreux. Détruire quelque chose qui fonctionne, ce n’est pas une logique qui passe très bien, du côté des éditeurs, qui pour la plupart sont extrêmement vigilants quant à leurs comptes en banque. On les comprend : une mauvaise décision peut leur être fatal. Ce qui signifie généralement coupes budgétaires, réorganisations des effectifs, des licenciements, et pour ceux qui sont côtés en bourse, une baisse du cours de l’action et des investisseurs externes qui se montrent subitement beaucoup moins chaleureux. Ils ont donc tout intérêt à se tenir aussi loin que possible d’une telle situation.
Prenez le cas de Nintendo, tiens. Dans les années 80, alors que l’industrie du jeu vidéo se remet à peine de son premier crash (1983), le petit fabricant japonais va réussir à s’imposer sur la scène internationale, et notamment grâce à sa NES. Super Mario Bros. et The Legend of Zelda sont des cartons, et pourtant, lorsqu’il est question de proposer de nouveaux épisodes, Shigeru Miyamoto ne choisit pas la solution de facilité. Zelda II : The Adventure of Link est un jeu sacrément différent de son prédécesseur. Malgré de nombreuses qualités, il n’a pas été accueilli avec autant de ferveur que son grand frère. Même chose pour Super Mario Bros. 2, chez nous (à ne pas confondre avec The Lost Levels, donc).
Comment expliquer ces réactions ? Eh bien tout simplement parce que le premier Super Mario Bros, et le premier Zelda, reposaient sur une somme de concepts qui ont énormément plu, et que les joueurs attendent d’une suite qu’elle leur propose cette même base d’éléments de game-design. De même que certaines nouveautés, aussi bien pensées soient-elles, sonneront comme hors-sujet à leurs oreilles. Ce fut notamment le cas des combats de Zelda 2. Alors imaginez les réactions du public quand la nouvelle formule n’est pas parfaite en tout point. Récemment, Metal Gear Solid V : The Phantom Pain a été largement critiqué par certains joueurs qui estimaient que ce nouvel épisode n’était pas un vrai MGS. Le remake de Final Fantasy VII n’est pas encore sorti qu’il est déjà conspué par une partie des fans, qui regrettent l’abandon de l’Active Time Battle au profit de combats plus dynamiques, en temps réel. Dénonçant, en creux, une volonté de Square Enix de séduire un nouveau public, ce qui en soit est plutôt ironique, puisqu’il s’agit d’un des jeux les plus ‘’mainstream’’ de l’histoire.
Non, clairement, personne ne souhaite trop d’évolutions. Trop risqué pour les éditeurs. Trop compliqué pour les développeurs. Et les joueurs eux-mêmes n’en veulent pas vraiment. Et si la suite parfaite, c’était justement la suite un peu paresseuse, celle que vous êtes si nombreux à critiquer ?
Trouver le bon équilibre
Soyons honnêtes, à par quelques exceptions, les suites de jeux sont rarement des révolutions. Parce qu’une suite, ce n’est pas un reboot : elle se doit de maintenir une forme de cohérence avec le ou les premiers jeux de la série. C’est cette cohérence qui fait d’une suite une suite. Super Mario Bros. 3 est revenu aux bases, mettant de côté les lancers de poireaux et les tunnels à creuser dans le sable, se « contentant » de proposer de petites nouveautés.A Link to the Past a effacé Zelda II de l’ardoise, améliorant le premier épisode de la saga de bien des manières. Et ainsi de suite. Le brillant Uncharted 4 a magnifié la formule établie par Among Thieves, tandis que Dark Souls III s’est inspiré de ce qu’il y avait de mieux dans les deux premiers épisodes, ainsi que dans Bloodborne, pour devenir l’épisode le plus abouti de la famille. Ce sont en fait les petites nouveautés, les petites améliorations, qui sont saluées et appréciées. Ce qui impose donc une certaine connaissance de ce qui a été fait avant. Forza Horizon 3 est probablement l’un des meilleurs jeux de course de ces dix dernières années, mais en quoi est-il vraiment différent de son grand-frère ? Et pourquoi Mass Effect 2 est-il si supérieur à son aîné ? En vérité, le cœur du jeu reste inchangé, à chaque fois. Ce qui va véritablement changer les choses, aux yeux du néophyte, et même d’une bonne partie des joueurs, c’est l’emballage.
J’appelle emballage tout ce qui ne fait pas partie du cœur du jeu, de son game design. Prenons Uncharted 4, cité plus haut. Par souci d’équité, nous utiliserons également l’exemple d’un jeu Xbox, une suite acclamée : Halo 2. Ne fâchons personne, n’est-ce pas. Dans le fond, ces deux jeux sont pratiquement des copies confirmes de leurs aînés. Mais pourquoi ont-ils été autant acclamés ? Pour le premier, il s’agit toujours de visiter des destinations exotiques, de mitrailler des ennemis en évitant pièges et explosions en tout genre, sur fond de mystères archéologiques ; pour le second, c'est toujours une histoire de guerre futuriste, dans laquelle on tire sur des aliens, ou des humains dans des modes de jeu multijoueur, sur fond d'apocalypse. Ce qui les rendent différents aux yeux des joueurs, ce sont de petites choses, en fin de compte. Uncharted 4 repose sur une réalisation technique jamais vue sur console, tout en proposant des séquences hyper intenses dans de nouvelles destinations. Halo 2 incorporait de son côté la possibilité de porter une arme dans chaque main, le point de vue d’un nouveau personnage, et un multijoueur online, en plus du local. Dans l’un comme dans l’autre, on fait globalement la même chose qu’avant. Parfois d’une autre manière, dans de nouveaux endroits, avec d’autres personnages, pour de nouvelles raisons. Mais sur le fond, les choses évoluent peu. Est-ce un mal pour autant ? Absolument pas.
La vérité, c’est que les joueurs, y compris votre serviteur, s’attachent à un ensemble de mécaniques de jeu, mais aussi à un univers, des personnages. C’est éminemment subjectif, bien entendu. Mais pour beaucoup d’entre nous, nous ne demandons qu’à poursuivre la partie. Jouer à une suite, en fin de compte, c’est refuser que la partie s’arrête. Et vous savez quoi ? Il n’y a rien de mal à vouloir s’amuser, encore et encore.