Bien que le jeu vidéo à la maison existe depuis plus de 40 ans, notre manière d'utiliser nos consoles et PC a beaucoup évolué au fil des années. Pour le mieux ? Oui ! Toutefois, ces nouvelles habitudes ont eu un impact bien moins agréable qu'on ne le pense sur notre régime ludique, au point de gâcher certaines expériences...
Comme on aime souvent le rappeler, un édito est un article dans lequel un journaliste formule un avis tout à fait personnel. N'y voyez donc pas une quelconque affirmation universelle, mais juste les baragouinages d'un joueur auquel on a laissé un espace de liberté. Vous êtes bien sûr conviés à réagir par Twitter (@Anagund), MP, mail ou dans les commentaires. Si si, on lit, je vous jure !
Les temps ont changé
« Tiens tiens, Anagund qui s'apprête encore à parler des méfaits des nouvelles technologies... ». Non, rassurez-vous, loin de moi l'idée de me lancer dans une longue série de c'était-mieux-avant. Après plus de 30 ans de gaming, j'apprécie avec honnêteté les différentes avancées que le jeu vidéo a subi au cours des années, et je suis le premier ravi de ne plus avoir à souffler cinq fois dans ma cartouche, de lutter pour retrouver la bonne carte mémoire, d'attendre 10 minutes que mon jeu se charge sur mon Amstrad CPC 464 et d'avoir accès à de nombreux tests librement avant d'acheter un jeu. L'accès au jeu vidéo nous a été de plus en plus facilité, tant d'un point de vue économique (oui, c'était beaucoup plus cher avant...) que d'un point de vue logistique. Acheter son jeu en ligne en deux clicks et y jouer dans la foulée, c'est autre chose que de tirer le pantalon de ma maman pour qu'elle m'achète un jeu à 500 francs (76€ sans compter l'inflation) alors qu'elle essayait vaillamment de faire les courses au Cora de la ville pour qu'on ait de quoi manger cette semaine. Mais si j'ai appris à me contenter d'une Majorette à l'époque, j'ai pu entre-temps observer l'évolution du secteur vidéo-ludique et l'impact des nouvelles technologies.
Si chaque période apporta sa nouveauté révolutionnaire, de l'arrivée des sauvegardes à celle des DLC, en passant par le format CD, c'est sur Internet que je voulais m'attarder aujourd'hui. Sans aucun doute, le web aura eu le plus gros impact sur notre manière de consommer le jeu vidéo, et c'est clairement pour le meilleur. Avec l'accès à l'information directe et, la plupart du temps, gratuite, les joueurs sont bien plus experts aujourd'hui qu'ils ne l'étaient auparavant. De nos jours, on achète plus en regardant l'arrière d'une jaquette avec des étoiles dans les yeux pour finalement tomber sur un étron intersidéral. On n'essaie plus de scruter vainement tous les magazines du quartier pour se rappeler du nom d'un jeu qu'on a croisé des yeux chez un pote. On ne cherche plus pendant des mois où est ce foutu Armet décrit dans le guide de Secret of Mana alors que l'objet en question a été supprimé du jeu avant sa sortie (BORDEL DE M...). Internet, grâce à sa puissance de réunion communautaire, permet aux joueurs d'être mieux informés, plus rapidement et à moindre frais. Ils connaissent les stratégies, les secrets, les trésors, les techniques, les passages secrets, les statistiques cachées, bref, ils savent tout... sans doute même un peu trop.
Mais je vous avais rien demandé moi !
Comme le titre de cet article semble vouloir l'indiquer avec la finesse et discrétion qui me caractérisent, cet accès massif à l'information peut avoir des effets nocifs pour le joueur, et ceci de bien des manières. La première qui vous viendra à l'esprit est celle qu'on appelle généralement le Spoil. Vous comme moi y avons tous eu droit : vous vous baladez tranquillement sur un forum pour parler de tout et de rien, avec l'innocence du petit chaton qui vient de naître, quand soudain vous tombez sur le post d'un sombre tocard qui révèle sans crier gare ce qui se passe à la fin du jeu que vous venez à peine d'acheter. Vous aurez beau pester pendant des heures en rêvant de coller votre poing dans la figure de l'abruti qui vous aura spoilé, le mal est déjà fait : vous savez, et vous n'oublierez pas. Alors vous vous dîtes que vous allez dorénavant éviter de traîner sur les forums qui traitent des jeux auxquels vous jouez, avant de vous rendre compte que 9GAG, Twitter ou encore Facebook sont, eux aussi, vos pires ennemis. A chaque scroll, l'inéluctable peut vous tomber sur le museau et vous ne pouvez strictement rien y faire. Peut-on encore compter le nombres d'internautes qui naviguaient sur le Web le cul serré le lendemain de la diffusion d'un épisode de Game of Thrones ? Bien évidemment, l'impact d'un spoil sur l'expérience de jeu dépend du titre. Apprendre à l'avance que Mario sauve la princesse à la fin de l'aventure, pas sûr que cela vous fasse sourciller. Par contre, dans un titre hautement narratif, il est évident que savoir le dénouement ou les surprises à l'avance peut avoir un effet très négatif sur votre façon de vivre ll'expérience globale. Je ne vais pas vous citer des titres, mais je suis sûr que des noms vous viennent en tête...
Trop d'informations tue
Le type de spoil que je viens de décrire part bien évidemment d'une mauvaise intention. Mais même avec de bonnes velléités, un jeu peut se retrouver vidé de sa substantielle moelle, la faute à un surplus d'informations. Ici, je parle des éditeurs et de leur manière de communiquer sur leurs produits. Ne soyons pas aveugle, le secteur du jeu vidéo est un milieu difficile où le marketing reste un des meilleurs moyens d'attirer le chaland avant même la sortie d'un jeu. Il suffit de voir les chiffres de précommandes, qui battent régulièrement de nouveaux records, pour comprendre l'impact de la communication sur les joueurs. Les trailers ont beaucoup plus de pouvoir sur nous que ce qu'on ose avouer. Ainsi, pour les éditeurs, l'intérêt est d'épater la galerie afin de montrer que dans leur jeu, il y a bien plus de choses que dans le jeu du voisin. On se retrouve ainsi noyés sous les bandes-annonces, parfois plusieurs dizaines pour un seul jeu, révélant la plupart des zones à visiter, des véhicules à conduire et même des boss à occire. Aujourd'hui, quand vous achetez un Battlefield, vous savez déjà presque tout ce que le titre peut vous offrir. Au diable le plaisir de la découverte, l'important, c'est que vous achetiez le jeu pardi ! Et le manque à gagner pour le joueur est véritable.
Une des nombreuses bande-annonces de Battlefield 1
Si vous en doutez, un titre récent vient juste de nous prouver le contraire. Début mars sortait en effet un certain The Legend of Zelda : Breath of the Wild, acclamé par la presse et les joueurs du monde entier et déjà considéré comme une des meilleures expériences jamais conçues dans le jeu vidéo. Je n'ai pas l'intention de vous énumérer les innombrables qualités de ce titre, mais il y a une chose qui ne fait aucun doute : la communication de Nintendo est pour beaucoup dans son succès. Et par communication, j'entends la non-communication. Malgré une belle palanquée de trailers, pratiquement rien n'avait été dévoilé sur le jeu. Villages ? Donjons ? Narration ? Structure ? Le néant le plus total qui a attiré la curiosité sans ne jamais révéler son contenu. Résultat ? Les joueurs ont redécouvert le sens même du mot « découverte ». Ils ne se dévoilent pas seulement, au fil de l'aventure, le déroulement de l'histoire, mais plutôt la structure du jeu. Son genre, son intérêt. Ils testent les limites pour se rendre compte qu'une liberté totale leur est offerte. Chaque moment inédit se déguise en surprise et c'est au joueur d'explorer ce que le titre peut leur offrir. En ne dévoilant rien de son jeu aux joueurs, Nintendo leur a soumis une expérience digne de ce qu'avait réalisé le premier The Legend of Zelda en 1986 : une aventure épique sans point de repère qui pousse le joueur à créer sa propre route, constamment subjugué par les trouvailles incessantes.
Et la presse dans tout ça ?
Un succès incontestable auxquels les joueurs ont pris goût. Tout de suite, le mot d'ordre des gamers fut de ne rien révéler aux autres au fur et à mesure de leur propre expérience de jeu. Nombreux sont ceux qui ont compris ce qui faisait la force de Breath of the Wild. Car faire un titre comme celui-ci avec une soluce sur les genoux, cela serait se gâcher totalement l'expérience. Et croyez-moi, en tant que journaliste, l'affaire n'a pas été aisé car c'est justement dans ces moments que l'on se rend compte à quel point nous n'avons pas l'habitude d'une telle communication. Lors de l'écriture du test de Breath of the Wild, je me suis rendu compte que je ne pouvais rien dire sans avoir l'impression de vous spoiler tous ces moments d'étonnement et de surprise. Du coup, je n'ai rien dit, écrivant ainsi un des tests les plus vides de contenu que j'ai pu livrer sur le site (et c'est le mec qui a pondu le test de Pro Evolution Soccer 2011 sur PSP qui le dit). Il faut croire que c'était la bonne décision puisque j'ai reçu de nombreux messages me remerciant de m'être contenté de retranscrire mes émotions plutôt que de décrire le contenu. Cela ne m'a pas empêché quelques jours plus tard d'être un peu trop explicite quant au titre et à l'image d'un Gaming-Live, là où cela n'aurait posé aucun problème sur n'importe quel autre jeu. Fichtre, mais notre façon de consommer des jeux vidéo viendrait-elle de changer ?
Si l'absence d'information entourant Breath of the Wild avant sa sortie est un modèle du genre, partisan du succès planétaire du titre, il n'en reste pas moins un cas très particulier. Comme nous le disions, les éditeurs ont besoin de communiquer les atouts de leurs jeux pour les vendre aux joueurs, si possible en précommande (c'est-à-dire avant les tests). Ce qu'a fait Breath of the Wild, pratiquement aucune licence au monde ne peut se le permettre. La série Zelda est un monstre universel dans le jeu vidéo. Plus encore que Mario, les joueurs lui font une confiance aveugle et Nintendo n'a même pas besoin de livrer des infos sur son contenu pour que les joueurs se ruent dessus. Demain, si une nouvelle licence essaie quelque chose de similaire, elle fera un four monumental, peu importe sa qualité. C'est peut-être malheureux, mais c'est comme ça que nous fonctionnons, en tant que joueurs. On a besoin de savoir avant d'acheter, parce qu'on a peur d'être trahi. Et nous revoilà donc à notre point de départ, joueurs affamés d'information à en perdre la raison. Vivra-t-on encore des expériences comme celle de Breath of the Wild ? Pas si sûr...
Nous sommes fautifs
Car si les éditeurs sont les premiers impliqués dans cette surenchère de communication, les joueurs sont les premiers à vouloir juger à tout va sans avoir nécessairement touché au jeu. Aujourd'hui, le Web est à la fois tout puissant et absolument ingrat : l'effet de masse peut encenser ou mettre au pilori un titre sur des détails diablement sournois, parfois sans aucun rapport avec sa qualité finale. Internet fonctionne au click, au like et au pouce vert. Pour avoir l'impression d'exister, il faut être plus drôle, plus cinglant, plus à la mode que son prochain. Et comme être à la mode, c'est faire comme les autres, on s'est créé une jolie génération de moutons, dont nous faisons tous partie, qui n'apprécient plus les jeux selon ce qu'ils valent mais selon ce que la majorité en pense. Pour cela, je vais prendre un exemple simple : Mass Effect Andromeda. Vous l'avez sans doute remarqué, mais le grand jeu de ces derniers jours dans la sphère geek du net est de réaliser un GIF qui montrera le mieux à quel point les animations sont ratées. Comparaison avec celles de Mass Effect 1 ou avec un gorille, j'ai vu passer bien plus d'images drôles que de critiques du jeu lui-même. Alors soyons clairs, les animations de Mass Effect Andromeda sont loin d'être un modèle du genre, nous sommes tous d'accord sur ce point, mais la propension des joueurs à s'attarder sur les « memes » et à les épuiser jusqu'à satiété finit par nuire à l'appréciation générale du titre. On a parfois l'impression qu'un 9GAG a autant de puissance qu'un IGN pour jauger de la popularité d'un jeu, ce qui est certainement un problème pour le jeu vidéo malgré tout le respect que j'ai pour 9GAG.
Les joueurs, sans même s'en rendre compte, sont influencés par ce mode de pensée globale qui fait ou défait la communication autour d'un jeu. Je ne sais pas si Mass Effect Andromeda vaut finalement le coup vu que je n'y ai pas joué, mais ce que je sais, c'est que la pensée de masse vire toujours vers l'excès, dans un sens comme dans l'autre, et que ce modèle est exacerbé par Internet, un lieu où les idées se communiquent plus rapidement et où il faut se livrer dans la surenchère pour sortir du lot. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'un tas de joueurs pensent que Mass Effect Andromeda est un mauvais jeu juste parce qu'ils ont vu une pluie de memes sur les animations faciales. C'est à la mode d'en rire, et les exemples du genre sont innombrables. Il suffit de voir le nombre de commentaires négatifs sur Metal Gear Survive alors qu'on ne sait pas de quoi il sera fait pour s'en rendre compte. Oui, comme vous, je suis très dubitatif, mais de là à affirmer qu'il s'agira d'une intergalactique bouse, il y a un pas que je n'oserai personnellement pas franchir sans y avoir joué.
Ainsi, la culture du Web et l'accès à l'information ont une influence puissante sur notre façon de voir le jeu vidéo, avant même d'avoir posé nos mains sur un jeu. En savoir trop peut être néfaste à notre expérience et on oublie trop souvent que notre appréciation d'un titre passe par la façon dont on le découvre, autant que par la façon dont on le consomme. En savoir le moins possible, c'est se laisser surprendre, pour le meilleur ou pour le pire.
On peut tomber sur de très désagréables rencontres ou s'enivrer de nouveaux horizons, en s'émerveillant pas à pas. Gagnerait-on à ne pas en savoir trop sur les jeux que l'on achète ? Sûrement. Mais tous les joueurs seront-ils capables de prendre le risque d'être déçus, par simple ignorance ? Ont-ils les moyens de mettre 50€ dans un produit sans avoir une certaine forme d'assurance, critique ou populaire ? Voilà une toute autre question dont la réponse dépendra de chacun d'entre vous...