Depuis son annonce via un trailer de plus de trois minutes, celle qu'on appelle désormais la Nintendo Switch continue d'éveiller la curiosité des joueurs et de la presse. Il faut dire que Nintendo a beaucoup à jouer suite à l'échec de la Wii U, surtout si la boîte compte draguer les fuyants éditeurs tiers dans ses filets. Va-t-elle réussir cet exploit ? C'est pas dit...
Tout d'abord, voici un petit disclaimer de circonstance pour ceux qui n'auraient pas fait attention au bandeau orange de l'article. Il s'agit ici d'une opinion personnelle, basée sur une analyse du secteur et du passif de Nintendo. Le titre n'est donc pas une information mais une théorie. Je suis bien sûr ouvert à toute discussion via commentaires, mails, MP, Twitter, lettres anonymes et pigeons voyageurs. Votre opinion est la bienvenue !
Les enjeux
Avant d'expliquer pourquoi j'affirme cela avec une telle conviction, revenons un peu sur les enjeux pour Nintendo. Pour un constructeur, attirer les éditeurs tiers a plusieurs effets bénéfiques. D'une, cela permet de remplir allègrement la ludothèque de sa console avec des licences alléchantes, dont les noms suffisent généralement à ouvrir les portefeuilles. Activision, EA, Ubisoft, ça veut aussi dire Call of Duty, Battlefield et Assassin's Creed, entre autres. Ces titres populaires se vendent encore par palettes (malgré une tendance à la baisse pour certains) et nombreux sont les joueurs à ne pas vouloir faire une croix dessus. Pourtant, les gamers qui ont pour seule console de jeu la Wii U ont été obligés de faire sans ces dernières années. Oui, Nintendo a ses propres licences, mais ce n'est pas pour cela que cela suffit à tout le monde.
Une autre raison, c'est l'image de la boîte. On le sait, cela fait quelques années que Nintendo a du mal à attirer les éditeurs tiers dans son escarcelle, et cette image de tortue renfermée sur elle-même colle beaucoup trop au constructeur japonais. A une époque où le jeu online est primordial, même le grand Nintendo ne peut pas espérer pouvoir compter que sur ses propres studios pour s'en sortir. Bien que la Wii s'en soit très bien sortie en matière de ventes, on a aussi vu que ce succès ne tenait plus sur le long terme avec trois dernières années bien maigrelettes et une console exsangue au bout d'à peine cinq ans. La Wii U en a fait les frais par la suite et la Nintendo Switch se doit de redorer le blason de la boîte de Kyoto. Pour s'assurer que la majorité des joueurs s'intéressent à leur nouvelle console, cette dernière doit proposer les jeux auxquels la majorité des joueurs veut jouer. Avec 13,5 millions de Wii U vendues contre 23 millions de Xbox One et 45 millions de PlayStation 4, il n'est pas difficile de voir que les licences Nintendo seules ne suffisent pas.
Le problème
Mais comme le titre de cet article l'indique fort bien, je suis d'ores et déjà très dubitatif sur les capacités de Nintendo à attirer les éditeurs tiers avec la Nintendo Switch. Oui, je dis ça juste avec un trailer et quelques bribes d'informations. Mais comprenez le problème : pour que les éditeurs se mettent à développer sur la Nintendo Switch, il leur faut quelques assurances. Et la première des assurances, c'est le potentiel nombre d'acheteurs. Soyons clair, Nintendo revient de loin et même si la boîte peut compter sur ses fidèles, la Wii U a déjà prouvé que le simple nom du constructeur nippon ne faisait pas toujours des miracles. Ainsi, les hypothétiques acheteurs ne se bousculent pas encore au portillon et le concept de la console n'est pas assez évident aujourd'hui pour causer des raz de marées de bave devant les vitrines des magasins. Je vois mal quel éditeur pourrait dès maintenant se permettre d'utiliser un studio pendant deux ans et de mettre des dizaines de millions d'euros sur la table pour une console qui peut encore tout à fait faire un flop.
Un autre problème concerne directement le développement. Lorsqu'un éditeur fait un jeu, il espère pouvoir le vendre à un public le plus large possible, avec un coût le plus bas possible. Or, en offrant des performances très différentes de ce que proposent les autres grosses plates-formes du marché (PS4 et Xbox One), la Nintendo Switch pose un sérieux dilemme aux gros éditeurs. Les premiers échos semblent déjà situer la console en retrait technologique par rapport aux autres et tout porte à croire qu'elle aura du mal à acueillir les gros titres à venir, surtout avec l'arrivée de la PS4 Pro, puis de la Scorpio l'année prochaine. Certes, je parle une nouvelle fois des blockbusters qui ont besoin d'une technologie puissante pour épater la galerie dès le premier trailer, mais si je parle de ces jeux là, c'est parce que ce sont eux qui font vendre des consoles, et ça, c'est un fait. Ce problème, c'est celui qui a hanté la Wii U ces quatre dernières années. Entre développer un jeu pour PS4/Xbox One et s'ouvrir à 68 millions de personnes et développer pour Wii U et ses 13,5 millions d'acheteurs, les éditeurs de gros jeux n'ont pas eu à y réfléchir deux fois. Et si la Xbox One n'a pas ce problème alors qu'elle s'est vendue deux fois moins que la PS4, c'est parce que la machine de Microsoft, elle, possède une technologie similaire qui peut accueillir les mêmes jeux avec un rendu visuel/technique (presque) équivalent.
Notons aussi que Nintendo est connu dans le secteur pour son manque d'ouverture envers les autres, ce qui comprend autant les indépendants que les gros éditeurs. On se rappelle par exemple de Pete Hines, patron de Bethesda, qui expliquait en 2013 qu'il ne prévoyait pas de faire des jeux sur Wii U parce que Nintendo n'avait pas été ouvert quant à la technologie de leur console comme l'ont fait Sony et Microsoft pour la PS4 et la Xbox One. Récemment encore, le directeur d'Enigami, le studio indépendant derrière Shiness : The Lightning Kingdom, me confiait qu'il avait tenté de contacter Sony, Microsoft et Nintendo quand il cherchait à faire connaître son jeu et qu'il s'était rendu compte que les deux premiers étaient beaucoup plus simples d'accès que le dernier, raison pour laquelle le titre sortira en 2017 sur PS4 et Xbox One, mais pas sur Switch. Et les exemples comme celui-là sont nombreux...
Alors certes, Nintendo a déjà communiqué le nom des nombreux partenaires qui « travaillent » sur la Nintendo Switch, parmi lesquels quelques déserteurs de la Wii U comme Activision, Ubisoft, Electronic Arts, Bethesda ou encore Take Two. Une liste de noms qui fait joli sur le papier mais qui ne promet malheureusement rien de concret. Rappelez-vous d'ailleurs, la Wii U a sa sortie avait vu poindre tous ces éditeurs tiers, prêts à tester un peu le succès de la console sans trop se mouiller avec quelques portages de jeux qui n'avaient pas pu sortir sur Wii ! Oui, 99% des gens de s'en rappellent pas, mais Mass Effect 3, Call of Duty Black Ops II ou encore Assassin's Creed IV : Black Flag sont sortis sur Wii U à une époque où ces licences atterrissaient encore sur PS3/360. Des portages pas chers à produire qui permettaient de tâter le terrain. Dès que ces éditeurs eurent compris avec la génération suivante que faire un jeu à la fois sur PS4/One et Wii U était trop compliqué et pas assez rentable, ils ont tous pris la poudre d'escampette, Ubisoft en tête lui qui était un des plus fervents partenaires de la Wii U à ses débuts... L'éditeur français est d'ailleurs dithyrambique quand il aborde le concept de la nouvelle console et nous verrons si cette fois, cet amour tiendra la distance.
Quand on sait que la plupart des jeux présents montrés (y compris Nintendo) dans le trailer de la Nintendo Switch n'étaient là qu'à titre indicatif, Bethesda ayant par exemple affirmé qu'aucun The Elder Scrolls V : Skyrim n'était annoncé sur la console, on peut se demander quel sera le soutien des éditeurs tiers. Cela dit, on sait déjà que Square Enix sera dans le coin, avec Dragon Quest XI déjà confirmé et peut-être d'autres choses à venir. Cela fait tout de même peu pour le moment.
Seul contre tous
La Nintendo Switch serait-elle déjà morte ? Pas du tout. Car s'il y a bien une chose que Nintendo est le seul à être capable de faire, c'est de faire vivre une console sans l'aide d'autrui, au moins pour un temps. La boîte japonaise possède non seulement pléthore de studios à ses services, mais aussi des cargos entiers de fans qui ne demandent qu'une chose : revoir le maître au sommet. Malgré le nombre de joueurs déçus ces derniers années de voir le Big N nager en eaux troubles, les licences comme Mario, Zelda et Pokémon véhiculent tellement de souvenirs que la simple évocation d'un nouvel opus créer des émotions et des espérances indescriptibles. D'ailleurs, en proposant The Legend of Zelda : Breath of the Wild dans le line-up de lancement, Nintendo ne se trompe pas : assurer de gros chiffres de ventes dès le début, c'est taper dans l'oeil des éditeurs. Cela ne règle pas le problème des blockbusters multi-plates-formes mais à l'image de la Nintendo 3DS, cela peut suffire à recevoir du soutien extérieur.
Mais pour que la machine se lance vraiment, il faudra que Nintendo, pratiquement seul, épate la galerie pendant un sacré bout de temps. La bonne nouvelle (ou mauvaise nouvelle pour les possesseurs de Wii U), c'est que le grand Big N semble déjà très affairé sur la Nintendo Switch, au point de nous laisser espérer quelques gros jeux dès 2017, et pourquoi pas une ou deux surprises supplémentaires pour la sortie de la console. Une preuve ? Il suffit de voir la liste des studios estampillés Nintendo qui travaillent sur des jeux non officialisés à ce jour. Oui, cela veut dire qu'ils travaillent pratiquement tous sur un jeu Nintendo Switch et ce depuis longtemps dans certains cas. Voici une liste non exhautive :
- Retro Studios : Le fameux grand oublié. Toujours couronné de succès critiques, Retro Studios a sorti son dernier jeu, Donkey Kong Country : Tropical Freeze, le 14 février 2014. Cela fait plus de 2 ans et demi ! Avant cela, l'écart le plus gros entre deux jeux de la boîte était de deux ans tout rond. Quoiqu'il arrive, il est évident que le studio bosse sur du très lourd et on peut supposer qu'il s'agisse aujourd'hui d'un projet plus que concret, pour une sortie en 2017. Pourquoi par pour le line-up de lancement ? Dur à dire, mais il s'agit d'une grosse carte à jouer.
- Monolith Soft : Bien qu'une partie du studio aide au développement de The Legend of Zelda : Breath of the Wild, on ne sait pas sur quoi bosse le reste de l'équipe (plus de la moitié), et ceci depuis la sortie de Xenoblade Chronicles X et Project X Zone 2, en 2015 au Japon. Sont-ils sur un jeu Switch ou 3DS ? C'est à voir.
- 1UP Studio (ex-Brownie Brown Inc) : Depuis leur restructuration, le studio a participé au développement de plusieurs jeux, le dernier étant The Legend of Zelda : Tri Force Heroes, sorti il y a plus d'un an. Il faut croire qu'ils travaillent eux aussi sur quelque chose de secret depuis lors...
- Intelligent Systems : Le studio a toujours eu les ressources nécessaires pour travailler sur deux jeux à la fois. Si Paper Mario : Color Splash vient de sortir, une grosse partie de l'équipe est libre depuis, au minimum, la sortie initiale de Fire Emblem Fates, il y a de cela 1 an et demi au Japon.
A cela, il faut ajouter les studios internes à Nintendo. Bien que certains travaillent sur The Legend of Zelda : Breath of the Wild, Pikmin 3DS, Super Mario Maker 3DS (qui reste un portage) et quelques jeux mobiles (Super Mario Run, un Fire Emblem et un Animal Crossing), seul le premier cité est un développement massif (et encore, ils ne sont qu'une centaine dessus en comptant ceux de Monolith Soft) et on sait que Nintendo possède largement assez de studios pour avoir encore un ou deux gros titres dans sa besace. Il ne fait aucun doute, par exemple, qu'un Mario Kart est en préparation, le dernier étant sorti en mai 2014. Il en est certainement de même pour un nouveau Mario 3D, alors que le précédent, Super Mario 3D World, est disponible depuis trois ans. Si là encore, les jeux montrés via le trailer étaient présents à titre indicatif, je ne serai pas étonné de voir des annonces poindre dans les prochains mois.
Ainsi, une chose est sûre : Nintendo a encore pas mal de surprises à montrer et une partie d'entre elles seront pour 2017, voire pour la sortie de la Nintendo Switch dès le mois de mars. La seule question à se poser est donc la suivante : ces titres suffiront-ils à assurer le succès du démarrage de cette nouvelle console hybride et ainsi attirer les éditeurs tiers, amenant une pérennité sur le long terme ? Ce qui est évident, c'est que si les éditeurs tiers attendent de voir comment la console se vend pour démarrer la production de gros jeux dédiés, il ne faut pas s'attendre à voir autre chose de leur part que de simples portages avant 2018... Espérons que Nintendo tienne le coup.
Pour le reste, on en saura plus le 13 janvier 2017, date d'une nouvelle présentation de la Nintendo Switch pleine de vraies annonces de jeux...