Conspués par les bien-pensants et les grenouilles de bénitier... pointés du doigt pour leurs actes, les vilains se contentent de végéter au second plan, cantonnés au rôle de faire-valoir. Tapis dans l'ombre, ils attendent ce jour fatidique où leur présence sera considérée comme le moteur de tout récit, portés par une foule ayant enfin ouvert les yeux et cessé de croire aveuglément dans cet éternel héroïsme.
La notion d’antagoniste
Avant de condamner ces êtres de pixels devant un semblant de tribunal de la Haye, il s'agirait de revenir à la source de leur existence : une nécessité narrative. Par définition, antagonistes se dit de personnes s’opposant dans une lutte idéologique pouvant prendre la forme d’un conflit au sens littéral. Étymologiquement parlant, “antagoniste” vient du mot grec ἀνταγωνιστής composé de άντι (face à) et άγών (contest) et désigne un personnage ou un groupe faisant face au protagoniste, représentant donc une opposition, un obstacle voire une menace dans un récit pour un personnage principal souvent qualifié de héros.
Méchant, “Bad Guy”, vilain (“Villain” dans la langue de Shakespeare)... et j’en passe, les noms d’oiseaux volent malgré un impact sans commune mesure sur l’histoire. L’antagoniste est le garant de l’équilibre des forces chahutant le récit. Le héros ne peut donc subsister sans le méchant qui l'accompagne. Cependant, le héros n’existe que par et pour cette lutte intestine, cette opposition tandis que le vilain déroule sa destinée. A la fois unique et multiple, moteur du récit, source de séquences dantesques au gameplay spécifique et figure iconique, le vilain occupe l’espace vidéoludique depuis la naissance même du 10ème art.
Il serait temps de considérer ces personnages pour ce qu’ils sont : l’essence même du jeu vidéo car sans vilain, le héros s’apparente à une coquille vide errant sans but à l’image du joueur arpentant ces dédales virtuels.
Un moteur narratif
Souvent moteur de l’histoire, le héros se contentant de réagir selon la situation, le méchant donne l’élan nécessaire à la progression du scénario. Tandis que le protagoniste adopte le comportement attendu (antihéros y compris), l’antagoniste guide celui-ci, le fait trébucher. Sans vilain, point d’histoire. Sans opposition, point d’affrontement aussi bien idéologique que l’épée à la main. Ces 2 entités se complètent, dansent la gigue au sein d’un gameplay articulé autour des capacités du héros et sa faculté à répondre aux défis lancés par son opposé.
La narration se nourrit d’échanges, de mystères dévoilés à demi-mot, de simples conversations et transforme les personnages en outils au service du récit. Dénué de scénario avec un grand “S”, Portal 2 n’en reste pas moins narratif porté par un GlaDOS à l’humour caustique omniprésent. Cette entité donne ainsi toute sa saveur au First Person Puzzler de Valve tout en guidant le joueur à travers les niveaux. Semant consciemment des indices tout au long de l’enquête, interpellant les différents acteurs de l’aventure, le tueur à l’Origami de Heavy Rain vagabonde librement sous notre nez endossant ainsi le rôle de moteur narratif. Alma du FPS horrifique F.E.A.R., dans un autre registre, tient la main du héros tout au long de son périple à grand renfort de visions cauchemardesques.
Depuis que le monde se veut vidéoludique, éditeurs et studios ont puisé dans leur imagination débordante et donné naissance à un nombre incalculable d’antagonistes et certains tirent leur épingle du jeu, occultant l’existence même d’un héros relégué au second plan. Charisme exacerbé à l’appui, la plume derrière ces êtres virtuels virevolte au coeur du récit imaginé par les scénaristes au point de graver la psyché de ces vilains dans le coeur des joueurs. Et la folie de Vaas Montenegro suinta de nos écrans le 29 novembre 2012, une journée marquée à jamais par la folie d’un autochtone ayant embrassé son “pète au casque”. Intérêt principal de Far Cry 3, Vaas incarnait ce FPS en étant à l’origine de scènes plus mémorables les unes que les autres.
Vaas Montenegro (Far Cry 3) : une douce folie estivale
Un rôle de boss
Le vilain de jeu vidéo endosse bien souvent le rôle de boss. A la fin d’un niveau ou encore en guise de conclusion d’un périple de plusieurs heures, le boss ponctue l’aventure et récompense les efforts consentis par le joueur avec une séquence de gameplay conçue pour l’occasion. Sève de la saga des Souls, ces êtres singuliers illuminent de leur aura les jeux de From Software. Vordt de la Vallée Boréale, Gundyr le Champion, Yhorm le Géant... forgent les souvenirs des aventuriers morts après morts, échecs après échecs.
Les dieux eux-mêmes ne peuvent aller à l’encontre de cette envie d’en découdre avec ces boss au point d’embrasser cette destinée. La saga God of War, réputée pour sa mise en scène, s’articule autour de ces séquences de gameplay dantesques entre phases de combat et QTE (Quick Time Event) afin de garantir cette notion d’épique. Zeus, Arès, Aphrodite, les Titans et autres demi-dieux tombent sous les coups d’un Kratos guidé par sa seule colère. L’aura du dieu de la guerre ne peut déployer ses ailes qu’à l’ombre des géants qu’ils terrassent.
Parfait exemple de l’importance des boss, la saga Metal Gear Solid en a fait sa marque de fabrique. Un scénario dense, un message antimilitariste, des personnages charismatiques, la franchise de Hideo Kojima restera dans les mémoires par la multiplication des combats de boss. Séances de sniper, explosion du quatrième mur, attaque de Metal Gear et combat à mains nues, le premier épisode de la série des Solid est un modèle du genre. La palme de la créativité et du charisme revient à Psycho Mantis et ses aptitudes surnaturelles lui offrant l’opportunité d’interagir avec le réel que ce soit par les vibrations de votre manette ou la lecture de votre carte mémoire.
Dark Souls 3 : Combat de boss face au Sage de Cristal
Une icône vidéoludique
Sonic, Link, Mario, Solid Snake, Kratos, le Master Chief, le commandant Shepard… certains personnages dépassent leur prérogative et endossent le costume de porte-parole de leur média d’origine. Couvertures de magasine, posters, goodies, seuls les héros jouissent d’une renommée profitant des plaisirs des campagnes marketing. Et pourtant, certains vilains se frayent un chemin dans notre mémoire pour ne plus jamais en ressortir devenant de fait des icônes au même titre que les héros qu’ils affrontent.
A la croisée de la tortue et du dinosaure, Bowser a su quitter son rôle de vilain pour entrer au panthéon des personnages les plus populaires du jeu vidéo. Ancienneté oblige, de nombreux joueurs ont affronté cet être à la peau jaune surmonté d’une carapace avec des piques pour faire “Badass”. Nintendo tenait son vilain de référence. Concurrent direct de la firme au grand N, Sega a attendu 6 ans pour se doter d’un vilain de ce calibre. Opposé au hérisson supersonique, le Dr. Robotik connu également sous le nom de Dr. Eggman marqua de son empreinte la Megadrive.
Des bruits de pas lourds accompagnés d’une lame frottant sans répit sur le sol brisent un silence de mort. Pyramid Head approche et avec lui la certitude de prendre ses jambes à son cou sous peine de trépas sans détour. Le Nemesis procurait cette même appréhension. Un ennemi si puissant, si coriace que la seule option envisageable était la fuite. Le combat se résumant à épuiser ses munitions et sa patience sur un sac à Points de Vie. 2 entités si marquantes de par leur aura et leur concept qu’elles dépassent leur fonction de boss continu au point d’occulter les héros pris en chasse. Malgré des heures passées sur les Silent Hill, le nom des protagonistes suintent de ma mémoire au profit d’un Pyramid Head immortel.
Bande-annonce de Resident Evil 3
Une entité multiple
La vision moderne du jeu vidéo délaisse la personnification de la menace à l’exception de quelques personnages secondaires au profit d’une entité multiple composée de soldats “random”, de chair à canon venant s’empaler sur le héros. Call of Duty, Battlefield, Halo, Assassin’s Creed… ces franchises sont passées à la vitesse supérieure. En démultipliant les intervenants, les scénaristes diluent l’impact des antagonistes et réduisent leur influence sur le récit. Les Covenants et leur alliance extraterrestre, Abstergo et ses employés, les Reapers de Mass Effect, les infectés de Dead Island, aucun méchant ne ressort de ces licences à l’exception d’un peuple, d’une organisation, d’une société.
Les 2 concepts subsistent encore dans la saga Resident Evil, alliant vilain d’envergure et pluralité des antagonistes. Les zombies constituent le premier obstacle des joueurs. Umbrella Corps en trame de fond tire les ficelles avec l’aide d’un Albert Wesker omniprésent pour un résultat hybride fusionnant le meilleur des ces 2 mondes. Il en résulte un récit tentaculaire à la portée planétaire sachant être incarné par quelques têtes de proue triées sur le volet, un scénario à grande échelle sachant conserver un cadre intmiste.
Bande-annonce de Halo Reach
Le vilain dans tous ces états
Du simple boss garant de la difficulté au moteur de la narration en passant par son rôle d’icône d’une franchise, les fonctions de vilain dans le jeu vidéo varient grandement selon les besoins du titre. Bien que nécessaires pour créer ce principe d’opposition pro/antagoniste, certains jeux préfèrent diluer ses attributions et créer un ennemi commun défini par son seul objectif et donc dénué d’intérêt. Certains personnages allient pourtant ces fonctions. A la fois juge, juré et bourreau, ils font la pluie et le beau temps au sein de leur jeu respectif.
Méchant devant l’éternel de la franchise Final Fantasy, Sephiroth domine de la tête et des épaules un Final Fantasy VII encensé par la critique et le public à juste titre. Récit prenant, héros haut en couleur et mécaniques de gameplay sans faille, FFVII avait également pour lui un allié de taille : son méchant principal. Charismatique, déterminé, puissant, ce guerrier aux cheveux argentés démontre la portée d’un tel personnage au sein d’un jeu surpassant la dimension héroïque par la plume et la mise en scène. Beau Jack incarne avec prestance cette nécessité de concevoir une opposition digne de ce nom. Élocution parfaite, humour acide et mégalomanie définissent cet être singulier ayant forgé sa destinée à la force du poignet mais surtout de l’arnaque. Antagoniste tellement apprécié qu’un spin-off fut créé dans le seul but de narrer son ascension, passant de l’état de vilain à celui de “héros”.
P.S. De nombreux autres vilains ont marqué le marché du jeu vidéo au fil des décennies parmi lesquels Ganondorf (méchant emblématique de la licence The Legend of Zelda) Revolver Liquid Ocelot (“frère” d’armes de Solid Snake) ou encore The Joker, (un super-vilain issu des comics Batman ayant ébloui la série de jeux Arkham par son seul rire). Il était bien entendu impossible de tous les citer au sein de l'article.
Pièce maîtresse à la fois du récit, du gameplay voire même d’une franchise, le vilain appose sa griffe sur les jeux osant donner vie au concept même d’antagoniste sans le diluer à outrance dans une pluralité trop souvent employée. Libre de ses mouvements, cet être virtuel sert ses propres desseins, nourrissant le récit par sa seule présence. La renommée d’un héros se forge au contact d’un opposant digne de ce nom. Gloire et réputation naissent à l’ombre d’un méchant mordant la poussière. A l’image de Batman arpentant la ville de Gotham, sans vilain le jeu vidéo n’est rien.