Lundi 26 octobre 2015. 8h30. Rendez-vous dans la banlieue proche de Londres, au cœur des mythiques studios de cinéma Pinewood qui accueillent depuis 1936 les tournages des plus grands blockbusters internationaux, comme les James Bond, Superman et autres Star Wars (la nouvelle trilogie). Aujourd’hui, c’est au tour d’Assassin’s Creed de jouer du clap. Au programme : visite du plateau, rencontre avec les éléments clés de l’équipe et révélations exclusives !
AU CŒUR D’UN DES PLUS GRANDS STUDIOS AU MONDE
Impressionnant… C’est l’adjectif qui vient à l’esprit quand on pénètre dans les studios Pinewood, sorte d’immense oasis construite au sein du parc naturel de 250 hectares Black Park, dans le comté de Buckingham. Il s’agit d’une véritable petite ville fortifiée avec une enceinte de plusieurs mètres de haut équipée de barbelés et de caméras de surveillance. A l’intérieur se trouvent d’énormes entrepôts abritant des plateaux de cinéma, dont le plus important d’entre eux est appelé officiellement « 007 », en référence à tous les films de James Bond qui y ont été tourné depuis des décennies.
Considéré pendant longtemps comme le plus grand plateau de cinéma du monde, le studio 007 atteint l’étonnante superficie d’environ 5500 m2. C’est précisément là que s’est installée l’équipe de production d’Assassin’s Creed afin d’y recréer le décor de la multinationale Abstergo appartenant à l’Ordre des Templiers. Cette dernière a pour vocation d’extraire de l’ADN de ses patients/prisonniers la mémoire de leur ancêtre appartenant à la confrérie des Assassins, ennemis jurés des Templiers. A travers ces expérimentations, le véritable objectif est de localiser puis de s’emparer de puissants artéfacts permettant de dominer le monde. Le héros de l’histoire, Callum Lynch, joué par Michael Fassbender, est un condamné à mort sauvé in extremis pour servir de cobaye à Abstergo. Car, tout comme les autres prisonniers à ses côtés, il possède un ancêtre Assassin (nommé Aguilar de Nehra et incarné aussi par Fassbender) ayant vécu au 15ème siècle en Espagne et qui intéresse particulièrement le Dr Rikkin (Jeremy Irons) à la tête d’Abstergo.
Si l’élaboration du scénario final a pris un certain temps, il en a été de même avec la construction de certains décors complexes. Ainsi, il aura fallu quasiment trois mois de travail intense à l’équipe de décorateurs pour bâtir Abstergo. Et pour un tournage qui n’aura duré que deux semaines ! En effet, à la mi-novembre 2015, les décors ont dû être entièrement détruits pour laisser place à l’équipe en charge de la construction des lieux clés de Star Wars Episode VIII, dont le tournage a commencé en janvier 2016. Cela dit, ces quelques journées de travail dans les studios Pinewood ont été bien remplies car la société Abstergo est nettement plus présente dans le film que dans les jeux, ainsi que le confesse un des producteurs du long-métrage, Patrick Crowley : « 35 % du film est dédié à la partie historique et 65 % consacrée à la partie contemporaine. » Concrètement, les deux tiers de l’action devraient donc se dérouler de nos jours, en particulier dans les locaux de la multinationale…
ABSTERGO PLUS VRAIE QUE NATURE
Les premiers pas sur le plateau donnent le ton : ambiance glaciale à base de grands murs uniformes de couleur gris métallisé et traversés de temps à autres par des néons reproduisant le logo Abstergo Industries… « Les lieux devaient avoir un look à la fois impersonnel et autoritaire, précise le Production Designer Andy Nichols. Nous nous sommes assurés par exemple qu’il n’y ait quasiment aucune fenêtre. Les seules pièces avec une fenêtre sont la chambre des invités où loge Lara et le bureau du Dr Rikkin. Bien sûr, dans leur cellule, les détenus possèdent une lucarne qui fait entrer la lumière du jour mais il n’y a pas de vis-à-vis. » L’impression de se retrouver dans une sorte de grande prison Hi-Tech peu propice aux rapports humains se fait donc évidente. Même si quelques plantes sont disséminées dans l’environnement et si une poignée de végétaux pointe le bout de ses feuilles au sein d’une petite serre. Surprise, en s’approchant tout près et en touchant un de ces murs imposants à l’apparence métallique, il est possible de découvrir qu’il s’agit en réalité de… bois peint. L’illusion est parfaite.
La plupart des larges couloirs aboutissent à une vaste salle où se retrouve planté dans une des extrémités un imposant double écran vert, propice aux effets spéciaux et entouré de tentes protectrices. Ce dernier semble faire office de baie vitrée, par laquelle les personnages pourront contempler l’extérieur du bâtiment, ajouté par la suite de manière numérique. Enfin, au milieu de ce grand open-space trône… une table de ping-pong avec laquelle les figurants et techniciens se relaxent pendant la pause-déjeuner. Le plateau est d’ailleurs tellement haut de plafond que, lors des rares moments de silence, chaque balle de ping-pong résonne presque comme un coup de fusil. Avec un peu de recul, il ne fait aucun doute que la société Abstergo montrée dans le film se rapproche beaucoup esthétiquement de celle des deux premiers jeux Assassin’s Creed. Le look global de l’endroit, avec son architecture semi-futuriste et sa couleur grise métallique, apparaît comme le lieu idéal qui synthétise les notions de passé et de futur. Ainsi, d’un côté, le style général évoque le repaire du méchant Blofeld dans certains films de James Bond des années 60, en particulier On ne vit que deux fois. Et de l’autre, l’agencement des lieux renvoie à un vaste open-space digne des sociétés à la pointe technologique issues de la Silicon Valley. Un mélange aussi logique qu’étonnant…
MAGNETISME ET DOUBLE IDENTITE
En pleine exploration de ces longs couloirs d’Abstergo, tout à coup une sirène se fait entendre puissamment mais brièvement. C’est le signe que le silence est demandé puisque le réalisateur Justin Kurzel et son équipe viennent de commencer à tourner une scène. Les attachés de presse britanniques du film convient alors tout le monde à s’asseoir sous une petite tente, devant un grand moniteur retransmettant en direct la scène. Sur l’écran, face à face, séparés par une grande vitre transparente, Callum Lynch et Lara, joués respectivement par Michael Fassbender et Octavia Selena Alexandru (vue brièvement lors de l’épisode final de la saison 4 de Game of Thrones, dans le rôle d’un des enfants de la forêt). Le son n’est pas audible mais le spectateur comprend vite que la jeune fille semble dessiner Callum sur son cahier, au gré des propos de celui-ci. Une seconde puis une troisième prise sont décidées et, alors que l’actrice de 14 ans répète en silence exactement les mêmes gestes, Fassbender, quant à lui, varie constamment son attitude, sa position et ses mouvements. Doté d’un puissant charisme, l’acteur fascine littéralement son audience. Le constat est encore plus évident lorsqu’un peu plus tard, il rejoint le groupe de journalistes pour discuter quelques minutes. D’un calme olympien, le comédien engage la conversation naturellement en parlant de son implication dans le film et de son double rôle Aguilar/Callum. « Aguilar fait définitivement partie de la famille des Assassins et il croit d’ailleurs beaucoup en la confrérie, explique-t-il. Et puis il y a Cal qui est un peu à la dérive et qui a navigué entre plusieurs établissements correctionnels tout au long de sa vie. Lui ne croit pas en grand-chose. »
Cette double identité intrigue plus qu’à l’accoutumée la fille du Dr Rikkin, Sophia (Marion Cotillard). Plus humaine que son père, celle-ci parait s’attacher au personnage principal, tout en essayant de mener à bien ses recherches sur l’origine du gène de la violence. En tous cas, une chose est sûre : grâce à son magnétisme naturel incroyable, Michael Fassbender compose assurément un Assassin de premier ordre. Mais il sait aussi faire preuve d’un humour qui tranche avec les personnages souvent graves qu’il est amené à interpréter. D’ailleurs, de retour sur le plateau, le voilà vêtu de sa tenue blanche et emprisonné dans une cellule entièrement vitrée. Lors de la répétition de la scène au cours de laquelle un Assassin est censé apparaître soudainement à ses côtés, l’acteur en profite pour faire quelques étirements. Puis il semble reproduire les mouvements d’un aigle gracieux, jusqu’à se mettre à mimer… une poule ! Fou rire sur le set. Derrière son apparence calme, sérieuse et toujours ultra-concentrée, Fassbender pourrait facilement passer pour un joyeux drille en privé.
Au fil de l’aventure, Callum Lynch/Aguilar va être amené à rencontrer d’autres Assassins évoluant au 15ème siècle. A commencer par Moussa (Michael Kenneth Williams), un Assassin issu des Caraïbes surnommé « The Trickster » qui utilise le vaudou et la magie noire pour abattre ses cibles. Figurent également au casting Emir et Ojeda. Le premier, interprété par Matias Varela remarqué dans l’excellent Easy Money, est un Assassin issu du Moyen-Orient. Tandis que le second, incarné par Hovik Keuchkerian, est un Assassin de haute volée appelé aussi « The Mirror ». Et puis il y a évidemment l’Assassin Maria (Ariane Labed), compagne d’Aguilar qui sait se montrer très habile, notamment avec ses lames rétractables et ses couteaux de lancer. Last but not least : l’adolescente Lara (Octavia Selena Alexandru) qui a grandi à Abstergo et connait tous les secrets de la compagnie. Habituée à dessiner le portrait des autres prisonniers, elle demeure la favorite du Dr Rikkin. La jeune fille a été élevée pour devenir un membre de l’Ordre des Templiers, mais elle découvre petit à petit qu’elle a l’âme d’un Assassin…
UN TOURNAGE ETALE SUR SIX MOIS
Avant de débarquer dans les studios Pinewood fin octobre 2015, l’équipe d’Assassin’s Creed s’installe à Malte à partir du 1er août 2015 et pour une durée de quatre semaines. Ainsi, la plupart des scènes du passé, concernant le 15ème siècle et l’Inquisition espagnole, sont tournées sur place. D’ailleurs, une terrible figure historique est incluse dans le film : celle de l’inquisiteur Torquemada qui sévira durement en particulier entre 1483 et 1498. Grosso modo, au nom de la religion et de principes strictes à suivre, celui-ci n’hésitera pas à punir à tour de bras – et souvent par la mort – tous ceux commettant des supposés péchés (fornication, blasphème…). Parmi les scènes de punition du film figure même un autodafé au cours de laquelle une personne est déclarée coupable et brûlée sur un bûcher. « Brûler des gens sur un bûcher, ça c’est quelque chose de très cinématographique ! » s’empresse d’ailleurs de préciser le producteur Patrick Crowley, le sourire aux lèvres.
Attention, il ne faut toutefois pas s’attendre à des débordements gores ou outranciers puisque le film est prévu d’être classifié PG-13 aux USA, grosso modo l’équivalent français du « Déconseillé aux moins de 12 ans ». C’est également à Malte qu’ont été tournées la plupart des scènes d’action se déroulant au 15ème siècle. Un choix délibéré de la part du metteur en scène Justin Kurzel : « J’aurais pu tourner tout ça dans un parking et ajouter ensuite un tas d’effets numériques. Mais la grande majorité des combats est réalisée par les acteurs accompagnés d’une véritable équipe de cascadeurs. J’ai pensé que c’était nettement plus intéressant de faire ressentir au public que tout cela était possible, que les assassins dans la vraie vie pouvaient sauter entre les immeubles. »
La plupart des scènes tournées à Malte l’ont été à 90 images par seconde, au lieu des 24 habituelles. Si vous voulez faire des ralentis, vous pouvez donc compter sur trois fois plus d’informations à l’écran. Cela nous donne davantage de flexibilité avec la caméra et les mouvements.
Patrick Crowley, producteur d’Assassin’s Creed
Le résultat semble effectivement spectaculaire comme en témoigne par exemple le Saut de la Foi aperçu dans la bande-annonce et effectué de manière authentique d’une hauteur avoisinant les 35 mètres de haut. Ou encore la scène d’action montrée récemment à la presse qui s’avère assez bluffante. Abstraction faite évidemment des quelques effets spéciaux de synthèse ajoutant des portions de décors encore non finalisés et des câbles – effacés plus tard numériquement - qui soutiennent les acteurs en train de sauter au-dessus du vide séparant deux bâtisses. Concrètement, cette séquence située au 15ème siècle montre une course-poursuite entre d’un côté les Templiers et de l’autre le duo Maria/Aguilar. Ce dernier enchaîne les coups fatals à l’ennemi grâce à diverses armes (lames rétractables, arcs) et finit par s’enfuir sur les toits. Pas étonnant que la scène se révèle visuellement spectaculaire, puisque c’est un des meilleurs spécialistes au monde du parkour et du tumbling, Damien Walters, qui est le coordinateur des cascades sur le film.
Mais l’équipe technique a aussi quelques tours dans son sac pour rendre le résultat encore plus attrayant visuellement, comme l’avoue Patrick Crowley. « Nous tournons en digital, et, par exemple, la plupart des scènes tournées à Malte l’ont été à 90 images par seconde, au lieu des 24 habituelles, précise le producteur. Si vous voulez faire des ralentis, vous pouvez donc compter sur trois fois plus d’informations à l’écran. Cela nous donne davantage de flexibilité avec la caméra et les mouvements. » Nul doute que le tournage à Malte devrait aboutir à une poignée de scènes d’action plutôt impressionnantes à l’écran. Tout comme d’ailleurs les séquences faisant intervenir l’Animus…
UN ANIMUS UNIQUE
Après le séjour à Pinewood, l’équipe d’Assassin’s Creed se rend en novembre 2015 au sein d’un immense entrepôt à l’intérieur duquel a été construit l’Animus, cette machine permettant de connecter un individu avec son ancêtre. Un outil aussi indispensable que dangereux entre les mains d’Abstergo. Inutile de préciser qu’esthétiquement les fans du jeu risquent fort d’être surpris. « Le plus gros changement qui s’opère dans le film vis-à-vis des jeux concerne l’Animus, affirme le Production Designer Andy Nichols. La machinerie est radicalement différente de celle du jeu et apparait beaucoup plus cinématique. Il faut dire que dans le jeu, il s’agit d’une sorte de lit mécanique sur lequel vous devez restez allongé. Dans le film, il est impossible que le personnage principal soit filmé en permanence dans cette position, surtout s’il passe la moitié du temps connecté à l’Animus. L’Animus dans le film est donc très maniable et, en tous cas, relève de l’inédit. » Outre son look digne de Matrix, l’Animus réserve aussi d’autres surprises, comme le révèle Andy Nichols : «Au cœur même de l’Animus est cachée une crypte où sont entreposés tous les artefacts collectés au fil des siècles, mais aussi les armes, dont beaucoup sont issues des différents jeux, avec également quelques variantes designées pour certains personnages. » C’est donc probablement à cet endroit précis que devraient être entreposées – en guise de clins d’œil - quelques armes iconiques de la saga, comme le Mortier Guillotine (lire encadré « Les Armes »).
Au cœur même de l’Animus est cachée une crypte où sont entreposés tous les artefacts collectés au fil des siècles, mais aussi les armes, dont beaucoup sont issues des différents jeux.
Andy Nichols, Production Designer sur Assassin’s Creed
Une fois en boite toutes les scènes faisant intervenir l’Animus, l’équipe achève alors son long périple en Espagne. Pendant deux semaines, elle filme des séquences en extérieur, dont une qui fait l’ouverture du film et montre un aigle survolant longuement de superbes paysages et renvoyant à la fameuse vision d’aigle, cette capacité extrasensorielle inhérente à certains assassins. Une référence bien sentie qui sonne juste et augure du meilleur pour la suite…
A quelques centaines de mètres du plateau 007 se situe l’atelier spécialisé dans la confection des armes. Supervisé par le chef armurier et maître d’armes Tim Wildgoose, ayant déjà officié sur Hercule et Edge of Tomorrow, l’endroit s’avère évidemment bruyant du fait de la machinerie présente. Mais cela n’empêche pas ce fan de la saga Assassin’s Creed de parler. « Les armes d’Assassin’s Creed m’étaient familières car j’avais déjà joué à tous les jeux Assassin’s Creed avant de travailler sur le film » avoue ainsi Tim. Elaborées en étroite collaboration avec l’équipe chargée des costumes, de manière à ce qu’elles puissent s’insérer parfaitement aux tenues portées par les acteurs, les armes ont représenté un véritable challenge pour le chef armurier. « En incluant celles servant de décorations, précise Tim, nous avons dû créer probablement entre 2000 et 3000 armes. »
Il faut noter d’ailleurs que 80 % des armes du film sont nouvelles vis-à-vis des jeux, une bonne partie ayant été inspirée par les armes authentiques entreposées dans le musée londonien The Wallace Collection. Evidemment, les 20% restant s’avèrent directement tirés des jeux, puisqu’Aguilar possédera bien une lame rétractable au poignet, des couteaux de lancer ou encore des bombes flash et fumigènes accrochées à la ceinture. Sont également confirmées l’arbalète d’Ezio dans Assassin’s Creed Brotherhood, l’arc de Connor issu d’Assassin’s Creed III, l’épée de Shao Jun, assassin d’origine chinoise dans Assassin’s Creed Chronicles China, ou encore l’épée de l’apprenti assassin/chef vaudou Baptiste (devenu plus tard Templier), issu d’Assassin’s Creed III Liberation. Sans oublier le Mortier Guillotine en provenance du DLC Dead Kings d’Assassin’s Creed Unity qui se veut l’association meurtrière entre une hache et un mortier. Attention, la plupart de ces armes spéciales ne devrait figurer à l’écran que sous forme d’Easter Eggs, clins d’œil sympathiques à destination des fans de la saga. Enfin, parmi les objets confectionnés dans l’atelier, il a été possible d’apercevoir un fléau et des gants munis de griffes métalliques – à la Freddy Krueger - servant à grimper aux murs. Et il y avait aussi des versions modernisées d’arbalètes et d’épées utilisées à l’époque contemporaine par certains Templiers. Il est d’ailleurs probable que l’une de celles-ci soit empruntée par MacGohan, le bras droit costaud du Dr Rikkin interprété par l’acteur français Denis Ménochet (la série Spotless).
LA GENESE DU PROJET
La route aura été longue avant de parvenir à monter le film Assassin’s Creed et il aura fallu pas moins de cinq années avant de concrétiser ce projet ambitieux. En effet, c’est en 2011, année de sortie d’Assassin’s Creed Revelations, que l’équipe D’Ubisoft se décide réellement à franchir le pas quant à la possibilité de produire elle-même pour le cinéma quelques licences maison (Prince of Persia : Les sables du temps était une production Bruckheimer/Walt Disney). A ce titre, le studio créé en janvier Ubisoft Motion Pictures puis recrute, dès le mois suivant, trois personnalités du cinéma. Il y a d’abord Jean-Julien Baronnet, ex-directeur général d’Europacorp (société de production de Luc Besson) nommé PDG, puis Didier Lupfer, issus de Canal + et M6, chargé de la production et du développement et enfin Jean de Rivieres, ex-General Manager de Walt Disney Motion Pictures France, dont la mission est de s’occuper du marketing et de la distribution à l’international. Après une première expérience de production en 2013 sur la série télévisée d’animation Les Lapins Crétins : Invasion, puis la création de l’attraction du Futuroscope basée aussi sur les Lapins, le planning d’Ubisoft Motion Pictures s’accélère. Puisque sont lancés en développement pas moins de cinq longs-métrages issues de jeux Ubisoft : Les Lapins Crétins, Splinter Cell (distribué par Fox), Ghost Recon (distribué par Warner Bros), Watch Dogs (distribué par Sony) et enfin Assassin’s Creed, premier film à voir le jour avec une sortie prévue pour le 21 décembre 2016...
UN ACTEUR BANKABLE
« Avant même de parler de scénaristes et de studios partenaires, nous savions que nous avions besoin d’un acteur iconique pour interpréter l’assassin, explique Jean de Rivieres. Michael Fassbender était un choix évident, il apportait au projet à la fois le succès mainstream et la petite touche indépendante. » L’acteur allemand accepte alors la proposition très rapidement. « J’ai été impliqué dans le projet dès 2011 en rencontrant l’équipe d’Ubisoft qui m’a alors proposé de faire d’Assassin’s Creed un film. Nous avons alors commencé à travailler sur l’ensemble du scénario » raconte le comédien incarnant le personnage principal mais assurant aussi le rôle de producteur associé sur le film. Fassbender avoue néanmoins : « Je n’avais jamais entendu parler du jeu auparavant car je ne joue pas aux jeux vidéo. L’équipe d’Ubisoft m’en a alors expliqué le concept en me parlant de guerre entre Assassins et Templiers sur fond de mémoire génétique situé dans l’ADN. L’idée que nous puissions détenir en nous les expériences, erreurs et mémoires de nos ancêtres, m’a vraiment fasciné. J’ai pensé que c’était une théorie scientifique suffisamment cool pour être plausible. Et puis j’aimais l’idée qu’Assassins et Templiers se combattent pour leur propre croyance vis-à-vis de l’humanité mais, en même temps, qu’ils affichent en leur sein des contradictions. »
Si l’interprète de Magnéto dans les derniers films X-Men n’est pas branché jeux vidéo, c’est peut-être dû à la peur d’une addiction soudaine survenue lorsqu’il était plus jeune. En effet, à l’époque où il avait un travail nocturne de manœuvre qui consistait à décharger des caisses dans un entrepôt, le jeu vidéo semblait être devenu son seul loisir. Car, de retour à la maison, il avait commencé à prendre l’habitude de jouer jusqu’à six heures d’affilée à un jeu de course en passe de devenir une véritable obsession. Au point d’ailleurs qu’il a décidé de s’en débarrasser rapidement, jugeant que ce n’était pas du tout ce qui lui convenait. Cela dit, Michael Fassbender a eu l’occasion beaucoup plus tard - en 2011 - de renouer temporairement avec le milieu du jeu vidéo, grâce à son interprétation vocale du roi Logan dans le jeu Fable III. Et puis, parce qu’Assassin’s Creed est inspiré d’un jeu, le comédien s’est évidemment penché sur le matériau de base mais sous un angle particulier. « J’ai joué un petit peu au jeu juste pour évaluer le comportement physique du personnage, explique-t-il, pour observer ses mouvements de parkour mais aussi ses gestes iconiques, notamment vis-à-vis de l’utilisation des lames rétractables et des armes blanches. »
UNE PREPARATION DE LONGUE HALEINE
C’est pendant le tournage de Macbeth en 2014, aux côtés de Marion Cotillard, que Michael Fassbender suggère à Ubisoft Motion Pictures le nom du réalisateur du film Justin Kurzel, pour mettre en scène Assassin’s Creed. L’homme est en effet intrigué par le sujet : « J’ai toujours été passionné par la génétique et l’ADN, précise Kurzel. Je pense que c’est une partie fascinante dans les jeux et le film. Et puis Il y a une sorte d’ambigüité morale selon le fait d’être un Assassin ou un Templier. Les Templiers croient en un contrôle bienveillant, alors que les Assassins sont manifestement pour le libre arbitre. Ce sont des extrêmes qui s’opposent. » A l’inverse de Fassbender, Justin Kurzel a été un vrai gamer durant sa période adolescente, même s’il ne l’est plus aujourd’hui et s’il confesse ne pas avoir connu les jeux Assassin’s Creed avant d’être mis au courant du projet.
En effet, le cinéaste de 42 ans a fréquenté pendant longtemps les salles d’arcade où il avait l’habitude de s’adonner à Pac-Man, Space Invaders ou encore Double Dragon. « Les jeux vidéo représentaient une bonne part de ma culture de l’époque, raconte le metteur en scène. On attendait patiemment son tour devant les bornes d’arcade et on s’échangeait des infos sur la manière d’obtenir les scores les plus élevés. C’était pour moi une vraie expérience sociale. » Justin Kurzel rejoint donc rapidement la production, enthousiaste à l’idée que les joueurs actuels soient de plus en plus nombreux et qu’ils poussent même parfois leur passion à voyager sur les lieux mis en scène dans la saga Assassin’s Creed. L’objectif est de mettre alors sur pied un planning de tournage qui puisse tenir la route afin de ne pas gaspiller un budget important estimé à environ 125 millions de dollars.
Les jeux vidéo représentaient une bonne part de ma culture. On attendait patiemment son tour devant les bornes d’arcade et on s’échangeait des infos sur la manière d’obtenir les scores les plus élevés. C’était pour moi une vraie expérience sociale.
Justin Kurzel, réalisateur d’Assassin’s Creed
Mais avant de se lancer, il fallait être sûr de respecter à la lettre l’univers de la saga Assassin’s Creed. Et pour cela, rien de mieux que de se référer à un objet incontournable fourni par Ubisoft, comme le révèle Patrick Crowley, un des producteurs du long-métrage. « Chez Ubisoft, il y a une encyclopédie Assassin’s Creed qui fait à peu près 300 pages et qui analyse chaque personnage, son comportement, son esprit, ce qu’il a fait. Elle contient aussi une partie dédiée aux lois de l’univers du jeu, qui sont expliquées en détails, tel que le pourcentage maximum de vie de votre ancêtre que vous êtes capable de vivre ou encore le fait que lorsque vous revenez dans le passé, il est impossible de changer quoique ce soit. » De quoi donc ne pas commettre d’erreurs dans le scénario qui seraient impardonnables aux yeux des fans.
Mais ce n’est pas la seule aide dont a bénéficié l’équipe du film, comme en témoigne le producteur de la saga Jason Bourne mais aussi de Jurassic World : « Ubisoft possède aussi ce que l’on pourrait appeler des « ambassadeurs » qui connaissent les jeux sur le bout des doigts et qui sont respectés au sein de la communauté Assassin’s Creed. Nous avons collaboré avec eux en leur montrant le scénario mais aussi en leur faisant visiter les plateaux de tournage. »
UNE HISTOIRE INDEPENDANTE
Avant de donner le premier tour de manivelle, le parti pris de l’équipe était clair : «Dès le début, notre approche était de faire un film autonome et donc de n’adapter directement ni les jeux Assassin’s Creed ni les personnages principaux du jeu », indique Jean de Rivieres en charge du marketing à l’international. Ce que confirme le producteur Patrick Crowley : « Il n’y a aucun personnage issus des jeux Assassin’s Creed qui se retrouvent dans le film. Tous ont été créés exclusivement pour le long-métrage. C’est un film qui est basé sur le jeu et non un film qui reproduit le jeu. » De Riviere poursuit : « Nous pensions qu’il était important d’étendre l’univers existant et d’offrir quelque chose de nouveau aux fans qui ont passé de nombreuses heures immergés dans ces jeux. Le scénario, les personnages et le décor ont été fabriqué spécifiquement pour le grand écran. Cela nous donne l’occasion de pousser l’histoire plus loin et de plonger plus profondément dans le monde contemporain des Templiers et d’Abstergo. Les fans vont en découvrir beaucoup plus sur l’univers d’Assassin’s Creed quand ils verront le film en salles. »
D’ailleurs, une des scènes situées tout au début, révélée lors de la présentation des vingt premières minutes du film à la presse, se révèle assez surprenante. Prenant place au Nouveau Mexique en 1988, elle montre Callum adolescent marcher à pas de loup dans une grande maison et découvrir sa mère attablée et immobile. Celle-ci vient d’être assassinée par la lame typique d’un Assassin. Problème : l’Assassin en question, à moitié encapuchonné, est à deux pas du cadavre et il semble que ce soit… le père de Callum ! Accompagnée d’une musique de fond évoquant The Doors, cette séquence s’avère surprenante, d’autant que l’ambiance étrange et la mise en place visuelle des éléments clés de la scène évoquent le cinéma de David Lynch. Il faut espérer que ce ton singulier et fascinant perdure…
DE LA SUITE DANS LES IDEES
A l’instar de la saga Assassin’s Creed qui comporte de nombreux volets, il semble que son pendant cinématographique suive la même direction. C’est en tout cas le souhait le plus cher du producteur Patrick Crowley : « Certains acteurs du film ont des contrats stipulant qu’ils peuvent apparaitre dans des suites. Ce n’est donc un secret pour personne : tout le monde espère que cette franchise continue sur le grand écran. » De son côté, Michael Fassbender est plus direct et confirme d’ores et déjà une suite (dont la sortie serait prévue pour 2019) : « Il y aura des idées très fortes dans le second épisode sur lequel nous avons déjà commencé à travailler. Mais nous avons aussi à l’esprit quelques idées brutes pour le troisième volet. »
Quant à l’utilisation éventuelle d’éléments du film ou même d’un avatar numérique à l’image de Michael Fassbender pour les inclure dans un nouveau jeu Assassin’s Creed, cela paraît peu probable pour l’heure. Même si Patrick Crowley précise : « Nous avons conclu un arrangement avec Ubisoft de manière à ce que tout le monde soit gagnant. L’équipe d’Ubisoft était très excitée par les décors et je sais déjà qu’elle va en utiliser certaines parties ultérieurement. » Peut-être faut-il donc s’attendre à ce que la famille de Callum/Aguilar s’agrandisse plus rapidement que prévu…
Première bande-annonce du film Assassin's Creed.