Considérée comme une pratique marginale du jeu vidéo au siècle dernier, l'eSport est devenu au fil des années un acteur visible d'un secteur en pleine expansion. En Septembre 2015, le jeu vidéo faisait aussi sa rentrée des classes, un accompagnateur privilégié des jeunes générations, le numérique se fondait dans le paysage des écoliers sous l'impulsion de la volonté du gouvernement socialiste de François Hollande. Pour voir l'eSport s'inscrire dans le débat républicain il aura fallu attendre le 18 janvier 2016. Date à laquelle le Premier Ministre Manuel Valls a chargé le député des Alpes Maritimes M. Rudy Salles et M. Jérôme Durain sénateur de Saône-et-Loire, d'une mission constitutive d'un point de départ sur la législation de l'eSport en France.
Ce mois de mars 2016, et avant le rapport définitif prévu le 15 avril, un rapport intermédiaire a été rendu public. Il aura fallu 6 semaines aux parlementaires afin de définir les grandes lignes de la discussion à venir sur un sujet qui passionne de plus en plus les français. A cette fin, ce sont 60 auditions où 100 individualités rassemblant les professionnels du milieu, les joueurs, les membres d'associations, les psychologues ou les industriels, se sont relayés afin d'alimenter les bases de cette analyse. Des données mises à l'épreuve de la comparaison, puisqu'en plus des intervenants français ayant pris part aux conversations, une étude des services économiques des ambassades allemandes, américaines ou encore sud coréennes ont affiné l'examen.
Il serait assez malaisé de penser que la question de la mission porte sur la définition constitutive de l'eSport au niveau de sa terminologie pour la rapprocher du terme générique « sport ». Ici, il s'agit plus de comprendre en quoi la pratique peut être encadrée tant sur le plan administratif que législatif. Les zones de flous étant nombreuses, et les affiliations malencontreuses avec les jeux de hasard ont délité à plusieurs reprises le débat. Pourtant, en vue de définir le dispositif conduisant la promulgation d'un accompagnement solide de ce secteur, ce sont aussi les opérateurs de jeux d'argent qui ont été auditionnés. La Française des jeux, le Pari Mutuel Urbain (PMU), les casinos (en la personne de M.Jean-François Cot, délégué général du syndicat « casinos de France ») ou encore Winamax, sont autant d'interlocuteurs s'étant rendus disponibles pour répondre aux questions du gouvernement. Le jeu vidéo est pris au sérieux par les entrepreneurs travaillant dans la branche des jeux de hasard traditionnels.
Quand le jeu vidéo montre la voie à suivre à la Française des jeux et au Poker en ligne
Avec ses 72% de parts dans La Française des Jeux, l’État français se demande si le jeu vidéo n'adopterait pas le meilleur des profils pour toucher le public qui lui fait défaut. C'est via le nouveau directeur de l'entreprise publique, Stéphane Pallez et deux nouvelles propositions que sont Gare O Loup et la Ruée vers L'Or , que la réponse est venue :
La moitié des Français jouent à des "casual games", ces jeux digitaux de type Candy Crush. Il nous faut aussi toucher ces jeunes adultes
Toucher un nouveau public via à un nouveau dispositif. Comment rajeunir une image ou une marque, non pas pour qu'elle ne touche que les utilisateurs les plus jeunes mais aussi tout un un public réceptif à tout ce nouvel agencement de l'écosystème numérique existant depuis maintenant 5 ou 6 ans ? Voilà le nouveau cheval de bataille des entrepreneurs. Et il en va de même pour le développement du Poker en ligne avec cette fois-ci un concurrent de taille au niveau des jeux de cartes : Hearthstone.
Ce 10 octobre 2015, Alexandre Dreyfuss CEO de Global Poker Index, intitulait un de ses billets sur le Huffingtonpost « Hearthstone et le jeu vidéo sont la plus grande menace du Poker en ligne ». La concentration sur le marché d'une pléthore de sites proposant une expérience similaire a conjointement fait diminuer l'attraction du modèle sur lequel reposait le genre.
La grande guerre du jeu mobile ne se joue plus au sein d'un même écosystème axant son développement, mais bien asymétriquement entre tous les écosystèmes cohabitant dans l'univers mobile et le monde du jeu vidéo traditionnel. Dreyfuss note que le modèle du Poker en ligne n'a pas évolué depuis la dernière décennie tout en vantant les mécanismes à travers lesquels, comme des tournois en lignes communautaires énormes, était mis en avant HearthStone : Heroes of Warcraft. Une simple utilisation de Google Trends suffit à l'homme d'affaire pour étayer ses dires :
L'image parle d'elle même, et abonde dans le sens de l'analyse de Dreyfuss, le Poker en ligne n'a pas su se renouveler pour accroître son audience, le directeur de Global Poker va même plus loin :
Nous , en tant qu'industrie , devons accepter que nous avons besoin de créer de nouvelles expériences pour nos utilisateurs et de prendre des risques . Nous allons essayer , nous allons échouer , nous allons y remédier , mais le statu quo ne peut plus être accepté si nous voulons une forte croissance de notre industrie dans les cinq prochaines années , et ne pas devenir le « jeu joué dans les années 2000 ».
Attention tout de même, les éclairés le savent il serait préjudiciable de laisser penser que le jeu en ligne est obligatoirement synonyme d'eSport. En entrant dans le débat, ces sociétés parfois cotées en bourse ne doivent pas altérer l'appréciation des réponses apportées pour cette scène en développement. On peut facilement imaginer que la logique du pari en ligne entrera en compte pour de nombreux rentiers de l'internet. Le « Parions Sport », n'a pas de pendant électronique. Il suffirait d'une porte pour voir les pratiques alternatives se multiplier, un peu comme ce qui est arrivé sur CSGO et son CSGO Lounge.
Au niveau des organisateurs, joueurs, sponsors et administrateurs, la clarté est demandée
Le marché du jeu vidéo en France est en constante évolution. Avec sa croissance pérenne de 3,8% par an sur la période 2012-2015, l'eSport s'est naturellement ancré dans les mœurs des usagers du média. Suivre cette nouvelle forme de divertissement a été accéléré par la démocratisation de l'internet haut débit chez les usagers. Fut un temps, les LANs (Local Area Network ces événements regroupant les joueurs à des tournois de grande ampleur) étaient des lieux de rassemblements prisés par des castes averties.
Avec l'arrivée du streaming de masse, chaque équipe, chaque joueur ou personnalité, chaque éditeur ou sponsor, peuvent à loisir fidéliser un nouveau public. 205 millions de personnes dans le monde sont connectées pour assister à ces compétitions sur des jeux tels que CSGO, DOTA 2, League of Legends, Call of Duty ou encore Street Fighter. En France c'est un public potentiel de 4,5 millions de spectateurs qui est concerné quand parmi ces derniers on décompte 398 000 joueurs compétitifs réguliers dans l'Hexagone.
Cette pratique extrême du jeu vidéo exercée par des joueurs au talent avéré génère une manne financière substantielle. C'est aussi parce qu'elle existe que la clarté est demandée par celles et ceux qui structurent le marché. Les revenus totaux générés par les compétitions de jeux vidéo est estimé à 612 millions de dollars par an (source Superdata) dans le monde. L'asie se taille la part du lion avec 61% des revenus générés, l'Europe arrive après les USA (23%) en réunissant 73 millions de dollars avec ses 12% de parts de marché.
De coquettes sommes atteintes en majeur partie par les apports financiers liés au sponsoring ou à la publicité en ligne. A chaque pause sur une chaîne diffusant une compétition, à l'instar du football américain aux Etats-Unis ce sont les annonceurs qui s'accrochent à l'écran. Cette pratique assure une couverture organique pour les marques. Que ce soit via les pipelines traditionnels et ceux, émergents, comme le streaming et les WebTV, les annonceurs s'arrogent ainsi des taux d'engagements bien plus élevés sur des segments qui paraissaient marginaux il y a quelques années encore. A l'instar des sports populaires diffusés à la télévision, 40% des spectateurs de ces compétitions ne pratiquent pas régulièrement les jeux qu'ils visionnent en stream. Dans le monde en 2015, ce sont 700 000 tournois qui ont été organisés.
Changer l'image de simple loterie en ligne pour se professionnaliser à long terme
Millenium, O'Gaming, GamersOrigin, Team LDLC, aAa, Melty eSport, Vitality, les acteurs français de la scène eSport sont nombreux. Les business models sont parfois concordants pour ces structures et équipes qui avec le temps sont devenues des marques à part entière. La demande la plus forte de ces nouvelles forces vives du secteur : pour développer la scène il faut préciser le statut des compétitions. Pour rappel depuis le 17 mars 2014 de nombreuses compétitions sont identifiées par la loi comme entrant dans le champ de l'interdiction des loteries. Pour Thud, un des artilleurs du binôme formé avec son frère Pomf, les choses vont dans le bon sens. Reste à lisser les derniers éléments permettant dans un futur proche une structuration sereine d'une pratique en devenir.
Ce rapport est globalement un grand pas en avant, tant par son contenu que par la démarche constructive dont il a fait l'objet. Il reste cependant des points à approfondir dans les prochaines semaines: définir précisément le statut du joueur esportif professionnel, la légalité de certains qualifiers online (qui sont encore considérés comme un jeu d'argent) par exemple.
Il faut dire que la législation est sur ce point assez passéiste même si au fil des siècles elle a su s'adapter à la société qu'elle a accompagnée. Basée sur un article du code de la sécurité intérieure datant de 1836 « Les loteries de toute espèce sont prohibées » ; il aura fallu attendre le verdict de la cour d'appel de Toulouse en 2013 pour que les choses changent. La jurisprudence du Texas Hold'em considéré jusqu'alors comme un jeu de hasard aura plié les débats.
Un encadrement strict pour la rémunération des mineurs est aussi à l'ordre du jour. Souvent sujets à la polémique, de nombreux jeux considérés comme violents sont en ligne de mire. Dans ce cadre spécifique, l'autorisation parentale est préconisée comme une condition inaliénable de la participation de ces derniers à un tournoi. Cette interaction et cette relation de confiance devraient instaurer un climat sain et une base de travail adéquate pour les organisateurs. A cette fin ce sont les enjeux financiers qui sont pointés du doigt avec des gains en compétitions pour les 14 – 16 ans n’excédant pas les dotations individuelles supérieures à 2000€. L'autorisation parentale sera en outre soumise à l'appréciation du label PEGI (Label Pan European Game Information) de façon à réglementer et réguler les tournois.
Comme la plupart de mes collègues travaillant dans l'eSport (et non le
eSport) je suis content à chaque fois que nous sommes pris au sérieux et
que l'eSport est considéré. Cependant, les intentions de l'état, même si
elles semblent bonnes au premier abord, sont rarement dénuées d'intérêt.
J'espère sincèrement que nous n'aurons pas à regretter le résultat, même si
nous savions tous très bien que le passage par la case légalisation /
régularisation était inévitable pour faire avancer le milieu. J'espère
simplement que la bonne volonté des parlementaires qui se sont occupés de
ce premier rapport, et qui semblent avoir eu à cœur de bien comprendre les
enjeux, sera respectée par le gouvernement.
De l'apport du contrat professionnel et de la régugulation par l'institution
La plus grande difficulté aujourd'hui pour les animateurs de cette scène en formation tient aussi à la difficulté de mise en perspective d'un projet professionnel sérieux pour ses contributeurs et eSportifs. Le contrat auto-entrepreneurial est bien trop astreignant et limitatif à la fois pour le salarié et son « patron » mais permettait une certaine élasticité pour les bénéficiaires. Cette situation jugée précaire est mise à l'épreuve de la concurrence fiscale entre les pays selon leurs zones géographiques et les lois économiques articulant leurs développements.
Dans ces conditions le statut des joueurs professionnels est au cœur d'une problématique où l'émission des contrats se doit d'être adapté et spécifique. Le CDD dans cet ordre d'idée reste un moyen, malgré ses lourdeurs administratives, efficace de transiger pour une solution viable. Il suffirait d'intégrer par décret la pratique compétitive du jeu vidéo dans le code du travail pour accélérer et doper le changement sur son encadrement. C'est une des propositions de ce rapport intermédiaire. Une fédération dédiée au modèle eSportif, souhaitée par beaucoup de participants au débat, semble un rêve inaccessible pour trouver une issue dans le réel. C'est finalement un autre moyen qui est retenu, même si l'admission de la possible création d'un organe détaché du ministère des sports a fait son chemin.
Cela faisait plusieurs années que les principaux acteurs de l'esport tentaient vainement d'alerter les pouvoirs publics sur l'existence de ce nouveau secteur.
C'est donc une très bonne nouvelle qu'il y ait pour la première fois un rapport officiel qui non seulement reconnait cette existence, mais en plus assume une véritable bienveillance à l'égard de notre activité.
Le contenu du rapport traite les sujets importants : la distinction claire et sans équivoque entre les "loteries" et l'esport, les recommandations au CSA pour que l'esport soit traité comme le sport vis à vis de la publicité, et la reconnaissance de certaines spécificités du statut d'esportif professionnel.
Concernant ce dernier statut de joueur pro, j'ai bien peur que ce soit malheureusement insuffisant pour empêcher le départ des meilleurs athlètes français vers d'autres pays. Là où le sport bénéficie d'un soutien public important, sous la forme de subventions grâce sa dimension territoriale notamment (clubs municipaux...), l'esport doit faire face seul à la concurrence de pays à la fiscalité plus attractive. Concrètement, un athlète esportif français, pour un budget équivalent accordé par un sponsor, aura intérêt à exercer son activité dans un autre pays pour percevoir des revenus plus élevés.
Ce rapport est un premier pas nécessaire, qui, je l'espère, va poser les bases de la discussion, mais s'il existe une volonté politique de faire de la France un territoire d'esport, il y aura encore beaucoup d'efforts à fournir..
Une commission spécialisée du CNOSF, le représentant en France du CIO (comité international olympique), pourrait être allouée à la tâche spécifique de l'élaboration de cette régulation recherchée. Par le biais étatique, le jeu vidéo ferait ainsi son entrée dans un monde balisé par des normes et encadré à tous les niveaux. Comme le rapport le précise : « Au demeurant la mission tient à faire observer que le ministère des sports, et plus généralement la loi et le règlement, ne retiennent pas de définition univoque du sport. Le Conseil d'Etat, dans sa jurisprudence retient la méthode du faisceau d'indices ». Les membres de cette commission seraient choisis par décrets avec l'aval du CNOSF et entreraient dans le cadre de cette loi pour une république numérique.
C'est désormais sur l'aspect fiscal, la soumission aux impôts commerciaux, et la flexibilité de la TVA (un taux réduit à 5,5%) dans ce schéma à la polarisation équivoque, que le rapport final devra apporter sa lumière. Dernièrement le CSA pourra se réserver le droit de définir les conditions dans lesquelles la diffusion d'une compétition ne constitue pas une publicité dissimulée, les commerciaux sont prévenus.