Nous avons profité d’une belle matinée de février pour nous rendre à la présentation du groupe Arte dédiée à l’univers de Philip K. Dick, célèbre écrivain prolifique qui s’est attardé longuement sur les univers dystopiques. Et si ce nom ne vous dit rien ou qu’il évoque juste « un des grands auteurs » de classiques de la littérature science fiction sans qu’aucun de ses ouvrages ne parvienne à votre esprit, sachez qu’il est responsable d’une quarantaine de romans d’anticipation et de plusieurs dizaines de nouvelles qui ont par la suite servi de base à plusieurs œuvres-clés du cinéma d’aujourd’hui comme Blade Runner, Minority Report, Total Recall ou plus récemment Le Maître du Haut Château, adapté en série par Amazon. Pour célébrer l'anniversaire de sa mort et dans le souci du respect de son œuvre, le groupe Arte lui a donc dédié 3 œuvres transmedia comprenant un documentaire d’une heure, un jeu vidéo, et une expérience en réalité virtuelle.
Ce sont donc 3 travaux qui nous intéressent aujourd’hui puisque nous avons pu visionner le documentaire et quelques parties sur le jeu mais surtout essayer l'expérience VR durant un peu moins de 5 minutes sur deux supports différents : l’Oculus Rift (dans son édition DK2) et le Gear VR (avec un Galaxy Note 4 aux commandes). Mais avant de vous donner notre ressenti, il nous faut resituer l’œuvre et surtout l’auteur emblématique qui l’a inspiré à travers ce que l'on a pu apprendre dans le documentaire dédié.
Philip K. Dick : l'homme qui a écrit Minority Report, Blade Runner, Total Recall...
Philip K. Dick est un écrivain du 20eme siècle qui a su briller par sa narration décalée, à mi-chemin entre l’onirisme dystopique et la critique d’anticipation de la société moderne, mettant en avant ses dérives sécuritaires et technologiques, saupoudrées d’un brin de psychose et de paranoïa, deux éléments qui affectaient l’auteur. Le talent de Philip K.Dick réside dans sa capacité à narrer des aventures alternatives à notre présent mais tout à fait cohérentes une fois placées dans leur univers, lequel est souvent riche et crédible.
En visionnant le documentaire (qui sera diffusé le 2 mars), on se rend bien compte que l’entourage de l’écrivain a tout à fait conscience de ses dérives anxieuses mais que bon nombre de ses œuvres s’avèrent quasi-prophétiques. On prend notamment en exemple Minority Report, inspiré de l'oeuvre éponyme, lequel dépeint la police de demain qui s’appuie sur des precogs (des humains hantés par des visions d’horreur et de violence) pour anticiper et prédire les crimes, une finalité qui est aujourd’hui en vigueur dans les départements de police actuels des Etats Unis qui, grâce à des logiciels informatiques, arrivent à réduire le crime en se basant sur tout un tas de statistiques liées aux zones, aux mouvements de foule, au climat et à l’économie en vigueur sur ces mêmes territoires. De là à imaginer que demain un crime puisse être anticipé, il n’y a qu’un pas.
Ce témoignage du triste pouvoir d’anticipation dont jouissait l’auteur se vérifie également par la robotique et les travaux sur l’intelligence artificielle qui, corroborée par les propos d’experts comme Stephen Hawking, laissent à penser que Blade Runner (adapté du roman de K.Dick « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ») n’est pas si loin du futur que l’on pourrait avoir d’ici quelques dizaines d’années. Le nombre de situations et d'univers en apparence dystopiques développés par K.Dick qui bien des années après se sont avérées ancrées dans une réalité tangible est tout bonnement dérangeant. L’homme est donc de plus en plus considéré comme un oracle ayant le pouvoir d’analyser des futurs alternatifs vers lesquels nous tendons à aller. Il figure d’ailleurs au panthéon des auteurs de SF et d’anticipation aux côtés d’Asimov, grand pape du genre.
Dans ce cadre, le documentaire permet d’identifier l’homme et son œuvre, et de voir a quel point il a pu incarner le revers de la médaille que pouvait subir les Etats Unis à une période où la nation était plus forte que jamais, s’émerveillait de l’apogée technologique, scientifique, et sécuritaire dont elle jouissait. Ses écrits ont d’ailleurs dérangé pas mal de gens à l’époque et K.Dick, à tort ou à raison, a exprimé plusieurs fois le danger qui menaçait sa vie, un danger émanant d’un état policier incarné par le gouvernement de Nixon, qui tendait de plus en plus à ressembler aux dirigeants de ses fictions ou à ceux de George Orwell (auteur du déroutant "1984"). Lentement, l’homme qui rêve éveillé et qui, accessoirement, se drogue aux amphétamines pour maintenir son rythme effréné de publication (allant jusqu’à sortir 16 romans en 5 ans) glisse dans ses psychoses, comme l’explique son psychanalyste qui l’a mainte fois entendu parler d’expériences surnaturelles tout en restant fasciné par le pouvoir de narration de l’homme.
Le nombre de situations et d'univers en apparence dystopiques développés par K.Dick qui bien des années après se sont avérées ancrées dans une réalité tangible est tout bonnement dérangeant.
Avant-gardiste et visionnaire, l’auteur s’est éteint peu avant la projection de Blade Runner qu’il trouvait d'ailleurs terriblement fidèle à sa vision lorsqu’il écrivit "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?". Perfectionniste jusqu’au bout, K.Dick s’est éteint d’une manière qu’il avait lui-même vu en rêve quelques mois auparavant, dans la position précise qu'il avait couché sur le papier pour un de ses personnages de fiction.
Californium, quand le jeu rencontre le mythe
Dans le cadre de sa couverture « à 360 degrés », Arte a souhaité toucher différents médias pour diffuser à la plus grande audience possible cette « lettre d’amour » à l’attention de l’auteur. En plus du documentaire, qui sera diffusé le 2 mars, Arte a offert l’opportunité à trois personnes de développer leur premier jeu vidéo dédié à l’univers de K.Dick. Ce jeu, Californium, embarque le joueur dans une aventure narrative où le héros, un écrivain nommé Elvin Green, parcourt plusieurs dimensions alternatives de sa propre histoire puisqu’il sera tour à tour auteur de misère dans la Californie du milieu du 20eme siècle (un peu comme K.Dick donc) mais verra subitement son logement basculer dans un premier univers dystopique dans lequel l’état de Californie est devenu autonome.
Quelques dialogues plus tard (on saluera d’ailleurs la présence de Michael Lonsdale qui a accepté de se préter, lui et sa voix caractéristique, au jeu), le personnage embarque dans un nouvel univers, dans lequel l’écrivain est ici roi d’une colonie martienne, toujours en référence aux écrits de K.Dick. Le titre devrait être proposé gratuitement au format épisodique sans sauvegarde via la plateforme d’Arte et sortira le 22 février sur Steam pour une dizaine d’euros en attendant un potentiel bundle regroupant le jeu, le documentaire et l'OST. Au-delà de la performance graphique, typique des petits jeux indépendants réalisés sur Unity par une ou deux personnes, c’est avant tout une découverte d’ambiance singulière que souhaite proposer l’équipe de développement, avec le soutien d’Arte et du CNC.
I, Philip, l'expérience VR
Last but not least, c’est une aventure en réalité virtuelle qui nous a été montrée pour clôturer ce tour d’horizon dédié à K.Dick. Ce projet, le plus innovant et avant-gardiste des trois, propose au spectateur de prendre place dans un film à 360 degrés, tourné en relief, dans lequel il incarne Philip, robot créé à l’image de Philip K.Dick. Curieuse idée que voici, mais cette dernière a pour origine des faits bien réels pusiqu’en 2005, un duo d’ingénieurs a en effet créé un véritable robot doté d’une intelligence artificielle et modelé à l'image de Philip K.Dick.
Trailer intéractif (360 degrés) de I, Philip
https://www.youtube.com/watch?v=0nL-hffgldILe robot pouvait parler, répondre, et avait donc la même tête que l'auteur. Très vite, la FOX, en promotion sur le film A Scanner Darkly (adapté du roman "Substance mort" de K.Dick), a demandé à ce que le robot fasse partie de la tournée du long métrage. Petit souci, au bout de deux ou trois voyages en avion, la tête du robot a tout simplement disparu lors d'un transfert... Désormais, le robot reprend du service via une épopée en réalité virtuelle à l'attention du plus grand nombre. Ce court-métrage sera en effet accessible partout, sur PC, sur Cardboard, sur GearVR et sur Oculus Rift à un tarif encore non-fixé.
L’homme qui rêve éveillé et qui, accessoirement, se drogue aux amphétamines pour maintenir son rythme effréné de publication (allant jusqu’à sortir 16 romans en 5 ans).
Derrière ce bel exemple de cinéma à 360°, c'est surtout une des thématiques-clés de K.Dick, à savoir l'humanité des intelligences artificielles, qui est traité. Ce thème a notamment été utilisé pour l'excellent Blade Runner, dans lequel les androïdes sont plus émotifs que les humains. Pendant les 5 minutes d'essai, on explore les réactions de journalistes et créateurs face au robot Philip dont les réactions mêlent considération de son état de machine et souvenirs hérités du vrai Philip K.Dick, lequel se posait constamment des questions sur sa propre existence. Notre courte épopée se termine sur une plage, permettant de voir le travail effectué sur le relief lors du tournage de l'oeuvre, avec, au loin, une femme brune, emblème récurent de l'oeuvre de l'auteur, héritée de la mort de sa sœur jumelle et symbole d'une perte inéludable dans son esprit. D'ailleurs, cette représentation de la femme brune, venant perturber le quotidien de la vie du héros "banal" de K.Dick, est visible dans de nombreuses reprises cinématographiques, qu'il s'agisse de Rachel dans Blade Runner, de Melina dans Total Recall, ou même dans les œuvres découlant du mythe instauré par K.Dick avec Trinity dans Matrix par exemple. Nous attendrons donc le 22 février pour avoir l'expérience complète et vous en parler plus en détails.
Ce travail de plus de 5 années autour de Philip K.Dick par Arte est une véritable plus-value pour le public et sensibilise bien plus efficacement le public grâce à son approche transmedia. Nous vous recommandons évidemment ces trois oeuvres, ne serait-ce que pour découvrir l'un des plus grands influenceurs de la science fiction (ou plutôt de la réalité alternative) qui grâce à ses écrits a su modeler nos craintes et les menaces de l'avenir pour en faire des univers attachants, immersifs et envoûtants.