Si le jeu vidéo est jeune, il n'a pas mis longtemps à faire concurrence, non pas au cinéma avec lequel il entretient des liens très étroits, mais à la télévision. En partant de ce postulat, '''on peut raisonnablement se demander si les chaînes généralistes ne sont pas souvent promptes à pointer du doigt notre univers de prédilection afin de mieux le décrédibiliser.
C'est en effet ce qui se produit parfois par le biais de soirées ou reportages principalement pensés non pas pour informer le grand public, dont les chaînes hertziennes restent encore le principal moyen d'information, mais plutôt pour mettre au banc des accusés le jeu vidéo qui se montre dès lors responsable de bien des maux de la société. Bien entendu, le média peut générer des dérives, à travers certains jeux, dans la gestion financière ou humaine de certains groupes, ou les pratiques de sociétés parfois peu respectueuses du joueur, mais est-il pour autant légitime d'axer sa plaidoirie autour de l'addiction dont les journaux télévisés sont particulièrement friands ?
Toutefois, il convient ici de ne pas faire de généralités mais plutôt de dresser un bilan en prenant quelques exemples concrets afin de voir comment les chaînes généralistes françaises ont su évoluer à travers le temps. Ainsi, si la vision de chaînes comme Nolife, Game One, GONG et bien d'autres peuvent compter sur l'avis de journalistes spécialisés, le constat est différent lorsqu'on évoque TF1, France Télévision ou bien Arte. De fait, si la base du journalisme reste quoi qu'il en soit la recherche et le recoupement d'informations, étrangement, on se rend souvent compte que ce qui est vrai pour la politique, ou même le sport, ne vaut nullement pour le jeu vidéo encore considéré par beaucoup comme le parent pauvre du cinéma, principalement à destination d'adolescents renfermés, asociaux et obnubilés par leur passion. Du moins c'était le cas il y a quelques années.
Des débuts difficiles
Ainsi, le 1er novembre 2004, le journal Libération nous pond un sujet sur les suicides collectifs au Japon et nous apprend que 147 collégiens et lycéens s'étaient suicidés en gobant des poches de silicone. Effarant mais totalement faux puisque cette «information» n'est ni plus ni moins qu'une blague provenant d'un des articles de nos confrères de Xbox Mag datant de mars 2004 à propos du retard de sortie de Dead or Alive Ultimate. Toutefois, le quotidien français se fendra un peu plus tard d'un mea culpa tout en rectifiant l'article.
Le plus embêtant est que cette information sera entre-temps reprise par le journal de 20 heures de France 2, le 21 novembre de la même année, avec un sujet similaire concernant les suicides au Japon. On imagine donc que le journaliste a tout simplement repris l'article de Libération et n'a nullement cherché à vérifier plus en profondeur la source de l'information. En parallèle, on pourra aussi trouver dérangeant qu'une analogie un peu trop frontale soit faite entre les suicides collectifs et les otakus alors que ces derniers n'étaient pas les plus touchés par le phénomène.
Notons que cette «bourde» fera l'objet d'un sujet dans l'émission du 28 novembre 2004 d'Arrêt sur Images qui se chargeait il y a quelques années de décrypter chaque semaine les faits marquants s'étant déroulés dans les médias. Le plus triste dans cette histoire est que France 2, via David Pujadas, fera également son erratum le 29 novembre en évoquant «simplement» 147 suicides (exit donc les poches de silicone) tout en incriminant un journal japonais anglophone à l'inverse de leur journaliste qui sera, lui, complètement dédouané.
L'addiction comme moteur de la critique
En juin 2008, Arte propose le documentaire Dans la Spirale des jeux vidéo. Si le titre donne plus ou moins le ton, la description dudit reportage sur le site d'Arte renforce cette impression :
...Avec l'aide de Gerald Hüther, spécialiste du cerveau, et de Wolfgang Bergmann, thérapeute pour enfants, la réalisatrice du documentaire cherche des réponses aux questions que chacun se pose : qu'est-ce qui attire tant de jeunes dans les mondes virtuels et pourquoi certains ne peuvent-ils plus se passer des jeux vidéo ? Quelles sont les conséquences de cette addiction sur la santé et le développement mental, psychique et social de ceux qui entrent dans cette spirale sans fin à un moment crucial de leur développement ? Comment les familles vivent-elles cette situation ? Comment réagir ? ...
Ainsi, on ne sera pas surpris qu'une heure durant, le documentaire oppose adolescents et parents alarmés, dont certains laissent pourtant leur progéniture mineure jouer à des jeux qui ne leur sont pas destinés. Il est d'ailleurs assez ironique de constater que la journaliste met l'enfant devant le fait accompli mais pas le parent. Si un thérapeute et une spécialiste du cerveau sont ici censés apporter du crédit audit documentaire, il est dommage que l'orientation soit claire pour la réalisatrice cherchant à faire passer le jeu vidéo pour une drogue, l'analogie avec le cannabis, l'alcool et l’héroïne étant effectuée à des degrés divers. Il aurait donc été intéressant qu'il y ait une véritable confrontation entre spécialistes puisque dans La Spirale des jeux vidéo, les 3/4 des intervenants adultes sont soit d'anciens joueurs accros qui ont réussi à passer le cap après avoir tout perdu, soit des médecins tirant la sonnette d'alarme, soit des éducateurs voulant à tout prix aider nos chères têtes blondes à s'en sortir. S'il est inutile de nier qu'il peut y avoir une dépendance aux jeux vidéo, la faiblesse du documentaire vient du fait qu'il semble vouloir en faire une généralité en ne confrontant jamais, ou rarement, les aspects négatifs aux aspects positifs que peut générer le jeu vidéo.
Rebelote le 2 janvier 2009 pour France 2 qui nous pond une fois encore durant le JT de 20 heures un sujet sur le jeu vidéo... et l’addiction. Si on commence à avoir l'habitude, notons que durant la majorité du reportage, on nous met en garde contre cette dépendance. Louons tout de même l'effort de faire intervenir une joueuse à la toute fin qui tempère les propos extrêmes du «No Life» (bien qu'il soit estampillé «joueur occasionnel», paradoxe quand tu nous tiens), vu quelques instants auparavant, en se disant étonnée que beaucoup de gens soient surpris par l'influence des jeux vidéo mais pas du fait qu'un enfant reste 5 heures par jour devant la télévision. Sur ce sujet, nous vous renvoyons également à notre dossier pour en savoir un peu plus.
TF1 n'est pas en reste la même année puisque la chaîne consacre, durant un de ses JT de 20 heures, un reportage alarmiste sur les jeunes jouant en ligne. Que dire si ce n'est que le ton est lourd, les propos font peur et qu'il n'y a ici aucune envie d'informer véritablement le grand public, le seul intérêt pour la chaîne étant de mettre au pilori le jeu en ligne. Il suffit d'ailleurs d'écouter l'introduction de PPDA précisant que deux Français ont dû être hospitalisés dans un établissement psychiatrique ou de voir le joueur choisi qui a du mal à s'exprimer. Enfin, le reportage se termine sur l'intervention de psychiatres et médecins nous parlant de plusieurs cas extrêmes sans jamais préciser que ceci ne constitue que des cas isolés nullement représentatifs de ce que vivent la plupart des joueurs.
En 2010, Arte se penche à nouveau sur les jeux vidéo par le biais de son émission Philosophie. On se dit donc que le regard de philosophes sur le sujet va apporter quelque chose de neuf sauf que dans le cadre de ladite émission, les propos des deux intervenants ont de quoi décontenancer. En effet, on sent bien que les deux hommes ne connaissent pas vraiment le monde du jeu vidéo et leur dédain vis-à-vis du média est palpable. Dans tous les cas, difficile d'accorder le moindre crédit à un homme qui commence son analyse par «Cette image est pathétique, ils ont des têtes d'abrutis».
De l'importance d'un acronyme
De façon plus légère, comment oublier la même année le fameux MEUPORG qu'aura le malheur de prononcer un journaliste de TéléMatin en évoquant un article de Libération sur les jeux vidéo et l'addiction (la vie est un éternel recommencement). Plus drôle qu'autre chose, il est tout de même intéressant de noter que durant l'émission Médias Le Magazine, qui revient sur cette «affaire», le présentateur lui-même se trompe sur la prononciation du terme. Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous, même si on voit que dès qu'il s'agit de jeux vidéo, les journalistes lâchent du leste en ne prenant, dans le cas qui nous intéresse ici, même pas la peine de trouver ce que signifie MMORPG ou bien encore de le prononcer correctement. Pourtant, rappelons qu'il s'agit d'un simple acronyme comme il en existe pléthore dans le monde politique...
Une évolution timide...
Début 2012, Arte nous offre le documentaire La Revanche des Geeks. Il n'est ici pas question uniquement de jeux vidéo mais de tout ce qui touche à la pop-culture dont le cinéma, les jeux de société, etc. Ainsi, à travers plusieurs anecdotes et documents d'époque, ce documentaire instructif revient avec beaucoup de nostalgie sur ce qui définit le terme «geek». Il est d'ailleurs assez intéressant de constater en regardant La Revanche des Geeks que la diabolisation des jeux vidéo n'est au final qu'une sorte d'évolution de ce qui se faisait il y a de nombreuses années lorsque les boucs émissaires des grands médias se nommaient comics, cinéma d'horreur ou Dungeons & Dragons.
En octobre 2012, France 2 est à nouveau sous les feux de l'actualité. En effet, dans son JT de 20 heures, la chaîne traite une fois encore des jeux vidéo et plus particulièrement du fait qu'ils rendraient violents. Suite à la diffusion du sujet, de très nombreuses critiques pleuvront sur la Toile. Nos confrères de gameblog.fr remarqueront d'ailleurs que le JT du 10 octobre, celui-là même incriminé, n'est plus disponible en VOD sur le site de France 2, a priori à cause d'un bug, d'après la chaîne. Toutefois, le site jeanmarcmorandini.com contactera lui aussi France 2 pour en savoir plus et nous apprendra que ledit JT n'est plus disponible en raison des droits d’un sujet diffusé lors de cette édition.
Fin 2012, Envoyé Spécial s'intéresse à nouveau au sujet. Précision importante, l'émission de France 2 est coutumière du fait puisque dès 1992, elle propose régulièrement des numéros beaucoup plus documentés que la moyenne sur le jeu vidéo. De fait, on ne sera pas étonnés que ce ce nouveau reportage ne soit pas automatiquement synonyme d'addiction ou de parallèles avec les drogues dures bien que, durant la seconde partie, le tout soit évoqué mais nuancé par Nicolas Gaume, président du syndicat national du jeu vidéo. Le magazine opte pour un reportage global s'intéressant à des développeurs français dans l'Hexagone ou à l'étranger, l'évolution du milieu, etc. Rendons à César ce qui appartient à César, le contenu s'avère plutôt intéressant et documenté.
... qui se concrétise en 2013
2013 marque une étape assez intéressante dans la façon qu'ont les médias généralistes de parler du jeu vidéo. Il est ainsi moins question de le diaboliser que de mettre en avant divers parallèles, avec le cinéma notamment, comme le fait TF1 dans son JT de 20 heures. Notez tout de même que l’implication plus forte de Fabrice Collaro sur la chaîne privatisée, auteur du reportage évoqué juste avant, n'est sans doute pas étrangère au changement de ton, l'homme, spécialiste des nouvelles technologies, étant plus familier avec le milieu vidéoludique.
Si l'évolution de ton s'était déjà fait ressentir sur Arte en 2012, la chaîne poursuit dans cette voie en diffusant en novembre 2013 le documentaire Game Over. Ici aussi, il n'est plus question d'alarmer ou de faire peur mais bel et bien d'informer via les portraits croisés d'un hacker chinois, d'une star des jeux vidéo alternatifs vivant à Hollywood, d'une psychologue clinicienne française qui arrive à Tokyo et d'un sociologue des mondes numériques. Le documentaire a ceci de très intéressant qu'il ne cherche nullement à faire passer une vision idéaliste du jeu vidéo (voir les passages sur les gold farmers, l'identification trop forte à son avatar...) tout en n'oubliant jamais de préciser que le média ne se limite pas à des FPS ou des jeux de baston puisqu'il accueille aussi des titres oniriques comme Flower ou Journey.
Tout comme France 2 (avec Télévisator 2), Canal + a rapidement surfé sur le jeu vidéo, notamment grâce à son émission Cyberflash et sa présentatrice en images de synthèse Cléo. Aujourd'hui, la chaîne n'a pas renoncé à nous parler du média puisqu'on peut voir chaque semaine Le Journal des jeux vidéo. Pas grand-chose à signaler cependant du côté des émissions grand public si ce n'est Le Petit Journal qui nous offre en 2013 deux portraits liés aux geeks et à l'E3, édition 2013. Bien entendu, on retrouve ici le ton caustique et humoristique de l'émission même si on ne peut s'empêcher d'y voir une certaine moquerie (celle-ci véritable) de ces univers. Ainsi, concernant le sujet des geeks, on a l’impression d'être dans une véritable cour d'école avec d'un côté les beaux gosses et de l'autre les éternelles têtes de Turc. Du coup, rien ne ressort du sujet si ce n'est ce fameux côté «Mais c'est pour rire, voyons !» si cher à l'équipe de Yann Barthès. Cependant, je vous laisse seul juge quant à la réaction à avoir en regardant ces deux sujets.
Enfin, intéressons-nous à la plus grosse sortie de 2013, à savoir Grand Theft Auto V. Le cas n'est pas anodin compte tenu de son aspect bac à sable nous permettant de nous conduire comme le pire des gangsters. On aurait ainsi pu penser que les chaînes s'en seraient donné à cœur joie en utilisant le titre de Rockstar comme un parfait tremplin pour remettre une couche à propos de la violence dans les jeux vidéo. Toutefois, en règle générale, on peut dire que cette sortie a été traitée de façon plutôt neutre. Sur BFMTV, la couverture se fait dans un des JT par le biais de la chronique Culture Geek. Sobre, le journaliste revient simplement sur ce qui fait la particularité du titre, son budget, en lançant même une petite pique au passage à Nadine Morano. C'est de bonne guerre, si je puis dire. France 2 de son côté, à travers son JT de 20 heures, préfère également revenir sur les bénéfices engrangés par le titre tout en faisant le parallèle avec le cinéma. Ici, point de critique directe, le journaliste préférant mettre l'accent sur le fait que le jeu vidéo est désormais le premier média numérique. Même son de cloche pour M6 dans son 19:45 qui met en avant le budget et la violence du jeu en rappelant simplement qu'il est interdit aux moins de 18 ans.
Vers un avenir meilleur ?
S'il n'est pas encore permis de parler d'une totale «légalisation» du jeu vidéo par les grands médias généralistes français, on voit tout de même qu'en une dizaine d'années, le discours a évolué. Moins prompt à fustiger le média, il n'en reste pas moins qu'il est encore assez fréquent de le pointer du doigt lorsqu'on évoque des tueries ou des drames mettant en avant des adolescents. De plus, on remarque malheureusement que la chaîne France 2, décidément très active sur le sujet, replonge facilement dans cette spirale sans fin consistant à utiliser un événement vidéoludique, ici la Paris Games Week, pour mettre une fois de plus en avant l'addiction en omettant totalement de parler du reste. Si ceci est encore plus fréquent aux Etats-Unis, d'où proviennent aujourd'hui la plupart des jeux vidéo mais aussi certaines des critiques les plus violentes, on peut espérer voir dans un proche avenir un traitement plus mesuré, plus informatif ou tout simplement plus respectueux ne serait-ce que grâce à des noms comme Steven Spielberg, George Lucas ou Peter Jackson, proches du jeu vidéo et qui ont depuis des années acquis leurs lettres de noblesse auprès des médias que nous avons évoqués tout au long de ces lignes.