ShootMania qui s’introduit dans l’E-Sport, c’est l’occasion pour Nadeo de rappeler que sa vision de cette compétition est diamétralement opposée à celle des éditeurs en place depuis longtemps comme Blizzard. « La compétition pour tous » demeure le leitmotiv des Français, qui ne cachent pas non plus leur admiration pour League of Legends, quitte à s’en inspirer. Nous nous sommes entretenus avec Anne Blondel-Jouin, Directrice Marketing chez Nadeo, pour en apprendre plus sur ce sujet.
jeuxvideo.com > Nadeo arrive dans l’E-Sport avec ShootMania, pourquoi une arrivée si tardive dans ce milieu ?
Anne Blondel-Jouin : En fait, je ne suis pas sûr que ce soit aussi tardif que ça. Si vous regardez Trackmania qui était avant chez Nadeo, depuis qu’Ubisoft a racheté ce studio il y a quatre ans, c’était déjà une idée que nous avions dans nos cartons. Après, il faut que l’idée ait le temps de germer. Cela fait longtemps que nous sommes dessus et Nadeo a beaucoup aidé à montrer la voie de l’E-Sport. Quand ils ont fait leur premier jeu, Florent Castelnarac (ndlr : le boss de Nadeo) a pensé le développer de manière différente, une idée venue suite à un voyage en Chine où il a vu des magazines de jeux vidéo avec des joueurs auréolés de médailles autour du cou. C’est à ce moment-là qu’il s’est dit : « c’est ça l’avenir ». Donc TrackMania dans l’E-Sport c’est rapidement devenu une évidence. Avec ShootMania, on a été les premiers à l’E3 à organiser une vraie compétition, donc je ne pense pas qu’on était si en retard que ça. Par contre, on a une approche un peu différente des autres, on est moins focalisé sur des grands coups, des gros prix. On est plus dans une approche « compétition pour tous ». On a envie et besoin de favoriser ces grandes compétitions, avec des gradins pleins, avec des stars pour donner un peu plus de légitimité et favoriser du grand spectacle. Si on avait par exemple 100.000 dollars à mettre sur la table, on préférerait mettre 100x1000$, que la totalité du prix. Pour que l’on voie plein de gens repartir contents plutôt qu’un seul.
jeuxvideo.com > Est-ce que justement, ce côté « Ecole des fans » ne risque pas de rendre la compétition autour de ShootMania moins prestigieuse ?
Anne Blondel-Jouin : Je ne sais pas, parce qu’on est comme tout le monde, on tâtonne, on réfléchit à la bonne stratégie à adopter. Si tu mets des gros « cash prices », tu te dis que seuls les meilleurs du monde peuvent y arriver. Ça rend la chose vraiment inaccessible et peut décourager plein de fans. Nous, on veut vraiment être plus accessibles et rendre la compétition plus humaine. Tu peux venir tenter ta chance avec tes amis, tes parents.
Tu peux évidemment mettre des récompenses à 100.000 dollars ou plus, mais je pense que tu ne peux le faire qu’à partir du moment où tu es reconnu dans le milieu de l’E-Sport. Sinon, j’ai le sentiment que tu vas acheter les joueurs. Si tu les appâtes avec de l’argent, ils vont venir le prendre et tu ne les reverras jamais. Tout le monde sera perdant, parce qu’ils auront fait un coup et n’auront pas forcément la possibilité de revenir et d’avoir des supporteurs derrière eux, et nous, cela n’apportera rien de plus à l’image du jeu et de la compétition. Des gens comme Riot avec League of Legends peuvent se permettre de le faire, car ils sont là depuis plus longtemps et ont acquis une certaine maturité dans l’E-Sport. Riot n’a jamais mis beaucoup d’argent au début.
League of Legends, c’est un succès extraordinaire, un phénomène que l’on regarde de très près, mais il n’y est pas arrivé du jour au lendemain. Combien de temps cela a pris ? Si on propose des gros prix dès le début, ça paraîtrait bizarre, cela viendrait à dire « je te fais un gros chèque, dis-moi que tu m’aimes ». Je pense que tu ne peux pas décréter toi-même que tu es un jeu E-Sport. Tu peux mettre toutes les chances de ton côté, comme le mode spectateur de ShootMania. Tu peux essayer d’être proche de la communauté, mais si elle ne veut pas de ton jeu, t’auras beau mettre des mille et des cents, ça ne marchera pas. On ne va pas construire quelque chose de pérenne. C’est aussi la culture Ubisoft d’être plus près des gens. L’argent c’est bien, mais ça peut aussi falsifier le côté réel et humain de la relation que l’on peut avoir avec les joueurs. On n’a pas encore de jeux qui permettent de le faire. Je ne dis pas qu’on ne le fera pas à l’avenir, mais pour l’instant, on fait avec ce que l’on a. On ne veut surtout pas acheter notre statut E-Sport. On veut se donner la possibilité de le faire, c’est pour cela qu’on multiplie les expériences, les expertises. On a la chance en France d’avoir plein de gens talentueux qui nous apprennent ce que c’est sans pour autant avoir à parler d’argent.
jeuxvideo.com > Avec ShootMania et TrackMania, à côté des FPS et autres Starcraft, vous n’avez pas peur d’un manque de crédibilité ?
Anne Blondel-Jouin : Non, car je pense que c’est en prenant le temps de montrer aux joueurs que ce sont eux qui décident et que nous sommes à leur écoute. C’est comme ça que l’on devient crédible. Et on est conscient que cela peut prendre beaucoup de temps de leur proposer la meilleure offre possible par rapport à leur attente. ShootMania, ce n’est pas si infantile que cela, c’est basé sur l’expertise de Nadeo. TrackMania, ça va faire dix ans que c’est sorti, il y a 18 millions de joueurs inscrits. On gagne en crédibilité en ne précipitant pas les choses et en regardant comment cela évolue.
jeuxvideo.com > Pourquoi ne pas faire comme d’autres éditeurs et parrainer ShootMania ?
Anne Blondel-Jouin : Pourquoi pas, mais il faut accrocher sur des choses vraies. Il faut que la démarche soit sincère. On n’a pas envisagé ça avec ShootMania et Trackmania car j’aurais l’impression de construire un projet sur du sable. On veut plus se baser et croire en la spontanéité. Après, si par exemple on apprend que Tony Parker aime ShootMania, là je dirais « que ça vaut le coup ». Il viendrait se confronter aux autres normalement dans la compétition. Les gens connus ou pas, quand ils aiment un jeu, sont capables de déplacer des montagnes. Dans notre approche, on s’intéresse à des gens qui ont des choses à dire, qui ne sont pas là uniquement pour ramasser un chèque. On s’inscrit plus dans une démarche d’écoute plutôt que celle d’une promotion bête et méchante.
jeuxvideo.com > Ghost Recon n’aurait-il pas plus sa place qu’un ShootMania ?
Anne Blondel-Jouin : Il ne faut pas résonner en termes de marque. Lors de l’E3, lorsqu’on est monté sur scène, on a reçu un coup de téléphone de la MLG (la Major League of Gaming qui orgnaise de grandes compétitions e-sport) et mon interlocuteur m’a dit « mais comment a-t-on pu passer à côté de ce titre !». Dans la démo, MLG a vu des choses qui répondaient à ses interrogations. Quand tu vois que des youtubers connus comme Total Biscuit, D9 qui met sa crédibilité en jeu en venant faire le casting, viennent sur ShootMania parce qu’ils croient au projet. L’intérêt d’avoir choisi ShootMania, c’est que tout le monde peut y jouer et gagner rapidement. Ce n’est pas comme Starcraft, où, si tu n’as pas des milliers d’heures de jeu derrière toi, tu n’iras pas loin dans la compétition. ShootMania se rapproche de la culture Ubisoft en étant accessible d’entrée. Nous n’aurions pas été cohérents en proposant un jeu trop pointu. Cela ne veut pas dire que l’on n'en fera pas plus tard, mais cela aurait été bizarre de commencer par un titre super pointu.
jeuxvideo.com > Ubisoft clame que l’E-Sport doit rester accessible à tous, alors pourquoi ne pas organiser des compétitions autour de Rayman par exemple ?
Anne Blondel-Jouin : Ce n’est pas impossible si l’on considère que l’E-Sport ne se limite pas à un monde de geeks. Tout comme un Just Dance qui s’inscrirait typiquement dans la philosophie de l’E-Sport. C’est un jeu fabuleux, où tu peux imaginer quatre joueurs qui dansent et toute la salle derrière qui danse également. C’est géant. Pour l’E-Sport, c’est vraiment du spectacle, avec des émotions et Rayman, tout comme Just Dance, procurent une liesse populaire et bon enfant vraiment sympa. Donc oui ça pourrait se faire, mais je ne pense pas tout de suite.
jeuxvideo.com > L’E-Sport attire de plus en plus de joueurs, des familles entières se déplacent sur les salons pour regarder les compétitions. Peut-on imaginer un jour en voir, uniquement destinées aux enfants ?
Anne Blondel-Jouin : L’année dernière à la PGW, il y avait la compétition TrackMania pour adultes et pour la première fois, ils ont organisé une compétition kids qui a super bien marché. Les parents se sentaient en confiance et voir tous ces gamins s’éclater sur les écrans, cela donnait une fraîcheur vraiment bienvenue. Et de les voir repartir contents, cela faisait vraiment chaud au cœur. L’E-Sport, ça crée des liens, les gens aiment se retrouver et partager un moment autour d’un jeu sans pour autant y passer des heures. Du coup oui, l’E-Sport pour enfants est également un projet qui pourrait, voire qui devrait se démocratiser encore plus. Enfin je l’espère.
jeuxvideo.com > C’est quoi l’avenir de ShootMania dans l’E-Sport ?
Anne Blondel-Jouin : On considère avec ShootMania et TrackMania que l’on a un engagement vis-à-vis des joueurs. Et le plus remarquable, c’est que si l’on compare les chiffres de départ de TrackMania et ShootMania, ShootMania démarre beaucoup plus fort, donc c’est vraiment encourageant et cela nous incite à satisfaire le mieux possible la communauté. On ne va pas lancer ShootMania dans l’E-Sport pour le faire disparaître dans six mois. On veut vraiment l’installer dans cette compétition le plus longtemps possible et Nadeo continuera de peaufiner le jeu pour renouveler l’expérience le mieux possible. Les gens ont une vraie fidélité par rapport à leur jeu. Il suffit de voir le succès de League of Legends, avec Riot qui reste constamment à l’écoute de leur communauté. Pour nous, LoL est un exemple à suivre et on veut s’inspirer de leur aventure pour ShootMania.