Producteur de Far Cry 2 au sein d'Ubisoft Montréal, Louis-Pierre Pharand nous parle de cette suite qui est de toute évidence conçue pour se démarquer d'un premier opus qui, pourtant, avait connu un succès phénoménal.
jeuxvideo.com > La version que vous avez présentée durant le Micromania Game Show est-elle représentative de votre travail actuel ou en êtes-vous encore plus loin aujourd'hui ?
Louis-Pierre Pharand : Nous avons avancé. Il s'agissait d'une version pré-alpha que nous avions emmenée à Leipzig. Et en fait, durant le MGS, nous avons montré à tout le monde ce que les journalistes avaient pu voir à huis clos à la Game Convention de Leipzig. Même s'il reste beaucoup de peaufinage et d'optimisation à faire, c'est très représentatif de ce que sera le jeu au bout du compte. Rien que la semaine dernière, j'ai vu des tas de nouveautés qui vont être incluses dans le jeu. Je pense qu'on va encore vous surprendre la prochaine fois qu'on vous le montrera.
jeuxvideo.com > Pourriez-vous nous expliquer pourquoi c'est une équipe interne d'Ubisoft qui développe cette suite et non pas Crytek qui avait signé le premier opus ?
Louis-Pierre Pharand : Effectivement, Crytek a fait le premier Far Cry mais Far Cry est une marque propriété d'Ubisoft qui l'a achetée à Crytek. Crytek a décidé d'aller de son côté pour développer Crysis. Ubisoft a alors développé des versions consoles de Far Cry. En fait, on avait commencé à travailler sur Far Cry 2 avant même que Far Cry Instinct ne soit sorti. Au-delà, le travail de l'équipe est de développer un moteur de jeu qui va replacer Ubisoft dans le peloton de tête des développeurs PC.
jeuxvideo.com > C'est toujours un peu le cas, non ? A moins que vous vouliez dire qu'Ubisoft est meilleur éditeur que développeur...
Louis-Pierre Pharand : Non, pas nécessairement. Si on demande à un joueur quels sont selon lui les derniers jeux qui ont cassé la baraque sur PC, je ne suis pas certain qu'un titre Ubisoft soit cité, mis à part Far Cry. Je ne crois pas qu'on ait vu autre chose depuis qui ait disposé d'autant de qualités et qui ait réussi à charmer autant les joueurs. C'est cette place qu'Ubisoft veut reprendre et, pour cela, il faut de la technologie. Pour la technologie, il faut être capable de la développer. C'est un peu la mission qui nous incombe : développer cette technologie sur laquelle on va pouvoir continuer de bâtir pour les autres jeux qui utiliseront notre moteur.
jeuxvideo.com > Parlons spécifiquement du jeu. On y trouve des ennemis qui font preuve de solidarité. Quand un de leurs coéquipiers vient d'être blessé, ils viennent voir s'ils ne peuvent pas le secourir. Mais justement, la bonne tactique ne se résume-t-elle pas à attendre qu'ils arrivent dans le viseur pour les allumer un par un ? Cette fonction ne va-t-elle pas rendre le jeu trop facile ?
Louis-Pierre Pharand : D'une certaine façon oui, on peut dire ça si on se réfère uniquement à ce que vous avez vu aujourd'hui. Mais dans cette version, il n'y a pas encore de snipers qui seront présents ultérieurement dans différents endroits. J'ai vu de quoi les snipers sont capables et ça ne va pas être des vacances. De plus, la tactique que vous décrivez ne fonctionne que jusqu'au moment où vous êtes détecté. Dès qu'ils vous ont vu, les ennemis arrivent sur vous en jeep à plusieurs et rien n'est plus vraiment aussi simple que vous le suggérez. Reste qu'on peut jouer de plusieurs façons, ce que je trouve génial. On peut être un sniper, on peut se lancer vers l'objectif à la Rambo avec un véhicule et tenter d'éliminer tout le monde avec la tourelle. Cela reste incroyablement jouable car l'intelligence artificielle réagit vraiment selon le type d'attaque auquel elle est confrontée. Il n'est pas question de trouver une faille et de l'exploiter tout au long de sa partie. Ce qu'on a montré aujourd'hui est inspiré de "Full Metal jacket" de Stanley Kubrick. Il s'agit d'attirer l'ennemi puis de les éliminer un par un. Mais ce n'est pas la seule tactique qu'on peut utiliser et certainement pas la formule miracle pour gagner dans ce jeu. Si l'ennemi se rend compte qu'il y a un sniper aux alentours, il réagira en sortant les siens. C'est cette dynamique-là qu'on voulait aller chercher et cette dynamique, au bout du compte, doit forcer le joueur à bouger. Dans Far Cry 2, si le joueur reste immobile, il est cuit. S'il bouge et qu'il planifie bien ses attaques, il va s'en sortir.
jeuxvideo.com > Autre point très spécifique au jeu : on se soigne soi-même non pas en utilisant de manière très schématisée des trousses de soins, mais en enlevant les balles et en cautérisant ses blessures. C'est très réaliste et plutôt original mais, d'un autre côté, c'est très graphique. Vous ne craignez pas d'avoir des soucis avec la censure dans certains pays ?
Louis-Pierre Pharand : C'est un point qu'on surveille de très près et depuis longtemps. C'est un système qui, pour nous, est essentiel au jeu. Les autres manières de faire qu'on avait vues tenaient à aller se cacher dans un coin en attendant que sa santé remonte puis à retourner au combat ou encore à s'injecter de l'adrénaline, par exemple. Nous voulions quelque chose de très viscéral. Des consultants que nous avons rencontrés nous ont dit que les soldats en combats doivent continuer. S'ils prennent une balle, ils doivent l'enlever eux-mêmes. Et si c'est effectivement ce qu'on a pu vous montrer aujourd'hui, sachez par exemple qu'en cas d'accident de voiture, vous pourrez être appelé à vous replacer l'épaule ou le genou. Et comme on voulait absolument garder ce système, on est entré très tôt en contact avec les établissements chargés de la classification en fonction de l'âge. Par exemple, à Leipzig, on a rencontré des gens du comité allemand qui est reconnu pour être très sévère sur ces questions. Pour eux, tout allait bien ainsi que pour beaucoup d'autres organismes du même genre. La raison en est simple : c'est qu'il s'agit d'une action positive. C'est une action qui permet de retourner au combat et de garder le personnage en vie.
jeuxvideo.com > Mais justement, n'avez-vous pas envisagé de profiter de ce moment-là pour lancer un mini-jeu dont le résultat serait que l'action soit réussie ou pas, plutôt que de tout simplement s'enlever une balle ce qui peut paraître un peu basique ?
Louis-Pierre Pharand : Si, on l'a envisagé. Je tiens d'ailleurs à préciser que je travaillais sur Army of Two avant de rejoindre Far Cry 2. Donc je savais qu'il existait des systèmes comme celui que vous êtes en train de décrire. Mais je ne les trouvais pas très intéressant dans la mesure où ils ont tous en commun de sortir le joueur du combat le temps qu'il réussisse le mini-jeu. Nous ne voulions pas faire cela. Nous voulions que le joueur soit vraiment immergé dans le combat. C'est pour cela aussi qu'il n'y a pratiquement pas d'interface visible dans Far Cry 2. On voulait s'assurer que les éléments soient le plus réaliste possible ce qui nous a poussés à insérer un cycle de nuit et jour sur vingt-quatre heures. Face à tout cela, il ne nous a pas semblé judicieux de mettre au point un mini-jeu qui arrêterait le combat même un court instant.
jeuxvideo.com > La confirmation de l'existence de Far Cry 2 s'est faite par la fuite d'un planning rendu public par mégarde. Cet incident vous a-t-il mis la pression ?
Louis-Pierre Pharand : Honnêtement non parce que quand on travaille aussi longtemps sur un jeu, on est content que les gens soient au courant de son existence. De plus, cela ne s'est pas répandu autant qu'on le pense. C'est resté dans un cercle assez fermé. Par contre les gens ont vu qu'on travaillait sur quelque chose de sérieux. Au bout du compte, et même si cela reste une erreur, ça nous a fait prendre conscience du fait que nous avions hâte de communiquer sur le jeu.
jeuxvideo.com > Far Cry 2 a-t-il une histoire ou est-ce juste une suite de missions ?
Louis-Pierre Pharand : Non, non... Il y a une histoire. Je suis très content d'en parler. Le scénario est signé entre autres Clint Hocking, directeur de la création sur Splinter Cell Chaos Theory. Dans l'équipe de conception, on trouve également Susan O'Connor qui a écrit Bioshock ou Gears of War et qui travaille sur un autre projet que je ne peux pas citer. L'histoire est vraiment primordiale. On avait trouvé le scénario du premier Far Cry un peu série B, un peu banal. C'est quelque chose qui nous avait dérangés. Ça marchait avec le style du jeu mais ça manquait de réalisme et d'immersion. Et ça, c'est vraiment ce qu'on veut offrir aux joueurs. Ensuite, il fallait que le joueur puisse accomplir les missions dans l'ordre qu'il veut. Ce point nous a rajouté une couche énorme de travail parce qu'on voulait s'assurer que toutes les pistes étaient possibles mais c'était le prix à payer pour obtenir une histoire vraiment interactive. Vous ne serez pas déçu.
jeuxvideo.com > Donc pas de mutants, pas de savants fous, pas d'ïle du Docteur Moreau ?
Louis-Pierre Pharand : Non. Tout ça, c'est terminé. J'ai beaucoup discuté avec les joueurs du premier Far Cray et il en ressort qu'ils ont vraiment aimé la première partie jusqu'aux mutants. En tant que fans, on a voulu refaire ce qui marchait le mieux dans le jeu et l'améliorer tout en restant dans un univers réel.
jeuxvideo.com > Puisque Far Cry 2 ne sera pas du tout linéaire, peut-on dire qu'il sera plus large que long ?
Louis-Pierre Pharand : On pourrait dire ça. Si on essaie de traverser le jeu très rapidement, on s'attend à douze ou quatorze heures de jeu. Ce chiffre est valable pour ceux qui feront les missions essentielles en négligeant complètement les missions secondaires et en ne faisant aucune exploration. C'est quand même pas mal mais on sait que tout le monde va vouloir se lancer dans l'exploration. On pousse le joueur dans cette direction en lui proposant un monde de cinquante kilomètres carrés. De plus, il y aura donc des missions annexes mais aussi des missions pour lesquelles on aura la possibilité de faire le contraire de ce qu'on attend de vous.
jeuxvideo.com > Il va donc y avoir des factions avec lesquelles il faudra bien s'entendre et d'autres avec lesquelles on sera ennemi ?
Louis-Pierre Pharand : Tout à fait. Imaginons que vous deviez assassiner quelqu'un. Certaines factions détiennent des informations qui vous permettront d'atteindre cette cible. Pour les obtenir, vous devrez accomplir des missions qui vous mettront bien avec la faction pour laquelle vous travaillerez tout en faisant de vous l'ennemi du groupe que vous attaquez.
jeuxvideo.com > Quel est le dernier FPS auquel vous ayez joué ?
Louis-Pierre Pharand : Je joue encore à Half-Life 2. Mais j'ai essayé Crysis à Leipzig et c'est super cool. Je pense que c'est une excellente chose que Crytek ait à nouveau un jeu de cette qualité à proposer. La semaine dernière, j'ai joué à Team Fortress 2. Celui-là aussi, il est super cool. Ce genre de titres, ça permet de voir des choses très créatives avec un gameplay très différent. C'est ça qui est important. Dans l'équipe on joue à des shooters bien sûr, mais aussi à des jeux de sport, de courses. Ouais, des jeux de courses parce qu'on a un monde immense et quatorze véhicules et qu'on veut donner aux joueurs une expérience de conduite qui puisse rivaliser avec les meilleures traductions du pilotage en jeu vidéo.
jeuxvideo.com > Pour l'instant, vous ne voulez pas communiquer sur le mode multijoueur. Entendu. Toutefois, dans l'idéal, trouveriez-vous souhaitable qu'il y ait un mode coopératif dans Far Cry 2 ?
Louis-Pierre Pharand : Non, je peux vous dire qu'il n'y aura pas de mode coop. On va communiquer sur le mode multi un peu plus tard parce que nous ne voulons pas qu'un mode fasse de l'ombre à l'autre. Pour l'instant, on parle beaucoup du feu, du cycle nuit-jour, de la gestion du vent, du fait que tous les éléments du décor sont dynamiques, etc. C'est très impressionnant. Si là-dessus on ajoutait le multi, il serait perdu au milieu de toutes ces informations.
jeuxvideo.com > Merci, M. Pharand.
- Ubisoft