Loïc Gounon est coordinateur chez Ubisoft à Montpellier. Il a eu un rôle de superviseur ce qui signifie qu'il a assisté à toutes les étapes de création de Rayman Contre Les Lapins Crétins. Et, alors que sur les écrans plasma qui nous entourent, les maudits lagomorphes hurlent à qui mieux mieux, il a eu la courtoisie de répondre à nos questions sans sourciller.
jeuxvideo.com > Avec ce Rayman Contre Les Lapins Crétins et Red Steel, Ubi Soft essuie les plâtres sur la Wii. Comment un studio européen a-t-il fait pour être ainsi à l'avant-poste sur une toute nouvelle console japonaise ?
Loïc Gounon : En fait, tout a commencé avec Red Steel. Nintendo nous a approché alors qu'ils cherchaient un développeur occidental qui serait capable de faire un jeu un peu différent du style Nintendo. Xavier Poix, le directeur du studio de Paris a été très rapidement en contact avec eux et notamment avec Myamoto. C'est par ce biais que nous avons été en contact étroit avec Nintendo et que nous nous sommes rendus compte du potentiel de la machine. Dès qu'on a reçu les kits de développement, en février-mars, on s'est mis au travail de manière très enthousiaste. Tous les développeurs étaient emballés et avaient envie de mettre au point des jeux sur cette console. Nous nous sommes alors reconcentrés sur ces capacités et on a reformaté ce titre qui, à la base, était un jeu de plate-forme traditionnel pour l'adapter à la manière de jouer très spécifique de la Wii. On a donc pris en compte le gameplay, les lapins et le fun avant toute chose, avant même l'histoire. C'est un choix qui a été fait un peu avant l'E3 et qu'on assume pleinement aujourd'hui.
jeuxvideo.com > Mais huit mois pour développer un jeu, cela paraît négligeable...
Loïc Gounon : En production, ce n'est pas négligeable. Ca paraît court mais c'est quand même suffisant pour faire des jeux de qualité. Il faut savoir qu'un jeu qui a sept ou huit mois de production, quand on ajoute la préproduction, les phases de réflexion sur le contenu et le principe, ça peut monter à un an, un an et demi. Très rapidement, on savait ce qu'on voulait faire. En fait, le plus gros de notre travail en préproduction a été d'écarter des idées, c'est dire si ça a été facile.
jeuxvideo.com > A l'arrivée, Rayman Contre... propose combien de mini-jeux différents ?
Loïc Gounon : 75, ce qui n'est pas mal et qui correspond à tout ce qu'on a pu faire avec le temps dont on disposait. L'idée de base, c'était vraiment qu'il soit parfaitement prêt pour le lancement de la Wii. D'un autre côté, on ne pouvait pas faire trois ans de développement pour ce titre. Il n'y a que pour Zelda par exemple qu'on peut bénéficier de tels délais. Mais tous les titres de lancement de la Wii ont été développés en un peu moins d'un an.
jeuxvideo.com > Reformulons. Huit mois pour développer un jeu... On peut émettre un doute sur une éventuelle démarche artistique en constatant qu'un jeu a été créé dans un délai aussi court, pour ne pas parler d'un but assez opportuniste : être à tout prix sur une console à son lancement, non ?
Loïc Gounon : C'est une question intéressante mais je pense que très peu d'équipes chez Ubisoft et très peu d'équipes dans le Monde auraient été capables de faire un jeu de cette qualité en si peu de temps. Le but n'a pas été seulement d'être parmi les premiers sur la Wii. Nous voulions vraiment savoir ce que nous serions capables de faire en huit mois en maîtrisant des contrôles tout nouveaux. Pour les artistes justement, c'est une approche vraiment motivante.
jeuxvideo.com > Pour poursuivre le raisonnement, n'avez-vous pas l'impression qu'il vaut mieux être sur la Wii aujourd'hui alors que son principe de fonctionnement est encore considéré comme très innovant plutôt que dans un an ou deux, à une époque où ce principe atypique pourra, peut-être, être devenu un carcan et où il sera bien plus difficile d'étonner le public ?
Loïc Gounon : Avec un jeu comme Rayman Contre..., il faut y être à ce moment-là. Ca ne veut pas dire que demain on ne fera pas un autre jeu qui sera un peu différent, un peu plus profond, plus long... Dans l'équipe, on est beaucoup à croire vraiment à la vision de Nintendo et à leur volonté d'ouvrir le marché. C'est vraiment une console qui va s'inscrire dans la durée. La seconde vague de jeu va proposer des titres comme Zelda ou Mario Galaxy. Personnellement, je suis très impatient de jouer à Mario Galaxy et je pense que ça va être un carton. A côté de cela si, dans un avenir proche, Ubisoft, décide de faire un Rayman qui soit un jeu de plate-forme avec des contrôles innovants en prenant deux ans pour le développer, nous sommes capables de le faire.
jeuxvideo.com > Et personne chez Nintendo ne s'est rendu compte que sous leur haut patronage vous êtiez en train de développer un concurrent pour Mario Party ?
Loïc Gounon : Si bien sûr mais personne n'a rien dit. Pour être tout à fait précis, lors de la Game Convention à Leipzig, on présentait Rayman Contre... en party-game et on a eu le directeur du studio (NdR : peut-être Ruyichi Nakada ?) Intelligent Systems qui a créé Advance Wars et Wario Ware qui est venu et qui nous a dit tout le bien que son équipe pensait de notre jeu. C'est plutôt bon signe.
jeuxvideo.com > Quand on travaille pour une machine comme la Wii, reste-t-il des idées pour les autres consoles ?
Loïc Gounon : C'est vrai qu'au bout d'un moment, on a un peu envie de ne travailler que pour elle. C'est un peu comme la DS. C'est plus excitant, il y a plus de possibilités. Si vous demandez ça à un game designer, il va vous répondre directement : "Oui, oui, oui !!!". Un graphiste va certainement plus s'éclater sur une machine sur laquelle il pourra faire plus de polygones, etc. Mais dans beaucoup de corps de métier qui tournent autour du principe de jeu, on trouve la Wii plus séduisante. Mais pour nous, il n'est pas question de choisir. On ne veut pas faire l'un ou l'autre.
jeuxvideo.com > Pourquoi avoir choisi Rayman ? On le voit tellement peu que vous auriez pu créer un nouveau personnage et éviter de déboussoler les fans...
Loïc Gounon : C'est vrai. Cela provient d'une vraie volonté de l'équipe qui tenait à retrouver Rayman. C'est clairement un peu plus fun et dérangé que King Kong... L'autre raison, c'est qu'on voulait donner dans l'humour mais de manière différente par rapport à ce qu'on faisait il y a six ou huit ans. A l'époque c'était drôle mais plutôt gentillet et fleur bleue. On voulait aller vers quelque chose de plus impactant, de plus trash, à la PIXAR. Non seulement ça nous fait plus rigoler mais, surtout, ça fait plus marrer les gamins. Aujoud'hui, ils ne rigolent plus quand ils jouent à Rayman 2. Ils trouvent ça charmant mais ils ne s'éclatent pas non plus. Pourtant, c'était le but recherché à notre niveau. Avec tous les éléments déjantés de ce jeu-là, on redonne un peu la patate à la franchise. Non seulement les lapins sont forts mais Rayman de son côté est déjà plus extraverti qu'il ne l'était dans les opus précédents.
jeuxvideo.com > Passons à la grande question : qu'est-ce que vous avez contre les lapins ?
Loïc Gounon : Selon Xavier Poix, tout ça c'est parce qu'il s'agit d'une version moins poilue, plus petite et plus blanche de King Kong. Plus sérieusement, on réfléchissait à des créatures ennemies pour l'univers, Michel (NdR : Michel Ancel, créateur de Rayman) assistait à une réunion durant laquelle il faisait des petits dessins qui ressemblaient à une espèce de lapin avec les yeux sur le côté. Le lendemain notre directeur modeleur, Hubert Chevillard, avait réalisé la créature en question que tout le monde dans l'équipe a rapidement eu sur son écran. De fil en aiguille, alors qu'on présentait ça aux autres équipes et à la direction, on s'est rendu compte que tout le monde rigolait sur les lapins et qu'il y avait un vrai potentiel. Ensuite, on a présenté ça à l'E3 et ils ont fait l'unanimité. A partir de là, il était clair qu'il fallait faire des gags autour des lapins.
jeuxvideo.com > Quel est votre mini-jeu préféré ?
Loïc Gounon : Aujourd'hui, c'est clairement "La chorale" qui me fait mourir de rire. Mais au début, je lui préférais le lancer de vache.
jeuxvideo.com > Merci, M. Gounon.
- Preview GC de Rayman Contre Les Lapins Cretins