Ils sont respectivement directeur du projet et concepteur des éléments graphiques. Choi Yeon-Kyu (à droite sur la photo) et Hyung-Tae Kim (à gauche, donc...) ont gentiment accepté de se livrer à l'exercice de l'interview croisée autour du jeu Magna Carta : Tears of Blood. Une bonne entrée en matière pour aborder sous les meilleurs auspices ce qui pourrait être l'un des meilleurs titres 2006 sur PlayStation 2.
jeuxvideo.com > Pour commencer sur de bonnes bases, pourriez-vous nous expliquer d'où vient le titre de ce jeu ?
Choi Yeon-Kyu : Le marketing est bien évidemment très impliqué dans ce choix. Tout a commencé par les reproches qui nous ont été faits concernant le titre de notre premier jeu de rôle : "War of Genesis". Trop de gens trouvaient que cela ne voulait rien dire. Par conséquent, il nous fallait quelque chose qui, à la fois, fasse historique, possède beaucoup de sens, parle au monde entier et soit facile à mémoriser. Nous sommes vite arrivés à la conclusion qu'il ne fallait pas inventer quelque chose mais plutôt utiliser un terme existant déjà. C'est pour ça que nous avons choisi ce titre, bien que le contenu du jeu n'ait aucun rapport avec la "Magna Carta" que nous connaissons dans la réalité. (Ndt : Une "Grande Charte" imposée au roi Jean Sans Terre par les barons anglais pour mieux définir leurs droits par rapport à ceux de la couronne).
jeuxvideo.com > Lors de la présentation, vous avez bien insisté sur la différence entre les RPG orientaux et les RPG occidentaux. Selon vous, en quoi consiste cette différence ?
Choi Yeon-Kyu : La plus évidente de ces différences est, pour moi, l'utilisation qui est faite des armes et du matériel. Dans la tradition orientale, on recherche à dépouiller les personnages des objets lourds pour leur permettre d'atteindre la pureté du geste. En Occident, un guerrier puissant devra avoir plus d'armure, être bien protégé et posséder des armes qui feront un maximum de dégâts immédiats. En Orient, on a tendance à plutôt considérer que pour atteindre des sommets, il faut tout vider, y compris son esprit.
jeuxvideo.com > Et à l'inverse, quels sont les points communs entre les deux écoles ?
Choi Yeon-Kyu : La principale similarité est sans doute la présence des héros. En Occident, c'est un élément narratif qui existe depuis l'Antiquité. En Corée, en Chine ou au Japon, il y a également des héros qui ont été admirés dans les livres ou dans les films. Dans les jeux de rôle, peu importe d'où ils viennent, on retrouve ces personnages qui personnifient le bien face au mal. C'est un point commun universel.
jeuxvideo.com > Qu'est-ce qui fait que Magna Carta soit indubitablement un jeu coréen et non pas chinois ou japonais ?
Choi Yeon-Kyu : Les Coréens peuvent être considérés comme des éponges. Nous subissons ou nous avons subi toutes sortes d'influences extérieures. Nous ne rejetons rien, nous acceptons. Jusque dans les années 70, il était difficile pour nous d'exprimer tout ce que nous avions absorbé, notamment au niveau culturel. Notre particularité est donc d'être très jeune et d'avoir été le pays oriental qui a été le plus influencé par des cultures occidentales, plus particulièrement celle des Etats-Unis. Par rapport à nous, la Chine et le Japon possèdent des civilisations qu'on peut qualifier d'ancestrales qu'ils veulent conserver intactes, sans les mélanger ou les harmoniser avec les cultures extérieures. Les Coréens ont vraiment la démarche inverse. Et notre volonté d'universalité se ressent dans nos jeux, dont Magna Carta. Mais si vous connaissez la culture coréenne, vous pourrez en retrouver des influences indéniables dans le contexte du jeu.
jeuxvideo.com > Calintz, le personnage principal de "Magna Carta : Tears of Blood" est un survivant qui a assisté au massacre de sa famille et de son peuple. Un personnage qui se venge, peut-il être considéré comme un héros à part entière ?
Choi Yeon-Kyu : Entre la guerre en Irak qui débutait et les élections en Corée qui soulevaient beaucoup de questions, le développement de ce Magna Carta s'est déroulé dans une époque troublée. Nous avions à l'esprit des questions sur le bien et le mal et comment faire à coup sûr la distinction entre les deux. Il est vrai que cela a déteint sur la personnalité de Calintz dont la motivation de base est effectivement la vengeance. Il a perdu tous ses proches et c'est ce qui le motive dans sa quête mais, parfois, il ne voit pas tous les aspects d'un problème. Voilà pourquoi nous avons rapidement considéré que Calintz ne serait pas un de ces héros irréprochables qui gagnent à tous les coups et sans qu'aucun doute ne puisse être soulevé. C'est aussi ce qui me donne un bon espoir pour le succès du jeu en France puisque je me suis laissé dire que c'était le pays de la tolérance, qui est pour moi une force majeure.
jeuxvideo.com > Pour continuer sur Calintz... Son costume a quelque chose de très féminin avec des parties ajourées qui révèlent le corps du personnage. S'agit-il d'un choix délibéré de conception ou d'une aspiration culturelle en rapport avec la Corée ?
Hyung-Tae Kim : C'est une question qui, en Corée, a débouché sur ce que j'appellerais une polémique. Le public s'étonnait de voir cet homme porter un costume effectivement révélateur. Personnellement, je ne comprends pas cette idée reçue qui voudrait qu'on doive cacher le corps quand il s'agit d'un homme. J'espère que cette notion passera mieux en Europe, notamment à cause de la mode unisexe. Il faut savoir que mes premières ébauches pour ce costume donnaient un résultat vraiment féminin. Mes collègues ont tout de suite mis en avant le flot de critiques qu'on allait subir. Par conséquent, j'ai dû revoir ma copie.
jeuxvideo.com > Comme vous êtes avant tout illustrateur, qu'est-ce que vous apporte le fait de travailler sur un jeu vidéo ?
Hyung-Tae Kim : Quand on réalise des illustrations pour d'autres supports, on sait directement à quoi ressemblera son travail une fois publié. C'est très différent. Quand je travaille sur des jeux, je me dois de favoriser l'identification du joueur au personnage. Quand je conçois un personnage, mon but n'est pas seulement d'en définir l'aspect visuel. Je veux qu'on sente également sa personnalité. C'est difficile pour le personnage principal qui sera en plus défini par ses actions, c'est-à-dire celles du joueur. Par contre, c'est bien plus simple pour les personnages secondaires dont l'apparence est liée à leur raison d'être dans le jeu qui, elle, ne prêtera pas à interprétation. Un autre aspect des choses, c'est que comme on passe son temps à la poursuite du personnage, il faut réaliser un contexte lui aussi attachant et détaillé. Pour moi, c'est très important.
jeuxvideo.com > En tant qu'illustrateur, êtes-vous satisfait à cent pour cent de l'apparence qu'a pris votre travail une fois incorporé dans le jeu ?
Hyung-Tae Kim : Permettez-moi de vous rappeler que ce Magna Carta sur PlayStation 2 est une adaptation d'une version PC. Sur PC, j'étais vraiment content. Sur PlayStation 2, je trouve qu'il manque quelque chose, quelque part. Cette année, j'ai beaucoup voyagé dans le sud de l'Europe (Espagne, France...). J'ai eu l'occasion de m'imprégner de diverses sources d'inspiration et de comparer mes travaux à ce que j'ai pu voir lors de ce voyage. Je ne vais pas dire que je ne suis absolument pas content mais il m'est apparu clairement que je pourrais faire mieux pour mon prochain travail. Il faut également prendre en compte les capacités de la console qui imposent beaucoup de contraintes, ce qui est normal. C'est d'autant plus vrai quand, comme dans ce jeu, il y a beaucoup de personnages. A partir de là, on ne peut plus inclure autant de détails qu'on le souhaiterait et il faut faire des choix. Et justement, étant parfaitement conscient de ça, j'ai essayé de trouver le juste milieu entre les illustrations et le résultat dans le jeu. Il n'était pas nécessaire de faire des dessins trop fouillés car les joueurs auraient été forcément déçus par le résultat dans le jeu.
jeuxvideo.com > Merci à tous les deux (et merci aussi à notre interprète sans laquelle cette interview n'aurait pas pu avoir lieu).
- Site officiel de Manga Carta
- Site dédié aux oeuvres de Hyung-Tae Kim