On le sait, depuis désormais des années, le jeu PC, à l'ère du dématérialisé, se passe essentiellement sur Steam. La plate-forme de Valve est un véritable mastodonte de l'industrie qui accueille dans sa librairie des milliers de jeux chaque année. Cependant, les données de Steam ont récemment révélé qu'alors que, chaque année, le nombre de jeux apparaissant dans sa bibliothèque croissait drastiquement, 2019 a été une année de quasi-stagnation, même si les chiffres affichés donnent toujours le vertige.
Toujours beaucoup de sorties mais une croissance nettement ralentie
Nous vous en parlions il y a quelques jours, mais les nouveaux venus sur Steam, autrefois chaque année de plus en plus nombreux, ont été d'un volume sensiblement équivalent en 2019 aux données récoltées en 2018. Voyez plutôt : en 2014, Steam recensait 1 642 nouveaux jeux, 2722 en 2015, 4 400 en 2016, 6 322 en 2017 et pas moins de 8 195 en 2018. Cette année, le pourcentage d'augmentation de nouveaux titres s'élève à seulement 2,5% avec 8 384 produits inédits face à l'an passé. Si ces chiffres donnent effectivement le tournis et qu'il suffit de prendre un peu le temps de naviguer dans Steam pour se rendre compte de la prolifération étourdissante de jeux en tout genre, il convient de rappeler que ces données sont issues de Steam Spy, et qu'elles ne sont donc pas d'une exactitude absolue. En effet, la récolte de ces chiffres est basée sur la date de sortie affichée des jeux et des logiciels sur leurs pages respectives, dates qui peuvent varier, voire même se répéter, dans le cas des early access, par exemple. C'est ce qu'a souligné le créateur de SteamSpy, Sergey Galyonkin, dans les colonnes de Kotaku :
Les développeurs définissent les dates de sortie des jeux, et c'est essentiellement un fichier texte. Alors, admettons, si vous venez de lancer un jeu rétro sur Steam en 2019, vous pouvez y affecter la date de 1999 pour refléter sa date de sortie originelle. D'un autre côté, les jeux en accès anticipé ont deux dates de sortie et SteamSpy ne reflète que la dernière ajoutée, celle de la fin de l'early access. Donc ces jeux sortis en 2017 peuvent avoir une date fixée à 2019 aujourd'hui.
Si les chiffres ne sont donc pas d'une exactitude imparable, ils sont suffisamment évocateurs et en place depuis suffisamment longtemps pour refléter une tendance, celle de la stagnation des sorties de jeux sur Steam, n'ayant accueilli « que » 146 titres de plus qu'en 2018. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cette relative stagnation, qui n'empêche cependant en rien l'inflation vidéo ludique que la plate-forme connaît chaque année, inflation qui sans doute fait également partie du problème.
Un vrai problème de visibilité ?
Effectivement, inutile de préciser que le gros des effectifs qui rejoint Steam est composé de jeux indépendants. Certes, il est souvent très difficile de trier le bon grain de l'ivraie et Steam a régulièrement essayé d'endiguer le flot de tout et n'importe quoi qui pouvait parvenir jusqu'à son catalogue. En premier lieu, en 2017, Valve a choisi de supprimer son système Greenlight. Ce dernier permettait à Valver de laisser le soin à sa communauté de voter pour les jeux qu'elle jugeait opportun de voir arriver sur la plate-forme, comme une sorte d'antichambre démocratique de Steam lui-même. Jugé trop opaque par les développeurs et finalement assez peu fiable, Steam Greenlight a finalement été abandonné.
L'entreprise a cependant récemment ouvert les... valves, en autorisant sur sa plate-forme le tout-venant à l'exception des contenus illégaux ou considérés comme des « trolls directs », laissant à l'utilisateur le soin de masquer lui-même le contenu qu'il juge offensant selon ses critères. Mais cette nouvelle ouverture n'a pas pour autant fait exploser le nombre d'arrivées sur Steam mais n'a pas non plus témoigné d'une volonté de la plate-forme de modérer le flux d'entrée dans son giron, au contraire. L'indépendant serait-il donc de plus en plus frileux à l'idée de s'inviter chez le mastodonte qui, en dépit de ses algorithmes réguliers visant à améliorer l'expérience utilisateur, recense tellement de jeux qu'il devient compliqué de s'assurer une bonne visibilité avec des moyens peu conséquents ? Il faut bien reconnaître que, sur un support qui recense près de 30 000 références, arriver avec un jeu modeste, indépendamment d'un concept fort ou original, est un handicap majeur là où les productions d'envergure peuvent avoir pignon sur rue, expliquant peut-être la relative stagnation des nouvelles sorties l'an passé.
Ceci étant, la visibilité n'est pas un argument partagé par tous. C'est dans le cadre d'un entretien accordé à GameDaily que Nicholas Laborde, CEO du studio indépendant Raconteur Games, s'est exprimé à ce sujet.
Je prends ombrage du fait de blâmer la visibilité plutôt que le jeu lui-même. Oui, la visibilité est un vrai problème qui ne fera qu'empirer, mais c'est simplement une variable des affaires du monde réel avec laquelle les développeurs doivent compiler. Steam, itch, et d'autres marketplaces n'existent pas pour vous promouvoir et vous bénéficier. Ils sont plutôt des outils de partage de votre travail, et si vous le faites bien, vous booster davantage encore.
Mais je ne peux pas être en accord avec la mentalité générale qui veut que la visibilité soit la raison pour laquelle un jeu indé ne se vende pas. Quand je vois ce type de raisonnement, je pense immédiatement : « Ont-ils investi dans le marketing ? Ont-ils essayé de s'autopromouvoir au-delà d'un tweet ou deux le jour du lancement ? Quelles mesures ont-ils prises pour diffuser le message et atteindre une audience avec leur jeu ? (…) Vous devez avoir une communauté établie ou une fanbase pour augmenter vos chances de succès (…). La visibilité peut les booster, mais je doute sincèrement qu'elle seule puisse être la raison principale du succès d'un jeu.
Il faut garder à l'esprit que le budget marketing d'un jeu, pour les principales productions, représente une partie non négligeable du coût global du produit et naturellement, bon nombre de studios indépendants n'ont pas les moyens de se lancer dans une campagne marketing dépassant la simple utilisation des réseaux sociaux, ou des canaux de diffusion spécialisés. C'est également un point que reconnaît Nicholas Laborde, affirmant que les studios les plus modestes doivent aussi apprendre à se promouvoir et qu'il est également probable qu'un abandon pur et simple de nombreux projets modestes explique partiellement la stagnation des nouveaux produits sur Steam d'une année sur l'autre. Quel que soit l'impact de la visibilité sur les ventes d'un jeu, il faut reconnaître que tirer son épingle du jeu dans une bibliothèque aussi gargantuesque n'est pas une chose aisée qui peut s'avérer aussi décourageante qu'intimidante.
La concurrence, une explication plausible ?
S'il y a bien un événement qui a malmené l'hégémonie de Steam, fait couler beaucoup d'encre et déchaîné de nombreuses passions l'an passé, c'est bien l'arrivée tonitruante de l'Epic Game Store dans la bataille des launchers. Si, généralement, personne ne trouvait rien à redire au fait que les éditeurs (Ubisoft, Electronic Arts, Blizzard, Bethesda...) disposent de leur propre support pour proposer leurs jeux à l'achat et au téléchargement, l'Epic Game Store lui, est arrivé comme un rouleau compresseur dans un secteur sur lequel Steam régnait en maître incontesté, les launchers « propriétaires » n'ayant jamais constitué une véritable menace pour la plate-forme de Valve. La principale raison de la grogne réside bien évidemment dans le système d'exclusivités. En alignant de nombreux billets verts, Epic Games est parvenu à s'aménager la sortie exclusive sur PC de titres particulièrement attendus Metro Exodus , Borderlands 3 , Red Dead Redemption II ...) et même débaucher certains jeux bien installés chez Valve pour s'en arroger la vente, à l'image de Rocket League, qui n'est désormais plus disponible à l'achat sur Steam. Cette politique était de toute façon nécessaire si Epic voulait au moins essayer de s'imposer sur un secteur largement dominé par Valve, que l'on déplore ou non cette philosophie.
Mais nous évoquons ici une plate-forme qui s'est aménagé un très joli succès grâce à des exclusivités majeures et une politique de jeux gratuits particulièrement agressive. Que l'on cautionne ou non les pratiques de l'EGS, les chiffres parlent d'eux-mêmes. 108 millions d'utilisateurs, 680 millions de dollars dépensés sur la plate-forme, 251 millions déboursés pour les jeux third-party disponibles sur le store... le succès est indéniable, mais est-ce à dire que cette montée en puissance est la raison justifiant de la stagnation des sorties chez Steam ? Difficile de l'affirmer catégoriquement. Effectivement, face aux 8 000 sorties annuelles chez Steam, l'Epic Game Store est très loin derrière le mastodonte de Valve, et ne recense actuellement que 229 jeux. Et nous l'avons vu, la sphère indépendante se presse aux portes de Steam et moins à celles de l'EGS, même si le succès évident des méthodes de ce dernier pourrait bien attirer davantage de développeurs à évoluer sous sa tutelle.
Effectivement, le principal argument en faveur de l'EGS est la rémunération des développeurs et studios nettement plus attractive que chez la concurrence. Alors que la plate-forme d'Epic offre l'opportunité aux studios de toucher 88% des revenus générés par la vente de leur produit, Steam s'avère plus gourmand sur sa commission, avec 30 % de gain sur les ventes, pourcentage dégressif en fonction du volume des jeux écoulés, ce qui a pour conséquence de favoriser les licences déjà puissantes et de rester peu attractif pour les petits studios. Si l'on comprend la logique de favoriser la rémunération des AAA pour les gros éditeurs afin de contrer la menace que pourraient représenter les launcher comme Uplay ou Origin, difficile d'en vouloir à un studio de choisir une plate-forme sur laquelle il touchera davantage d'argent sur sa création. À l'aube d'une ère où désormais, le développeur a le choix, il n'est impossible de penser qu'à terme, les studios se tourneront davantage vers l'EGS et qu'ils bouderont Steam sur le long terme.
Néanmoins, la remise en cause de l'hégémonie de Steam n'est pas à l'ordre du jour. Plus permissif sur la diversité des jeux, moins regardant sur la qualité des soumissions, et surtout, très riche en fonctionnalités et toujours enclin a améliorer l'expérience utilisateur, Steam jouit également d'un très grand nombre de souscripteurs et refuser de figurer sur ce support reviendrait à se priver d'une visibilité qui, si elle peut être difficile à gagner, s'avère néanmoins indispensable en cas de succès.
Il est difficile de cerner avec précision les raisons ayant conduit les sorties Steam à interrompre leur irrésistible ascension. Rémunération, concurrence, visibilité et trop grand nombre de parutions peuvent être autant de facteurs de stagnation. Mais quoi qu'il en soit et qu'elles qu'en soient les causes, à raison de 8 000 sorties par an, vous aurez de quoi faire en restant sur Steam, mais également en général si vous ne choisissez pas de vous contenter d'un seul launcher.