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News culture Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique

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Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique
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Tout va bien dans le meilleur des mondes pour Ubisoft et sa franchise Assassin’s Creed. Alors que son premier opus a fêté ses 12 ans en novembre dernier, la saga ne cesse d’enchaîner les partenariats. Après avoir fermé les portes de sa propre exposition à La Gaîté Lyrique, Assassin’s Creed s’est tour à tour invité à l’institut du Monde Arabe pour l’exposition Cités Millénaires, au Marché Bonsecours à Montréal et, le mois dernier, au musée de la légion étrangère d'Aubagne. S’il pourrait s’agir pour beaucoup d’anecdotes sans grand intérêt, ces partenariats donnent la part belle à la franchise, et, par extension, aux jeux vidéo, érigés ici au même niveau que des supports plus conventionnels et plus reconnus. Petit à petit, l’aigle d’Ubisoft fait son nid. Ses qualités historiques et pédagogiques ont pris, au fil du temps, de plus en plus de place aussi bien dans le jeu que pendant son développement. Des qualités présentes depuis le tout premier Assassin’s Creed, mais qui ont évolué, tant dans l’approche que dans leur impact, atteignant leur apogée avec la sortie du mode Discovery Tour. Mais comment et par quoi Ubisoft en est passé pour en arriver là ? Penchons-nous aujourd’hui sur l’évolution de la franchise d’un point de vue historique et pédagogique.

D’Assassin’s Creed à Revelations : l’Histoire comme toile de fond

Renier le fait que la franchise a toujours été plus ou moins liée à l’Histoire serait d’une mauvaise foi absolue. En effet, le scénario d’Assassin’s Creed se base sur des événements et des groupes qui ont bel et bien existé. Le nom de la franchise découle d’une organisation historique. Ayant existé de 1090 à 1275, l’Ordre des Assassins était un groupe religieux influent. Le jeu, lui, se focalise sur les fida’i, « ceux qui risquent leurs vies », chargés de l’assassinat de Templiers ou d’hommes influents. D’un autre côté, les antagonistes du jeu, les Templiers, ont eux aussi existé. Groupe chrétien, d’ailleurs bien plus connu que son équivalent musulman, il officiait de 1119 à 1312. Ces deux organisations n’ont pas seulement existé durant les mêmes périodes, mais étaient en conflit direct. Un conflit certes extrapolé, mais central à la franchise.

Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique

Dans le premier volet de la franchise, Altaïr est le poulain d’Al Mualim, aussi connu sous le nom de Rashīd ad-Dīn Sinān, une personne qui a bel et bien existé en tant que Grand Maître de l’Ordre des Assassins. Ainsi, le personnage d'Assassin's Creed présente de nombreuses similarités avec son homologue historique. A la tête de l'organisation des Assassins, ils se sont tous les deux battus contre le Sultan Saladin et ont été envoyés en Syrie pour y construire la forteresse de Masyaf. Rashīd ad-Dīn Sinān n’est pas le seul à avoir droit à son personnage dans Assassin’s Creed. Richard Cœur de Lion, Robert de Sablé, Léonard de Vinci, Lucrezia Borgia, Machiavel sont d’autant d’exemples de figures historiques que vous pouvez rencontrer dans les premiers Assassin’s Creed. Ils confèrent au jeu une aura toute particulière, entre loisir et contenu historique. Un choix qui résulte de la volonté des développeurs, qui ont, dès le début, accordé une importance peu habituelle à la recherche historique. Corey May, scénariste, a par exemple fait des recherches pendant pas moins de neuf mois sur la Renaissance Italienne, afin de la représenter de façon adéquate dans Assassin's Creed II . Mais si l’Histoire a toujours servi de base à la saga, et que les développeurs se sont efforcés de ne pas totalement la détourner, elle demeurait secondaire.

Ubisoft a en effet pris de grosses libertés regardant l’Histoire. Assassin’s Creed restait un jeu et un produit à vendre, avec les limites et les conditions que cela impose. Ainsi, le côté religieux des Assassins et des Templiers ne transparaît pas dans le jeu. Bien sûr, des artefacts, tels que les pommes d’Eden, ont une consonance religieuse, mais ils relèvent plus du clin d’œil que d’une réelle philosophie liée à des croyances. Nous pouvons facilement faire quelques supposition sur le pourquoi du comment de cette décision. Difficile en effet d’imaginer vendre un jeu où l’on prend part à une guerre religieuse, encore moins quand cette guerre est vue à travers les yeux d’un des deux belligérants. En effet, bien qu’on trouve dans la saga Assassin’s Creed quelques nuances, elle reste foncièrement manichéenne sur ses premiers épisodes, avec d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Pour beaucoup, mêler la religion à tout ça reviendrait à critiquer l’une pour encenser l’autre. Un changement compréhensible donc, mais qui modifie profondément la représentation qui est faite de ces groupes, dont l’essence même est ici reniée. Il en va de même des dates qui sont loin d’être fiables. Les Assassins comme les Templiers ne pouvaient pas se tirer dans les pattes pendant la Renaissance Italienne, les deux organisations ayant été dissoutes bien avant. Cela est expliqué dans les jeux, les deux organisations étant, après le Moyen-Âge, redevenues de vraies sociétés secrètes pour protéger leurs intérêts, estimant qu’elles avaient eu tort de se dévoiler publiquement, mais ça reste une manipulation historique.

Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique

Ubisoft s’amuse à modeler des éléments historiques à sa façon, afin de les mettre au service d’un jeu, où les standards du genre prédominent. Ainsi, le personnage de Robert de Sablé, par exemple, est poussé au-delà du réel pour devenir un manipulateur tellement assoiffé de pouvoir qu’il complote contre le Roi, son ami. Si cette représentation n’est pas celle que les livres d’Histoire nous enseignent, elle répond en revanche aux standards du jeu vidéo : un personnage caricaturalement méchant, qui sert le scénario et l’atmosphère complotiste du jeu. Il en va de même pour le personnage de Sibrand, une figure historique bien mystérieuse sur laquelle on sait peu de chose. Une configuration parfaite pour Ubisoft qui a ainsi pu modeler le personnage à sa façon, sans pour autant déroger à la réalité historique. Comme le dira plus tard Maxime Durand, historien consultant sur la saga :

Nous exploitons les petits manques de l’Histoire. Par exemple, lors de la prise du Palais des Tuileries, Napoléon Bonaparte était présent, mais l’Histoire n’explique pas pourquoi. Nous si.

A la manière d’un Da Vinci Code, Assassin’s Creed s’inspire et présente un contexte, des événements et des personnages historiques ayant fait l’objet d’une certaine documentation, tout en prenant des libertés afin de combler les blancs qu’a laissé l’Histoire et produire un jeu attractif et intéressant. En fait, la saga relève plus de la fiction spéculative, plutôt que du jeu historique. Elle a d’ailleurs été inspirée par un livre, Alamut, pouvant lui-même être considéré comme une fiction spéculative : c’est à dire une fiction qui se base sur des faits historiques, mais les extrapole en se demandant “et si ?”. Et si Léonard de Vinci était un Assassin ? Et si Robert de Sablé avait monté une conspiration contre le roi ? Et si Cesare Borgia avait tué son père, Rodrigo ? Cet aspect spéculatif, particulièrement présent dans les premiers volets de la saga, l’a empêché d’être considéré comme un jeu avec une véritable valeur historique.

Celle-ci était pourtant bien présente, surtout quand on se penche sur ses reconstitutions. Mises en avant par les média et autres critiques, elles ont toujours été la force de la saga d’un point de vue historique. Le travail de recherche fourni en amont pour permettre de retrouver ces reconstitutions sur vos écrans ressemble, à bien des égards, aux recherches conduites par des historiens. Prenons l’exemple d’Assassin’s Creed II, qui propose une reconstitution de la ville de Florence particulièrement réussie et saluée. Corey May, accompagné de nombreux membres de l’équipe de développement, est parti dix jours en Italie pour visiter et s’imprégner de l’essence des villes représentées dans le jeu. Mais, la ville n’étant plus ce qu’elle était à l’époque de la Renaissance Italienne, la reconstruire fidèlement à l’écran nécessitait un plus grand travail de recherche. Il aura fallu neuf mois à May pour rassembler les informations nécessaires. Neuf mois à lire des livres d’historiens ou d’écrivains de l’époque. Neuf mois à chercher, recouper, analyser… Certains bâtiments, détruits et reconstruits depuis la période représentée dans le jeu, ont demandé une attention toute particulière. Ce fut notamment le cas du Pont du Rialto. Le résultat de toutes ces recherches ? Des reconstitutions impressionnantes et si fidèles qu’elles peuvent servir de support pour les cours ou des expositions, comme cette reconstitution de la Cathédrale Santa Maria del Fiore :

Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogiqueAssassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique

Nous en parlions dans l’introduction, l’Institut du Monde Arabe a collaboré avec Ubisoft pour son exposition Les Cités Millénaires. Ainsi, le studio a pu proposer une expérience en réalité virtuelle permettant de visiter des monuments ou lieux ayant aujourd’hui disparu. La Grande Mosquée de Omeyyades, point fort de l’expérience, était déjà superbement représentée dans Assassin’s Creed. Romain Vincent de Jeux Vidéo et Histoire a d’ailleurs montré que nous pouvions utiliser le volet en cours pour illustrer la partie sur l’Islam médiéval.

Néanmoins, la démarche d’Ubisoft relevait plus de la recherche de vraisemblance que du véritable amour de l’Histoire. Toute la franchise repose en effet sur la différence entre le passé et le présent, alternant des phases de gameplay dans les deux périodes. Développer un jeu qui vous permet explicitement de retourner dans le passé requiert un minimum de travail afin de produire une représentation fidèle du dit passé. Ce n’est qu’à partir d’Assassin's Creed III que la démarche d’Ubisoft vis-à-vis de l’Histoire commence à changer.

D’Assassin’s Creed III à Syndicate : une forte valeur historique à demi assumée

En Juin 2010, Ubisoft emploie son premier historien à temps plein, Maxime Durand, qui avait déjà travaillé avec le studio pour Assassin’s Creed Revelations. Ce choix marque un changement dans l’approche d’Ubisoft quant à sa saga devenue phare. Durant cette période, le studio commence également à demander conseils à d’éminents historiens, spécialisés dans des domaines bien particuliers. Pour Assassin's Creed Unity par exemple, l’éditeur s’est payé les services de deux historiens reconnus dans le métier, Jean-Clément Martin, spécialiste de la Révolution Française, la Contre Révolution et la Guerre de Vendée, et Laurent Turcot, spécialisé dans la culture urbaine de l’époque. Tous les deux très présents lors du processus de développement, ils ont pu s’assurer de la véracité et de la valeur historique du volet sur la Révolution Française, en témoignent les propos de Laurent Turcot :

J’ai du organiser six heures de cours, en anglais, pour l’équipe de Toronto qui était chargé de recréer le Quartier Latin. Et ils m’ont envoyé cette liste incroyable, extrêmement détaillée. […] Je leur ai donné des tonnes et des tonnes d’images, de films, de clips etc. Des supports pas vraiment spécifiques mais qui montraient plutôt la façon dont une personne vivant pendant le 18° siècle pouvait penser. [… ] Le but de ces cours était de leur donner une espèce de réflexe instinctif, qu’ils se demandent “Est-ce que cela fonctionnerait ?”

Dans une étude conduite auprès des historiens ayant travaillé sur la franchise , David Lefrançois et Marc-André Ethier ont souligné le fait que ces historiens avaient tous été impressionnés par l’attention apportée aux détails et à la véracité historique. Dans cette étude, Jean-Pierre Le Glaunec, historien ayant travaillé sur le DLC Freedom Cry , nous explique la forme qu’a pu prendre cette recherche du détail :

On m’a posé des questions sur, par exemple, la couleur des murs de Port-au-Prince, lorsque la ville est créée, à la fin des années 1740 - je ne m’attendais pas à ça. Ils voulaient s’assurer que les costumes étaient corrects, que les bâtiments étaient bien placés, qu’il y avait effectivement deux étages ici et pas trois, que les fenêtres étaient exactement où elles étaient situées, que la rue allait dans cette direction-là.

Petit à petit, Ubisoft commence à reconnaître le potentiel historique de sa franchise. Selon Antonio Alonso, Brand Manager chez Ubisoft Espagne, “un des piliers sur lesquels reposent les histoires que l’on raconte est basé sur des faits historiques. Pour cela, la clé réside dans la recherche et la documentation. Elles doivent être très rigoureuse et coller à ce qui s’est vraiment passé.” Des mots qui résument bien la démarche d’Ubisoft à l’époque, incorporant de plus en plus d’événements et de personnages historiques. Dans Assassin’s Creed III, pas moins de 80 % des personnages secondaires ont réellement existé. On y retrouve ainsi des figures historiques parfois peu connues telles que Johan de Kalb, Isabella Bunbury Lee, ou encore, Israel Putnam. Par ailleurs, Ubisoft commence à articuler ses jeux autour d’événements historiques bien particuliers ( la Guerre d’indépendance des Etats-Unis, la Révolution Française… ), et non plus de vastes périodes. Ces moments marquants de l’Histoire sont extrêmement bien documentés, rendant plus faciles le travail de recherche et la représentation fidèle de l’Histoire.

Ainsi, la place accordée à la véracité historique au cours du développement des Assassin’s Creed a, peu à peu, pris une importance grandissante. Et cela transparaît dans les différents volets sortis à cette période. Laurent Turcot, dans son livre Au coeur de la Révolution : les Leçons d’histoire d’un jeu vidéo, a notamment souligné l’exactitude des reconstitutions de La Bièvre, des prisons surpeuplées, de l’ambiance des rues parisiennes… Les académiciens commencent donc à reconnaître également le potentiel de la franchise.

Une franchise, qui, de par le choix de certains événements, personnages ou visions, prend une tournure plus engagée. Minorités, classes populaires et autres communautés trop souvent oubliées lors des cours d’Histoire, trouvent place dans Assassin’s Creed. La classe ouvrière fait de l’ombre au traditionnel récit royal enseigné en cours d’Histoire dans Assassin's Creed Syndicate , tandis que les Amérindiens sont mis à l’honneur dans Assassin’s Creed III. Ce dernier a été applaudi par la communauté amérindienne pour son travail et l’hommage rendu à leur culture. Le personnage de Ratonhnhaketon a en effet fait l’objet d’un travail de recherche tout particulier. Ratonhnhaketon, ou Connor de son nom adoptif, est un amérindien de la communauté peu connue des Mohawks. Pendant le premier quart du jeu, il parle la langue de son peuple, une langue qui est d’ailleurs vouée à disparaître et est classée comme menacée. Quand on sait cela, le choix d’Ubisoft paraît tout de suite plus engagé. Le studio s’est d’ailleurs particulièrement appliqué quant à la représentation de cette communauté. Travaillant avec deux de ses membres, les développeurs ont pu en apprendre plus sur le langage et la culture Mohawk. Des connaissances qu’ils tenaient à représenter le plus fidèlement possible. Akwiratékha, un des deux Mohawk ayant travaillé sur le jeu, a affirmé :

Au cours de mon travail sur le jeu, les scénaristes m’ont donné carte blanche pour changer la moindre chose que je trouvais inapproprié ou le moindre dialogue qui ne sonnait pas très Kanien'kéha.

Teiowí:sonte a, quant à lui, salué les répercussions positives que pouvaient avoir une telle représentation :

Assassin’s Creed III prend le temps de donner à ses joueurs un fidèle aperçu de la culture Kanien’kehá:ka, en mettant en avant notre langage, nos chansons, et notre expérience des faits historiques sur une période qui reposait principalement sur les alliances faites avec les Amérindiens. Cet aperçu pourrait donner envie aux joueurs d’en savoir plus sur les différentes cultures amérindiennes et ce qu’elles apportent au monde aujourd’hui.

Un attention toute particulière donc, qui a su se montrer bénéfique pour cette communauté. On pourrait également parler d’Assassin’s Creed : Freedom Cry qui se penche sur le sort des esclaves à Haïti. Un sujet d’autant plus important à traiter d’un point de vue historique quand on sait qu’aux États-Unis notamment, certains livres d’Histoire atténuent de façon drastique la responsabilité du pays et les conditions de vie désastreuses des personnes réduites à l’état d’esclavage. Evan Narcisse, journaliste pour Kotaku, avait notamment évoqué le jeu dans un article au nom évocateur “A Game That Showed Me My Own Black History”, que l’on peut traduire par “Un jeu qui m’a montré ma propre Histoire en tant que noir”. Ce DLC traite ainsi d’un sujet fort, et ce de façon adéquate, permettant à la fois de jouer et de se détendre, mais aussi d’en apprendre plus sur cette période sombre de l’Histoire.

Ubisoft prend peu à peu conscience du rôle qu’il peut tenir avec Assassin’s Creed. Un rôle que le studio décide même d’étendre au-delà de la franchise. Avec l’exhumation du corps d’Amaro Pargo, un drôle de changement de rôle s’est opéré. Si Ubisoft avait pour habitude de puiser dans les recherches des historiens pour développer ses jeux, dans ce cas précis, c’est le studio qui a produit de nouvelles données qui ont, par la suite, été utilisées par des historiens. Tout commence avec Assassin's Creed IV : Black Flag et la volonté d’Ubisoft de représenter Amaro Pargo, un corsaire espagnol, dans le jeu. Ayant trouvé peu d’informations visuelles sur le corsaire, le studio souhaitait faire exhumer son corps afin de pouvoir faire des recherches plus poussées. Au fil des jours, l’idée de faire d'Amaro Pargo l'un des personnages principals du jeu fut abandonné, mais pas celle de l’exhumation. Surpris de voir que ce corsaire n’était pas aussi connu que pouvaient l’être Barbe Noire ou Captain Kidd, ils décidèrent d’engager tout de même une firme archéologique et un laboratoire afin d’étudier les restes d’Amaro Pargo et en apprendre plus sur lui. Cette opération a donc permis d’étoffer les connaissances historiques, et confère à Assassin’s Creed et Ubisoft, une aura toute particulière dans le domaine historique.

Mais, il y a un mais. Les limites persistent et la posture d’Ubisoft vis-à-vis de la valeur historique de son jeu varie par moment. Les anachronismes sont monnaie courante dans la saga. Dans Unity, on peut citer le drapeau tricolore et La Marseillaise, tout d’eux n’ayant pas encore été inventés à l’époque. Ubisoft étant désireux de représenter des symboles reconnaissables et facilement identifiables, ces anachronismes étaient donc le résultat d’une volonté bien précise et d’un choix conscient de prendre des libertés vis-à-vis de la réalité historique. Ce que nous explique Antoine Vimal du Monteil, producteur sur le jeu :

Nous avons choisi le drapeau français le plus connu plutôt qu’un drapeau qui serait obscur pour de nombreux joueurs. Il en va de même de La Marseillaise, c’est un symbole important. Comme le disait un historien, on a l’illusion d’être dans la Révolution française, c’est l’expérience d’ensemble qui prime.

Les limites dues au besoin de produire un jeu attractif et entraînant persistent également dans ces volets, et persisteront toujours, car développer un jeu, et spécialement un triple A, qui proposerait une expérience de jeu médiocre relèverait du non-sens. Un fait que les non-joueurs ont du mal à comprendre parfois, en témoigne la polémique au sujet de la représentation de la Révolution Française et de Robespierre dans Assassin’s Creed Unity. En France, il est difficile d’exprimer un avis divergeant du grand mythe national, comme en témoigne l'accueil critique du livre de l'historien François Furet, Penser la Révolution française, qui lui vaudra la douce appelation de "traitre" par de nombreux politiques et historiens. Le problème c’est que comme bien d’autres, cette période de l’Histoire n’est pas toute blanche et contient son lot de situations moins reluisantes. Il y a eu la Terreur, la Guerre de Vendée… Et il y a eu Robespierre. Une figure contestée souvent dépeinte comme entièrement bonne ou entièrement mauvaise. Une vision bien manichéenne qui fait que le moindre semblant de critique s’apparente à dénigrer l’homme et son œuvre entière. Ainsi, la présentation qui en est fait dans le jeu, celle d’un homme intransigeant et cruel, exagérée certes, mais loin d’être fausse, a soulevé la hargne du leader de la France Insoumise et de ses soutiens. Cette polémique est intéressante pour deux raisons. La réaction d’Ubisoft tout d’abord, décevante, puisque l’éditeur a affirmé que son jeu était juste un jeu et qu’il n’avait aucune prétention à vraiment représenter l’Histoire. Une réponse qui fait grincer des dents, surtout quand représenter une telle facette de la Révolution Française ne pouvait qu’être le résultat d’un choix audacieux et mûrement réfléchi, qui suivait la continuité des opus précédents, mettant en avant une vision de l’Histoire marginalisée. Assumer ce choix aurait pu redorer l’image du jeu vidéo et permettre à certaines personnes de voir qu’ils avaient bien plus à apporter que ce qu’ils pensent. Mais comment les blâmer quand on sait que cette polémique a fait chuter les actions d’Ubisoft de plus de 9 % ? D’un autre côté, cette polémique n’aura pas été vaine, puisque s’en sont suivis des débats autour de la Révolution Française et du personnage de Robespierre. De nombreux historiens ont pris la parole. Une parole plus relayée qu’à l’accoutumée qui a donné une meilleure visibilité et accessibilité au sujet et à l’Histoire en général. Ainsi, la sortie même du jeu a, dans un certain sens, eu une certaine valeur historique et pédagogique. Une valeur qu’Ubisoft a vraiment commencé à reconnaître avec la sortie d’Assassin's Creed Origins .

Assassin’s Creed Origins et Odyssey : revivre et apprendre le passé

Avec Origins, les choses sérieuses commencent. Des années… C’est le temps qu’il aura fallu pour faire toutes les recherches nécessaires au bon développement du jeu. Collaboration avec des universités, travail avec des égyptologues et des historiens, Ubisoft a sorti le grand jeu. Jean-Claude Govin, un archéologue très renommé, a accepté d’apporter son expertise. L’authenticité est devenue l’essence même du processus de développement. Pour la respecter, une langue a été créée pour le jeu, basée sur le travail d’éminents linguistes ( Raymond Faulkner, James Allen… ) et doublée par des acteurs ayant des origines arabes ou hébraïques pour rendre le tout plus authentique. Une grande importance a été accordé aux détails visuels également, comme le Sphinx, dont la couleur en jeu est basée sur des petites particules de pigments colorés retrouvées sur le monument. Le Phare d’Alexandrie, monument incontournable, a aussi eu le droit à son lot de recherches et de détails, comme le souligne Raphaël Lacoste, directeur artistique sur le jeu :

On a appris qu’il y avait une grande pente hélicoïdale à l’intérieur du feu et, après discussions avec des historiens, nous avons pris le parti de le reconstituer.

Assassin’s Creed ne présente plus l’Histoire des événements, comme c’était le cas dans les épisodes précédents, mais des civilisations. D’où cette obsession pour les détails et la recherche d’authenticité à tout prix. Une approche que l’égyptologue Jose Manuel Galan a encensé :

L’Histoire n’est pas fait d’événements. L’Histoire est plus que ça : l’Histoire c’est la littérature, l’Histoire c’est la vie de tous les jours, l’Histoire c’est la relation père et fils, mari et femme […] Dans ce sens, le jeu apporte une attention toute particulière à ces détails secondaires, tels que comment le pain était fait, comment la bière était faite, quand vous entrez dans une maison vous pouvez voir à quoi ressemblait une maison dans l’Égypte Ancienne.

Au-delà du travail de recherche grandissant apporté pour reproduire l’Histoire de façon, si ce n’est parfaitement fidèle, au moins authentique, c’est la communication d’Ubisoft qui a profondément évolué, appuyant la valeur historique et pédagogique de son jeu. Les nombreux trailers et making-of présentant ce nouvel opus appuyaient beaucoup cet aspect, ce que souligne Jean Guesdon, responsable de contenu et directeur de la marque Assassin's Creed à Ubisoft Montréal :

On est vraiment là pour dire : “Eh, vous savez quoi, les jeux vidéo peuvent apporter bien plus que du pur divertissement.”

Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique

Pour promouvoir le jeu, Ubisoft s’est tourné vers des personnes ayant un lien avec l’Histoire, comme le youtubeur Nota Bene. Il a d’ailleurs été invité à un événement privé organisé par Ubisoft au British Museum. Cet événement, liant ouvertement Origins avec la recherche et l’apprentissage historique, fut le théâtre de visites organisées, d’ateliers ainsi que de conférences. Une grand première pour le studio qui marque alors un tournant dans la place accordée à l’Histoire dans sa franchise et en général. En effet, lors de cet événement, Ubisoft a annoncé le lancement du Hieroglyphics Initiative Project, un projet de recherche développé en partenariat avec Google et qui a pour idée de développer des outils permettant de traduire automatiquement les hiéroglyphes.

Assassin’s Creed : entre réalité historique et valeur pédagogique

Mais l’ajout le plus marquant concernant le rapport à l’Histoire dans Assassin’s Creed reste la création du Discovery Tour. Ce mode permet de faire des tours à thème dans le jeu, à la manière d’un musée, pour y apprendre des choses. Il a explicitement été créé pour devenir un outil pédagogique permettant de découvrir, d’en apprendre plus et d’éveiller la curiosité des gens au sujet de l’Égypte Ancienne. C’est une grande première pour la franchise et, plus largement, les AAA. Le projet est né suite aux nombreuses demandes provenant de professeurs reçues par Ubisoft. Certains d’entre eux utilisaient déjà des opus de la saga en cours, mais il reste compliqué d’apporter en classe un jeu déconseillé au moins de 18 ans, ou bien de se faire interrompre par un combat inopiné en cherchant à montrer un monument par exemple. Le Discovery Tour s’affiche alors comme le parfait compromis. Pas de combats, pas de sang, pas d’histoire… Juste des tours immersifs articulés autour de thèmes précis et écrits par des égyptologues. Mêlant explications orales, démonstrations visuelles et documents historiques détaillés, ces visites interactives apportent une approche inédite dans le domaine du jeu vidéo et de l’apprentissage.

Une approche qui est d’autant plus novatrice qu’elle permet non seulement d’apprendre de nouvelles choses, mais aussi de développer son esprit critique. En effet, l’Egypte Ancienne est une période de flou. Le manque de documents d’époque a laissé des questions sans réelles réponses, comme la construction des Pyramides. Impossible cependant de représenter quelque chose de façon floue dans un jeu. Les développeurs ont ainsi dû faire des choix arbitraires, qu’ils peuvent maintenant nuancer et défendre dans ce mode, tout en présentant les différentes théories qui n’ont, elles, pas été retenues pour le jeu. Cette fonctionnalité permet également de rectifier les petites inexactitudes disséminées ici et là dans le jeu. Par exemple, dans le jeu, les pyramides sont légèrement surélevées par rapport à la réalité pour être sûr que les joueurs puissent les voir au loin. Ce petit détail est expliqué dans le Discovery Tour. Avec ce nouveau mode, Ubisoft a permis à sa franchise de devenir un outil pédagogique complet et a mieux exploité le potentiel de son jeu. Un potentiel aujourd’hui reconnu par beaucoup, puisque, victime de son succès, le Discovery Tour a également été ajouté à Assassin's Creed Odyssey , l’améliorant même en le rendant plus dynamique, plus complet et en invitant les joueurs à explorer plus. Atténuant ainsi ses principaux défauts, Ubisoft pose les bases d'une innovation majeure dans le genre.

Cependant, la valeur historique et pédagogique d’Assassin’s Creed reste sujette à débat. Nombre d’historiens ou professeurs refusent catégoriquement de le traiter comme un outil pédagogique à part entière ou de reconnaître que le jeu puisse enseigner des choses. D’après Jose Manuel Galan, cette posture est hypocrite. Premièrement, car critiquer un jeu parce qu’il mélange fiction et Histoire n’a pas vraiment de sens. Il y a en effet beaucoup de trous dans l’Histoire, de choses que l’on ne sait pas, et la plupart des livres d’Histoire pourraient très bien, dans le futur, se révéler être remplis de postulats complètement faux. Deuxièmement, dénigrer une telle approche signifierait fermer la porte à une incroyable opportunité de faire découvrir l’Histoire à un public qui ne s’y serait jamais intéressé autrement. Cela pourrait même aller jusqu’à développer des vocations chez certains comme l’espère Galan :

Au 21ème siècle, vous trouverez des gens et leur demanderez comment ils ont commencé à s’intéresser à l’Egypte Ancienne, et ils vous répondront qu’ils ont adoré Assassin’s Creed Origins. C’est une possibilité.

De plus, de par leur grand niveau d’immersion, les jeux vidéo en général pourraient permettre d’intérioriser les informations plus facilement. En effet, quand vous jouez, vous n’apprenez pas, vous vivez les choses. C’est ce que tendent à démontrer certaines études. L’une d’entre elles , réalisée en 2013 par GlassLab, montre que les élèves utilisant des jeux vidéo en cours apprennent davantage d’informations (12 % d’informations supplémentaires apprises sur un jeu lambda, 25 % sur une simulation). Si d’autres études confortent cette idée, certaines la rejettent complètement. Nous manquons de recul sur la situation pour mettre en lumière une relation de cause à effet nette et précise, il faudra donc du temps pour savoir ce qu’il en est réellement. Mais il est clair que l’évolution d’Assassin’s Creed a eu un réel impact, forçant certaines personnes à reconnaître les jeux vidéo comme un médium aussi légitime que les autres, malgré l’initial scepticisme. Une évolution de l’opinion qui transparaît dans la pensée de Guillaume Mazeau, maître de conférence à l’Université Paris I. Dubitatif quant à la véracité historique des jeux Assassin’s Creed, il a néanmoins reconnu la nécessité de les utiliser comme n’importe quel autre support, estimant qu’ils peuvent apporter quelque chose :

Il faut prendre les jeux vidéo au sérieux. Ils font partie de la culture partagée. Même si c’est une fiction, ça participe à forger un univers autant que les manuels scolaires. C’est un nouveau moyen de faire vivre le passé.

Au fil des années, la franchise a drastiquement évolué. Utilisant l’Histoire comme toile de fond, les développeurs ont approfondi les recherches afin de produire un jeu qui permet de revivre le passé, d’éveiller la curiosité, et, en définitive, d’apprendre. Une évolution bénéficiant à tous et qui, espérons le, ne s’arrêtera pas avec le prochain opus.

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Commentaires
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Pseudo supprimé
Niveau 10
le 28 mars 2022 à 00:38

Vive les Templiers et la Sainte religion Catholique. Seule et unique vraie religion.
https://userpage.fu-berlin.de/~vlaisney/lettres/fr/textes/preuves_fr.htm
https://www.vaticancatholique.com/la-bible-prouve-la-papaute/
https://philosophieduchristianisme.wordpress.com/2016/01/23/les-fondements-bibliques-de-la-papaute-1-matthieu-xvi-18-le-christ-fait-de-pierre-la-pierre-de-fondement-de-son-eglise/

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Commentaire édité 28 mars 2022, 00:40 par pseudo supprimé
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Les jeux attendus
1
Vampire: The Masquerade - Bloodlines 2
4ème trimestre 2024
2
Blue Protocol
2024
3
2XKO
2025
4
Path of Exile 2
06 déc. 2024
5
Borneo: A Jungle Nightmare
2024
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