Petit rappel des faits. Début des années 2000, Guerrilla Games n'existe pas encore à proprement parler. A l'époque, il ne s'agit que de la fusion de trois sociétés (Orangegames, Digital Infinity et Formula Game Development) rachetées par la firme néerlandaise multimédia Lost Boys qui aimerait se lancer dans la grande aventure vidéoludique. En 2001, la branche multimédia de Lost Boys, autrement nommée Lost Boy Games, devient indépendante. Entre 2000 et 2002, elle développera quatre jeux dont deux pour la Gameboy Color et deux la GBA. Les coûts de développement n'étant pas encore ce qu'ils sont aujourd'hui, Lost Boys Games multiplie les approches et s'essaie à l'action/réflexion avec Tiny Toon Adventures: Dizzy's Candy Quest, la plate-forme avec Rhino Rumble, la baston avec le coloré Black Belt Challenge et le shoot'em up avec Invader. En 2002, Lost Boys Games est acquise à hauteur de 75% par la société Media Republic. Cette acquisition se traduit par un nouveau nom à savoir Guerrilla Games, censé traduire le côté volontaire et «arrogant» de ses membres qui entendent bien s'imposer sur la scène internationale alors que l’industrie néerlandaise du jeu vidéo n'en est qu'à ses balbutiements.
En septembre 2004, sort sur PS2, Xbox et PC le premier jeu de Guerrilla Games, autrement dit le très dispensable ShellShock : Nam '67. Techniquement assez quelconque, ce FPS ne se démarque pas non plus par son gameplay et son histoire faisant la part belle aux américains en délaissant la souffrance vécue par les soldats vietnamiens.
Le studio développe en parallèle le premier Killzone pour la Playstation 2, un FPS futuriste puisant certaines de ses inspirations dans l'animation japonaise (Jin-Roh en tête) et proposant un univers à l'esthétique léchée s'appuyant sur un gameplay classique mais solide ainsi qu'une IA convaincante. Il n'en faut pas plus pour sceller le pacte d'amitié entre la firme japonaise et celle néerlandaise qui se transformera en concubinage à partir de 2005, date à laquelle Media Republic revend Guerrilla à Sony. Précisons qu'à l'époque plusieurs sociétés avaient des vues sur les développeurs néerlandais à commencer par Eidos Interactive, éditeur de ShellShock : Nam '67.
Depuis 15 ans, Guerrilla Games et Sony marchent main dans la main. On notera d'ailleurs qu'en 2010, l'historique SCE Studio Cambridge (MediEvil, Primal, Ghosthunter) sera intégré à la structure de la société néerlandaise puis renommé en 2012 Guerrilla Cambridge. Un signe de confiance qui ne trompe pas même si la société fermera sept ans plus tard, suite à des réorganisations internes non sans nous avoir donné l'excellent Killzone Mercenary (2013) sur PS Vita et le sympathique RIGS : Mechanized Combat League en 2016. Cette association a ainsi connu plusieurs évolutions et il est intéressant de les noter pour comprendre à quel point la société de Hermen Hulst et Arjan Brussee (qui quittera la boîte en 2012 pour aller travailler chez EA) a pris du galon au sein de la marque japonaise.
Une relation bâtie sur deux séries...
En tout premier lieu, rappelons que si Guerrilla développe exclusivement pour Sony depuis 2004, il n'en reste pas moins que la société n'a finalement créé que deux franchises pour le constructeur. Nous avons déjà évoqué la première, Killzone, mais il est bon de revenir sur cette dernière pour comprendre à quel point Sony a dès le départ vu les jeux Guerrilla comme des vitrines technologiques de leurs consoles. Ainsi, alors que le premier Killzone sort sur une PS2 déjà bien implantée depuis quatre ans, Guerrilla nous propose un deuxième épisode du nom de Killzone Liberation, sur PSP, en 2006. Fait notable, le titre n'est plus un FPS mais un jeu d'action-tactique à la troisième personne. Sans être parfait, Liberation démontre ainsi que Guerrilla peut très bien passer d'un genre à l'autre quelle que soit la machine, PS2, PSP ou PS3 sur laquelle les développeurs nous offriront en 2009 puis 2011 deux nouveaux Killzone.
Au delà de plusieurs retards, on a encore en tête la stratégie de communication pour le moins maladroite nous ayant fait miroiter un Killzone 2 des plus impressionnants via un faux trailer en pré-calculé (synonyme d'animations d'une fluidité étonnante), pensé pour ressembler à du gameplay. Si Sony entretiendra un certain flou autour de cette histoire, on apprendra par la suite que ce fameux trailer était à la base destiné à un usage interne pour présenter ce à quoi pouvait ressembler un FPS sur les consoles Nouvelle Génération. Ni plus ni moins qu'un Target Render. Le problème est que ce trailer sera diffusé lors de la conférence E3 2005 de Sony afin de marquer les esprits et présenter les capacités de leur future PS3. De plus, certaines personnes du marketing préciseront qu'il s'agit bel et bien de gameplay. Pour l'anecdote, Guerrilla venait simplement d'obtenir à cette époque les premiers kits de développement PS3 et commençait donc à peine à étudier la machine qui sortira en mars 2007 en Europe.
Malgré cette polémique, le titre n'en restera pas moins d'un excellent niveau technique et n'aura pas vraiment à rougir de la comparaison comme vous pouvez le voir sur cette vidéo mettant côte à côte le fameux trailer en pré-calculé et le résultat final.
La sortie de Killzone 3 sera moins mouvementée et si cet épisode s'en sortira lui aussi avec les honneurs, on déplorera une campagne Solo inférieure à celle du deuxième épisode. En 2013, sort deux épisodes de la franchise. Le premier, Killzone Mercenary (développé par les anglais du studio de Cambridge), débarque sur PSVita et se veut lui aussi une véritable vitrine technologique de la portable de Sony. Il faut également rappeler que la machine est à ce moment-là parfaitement maîtrisée par les développeurs puisque l'arrêt de la production sera annoncée l'année suivante. Killzone : Shadow Fall (autrement dit le cinquième véritable épisode de la saga) a l'honneur de faire partie du line up de lancement de la PS4. A nouveau, Guerrilla Games nous offre un jeu magnifique montrant les capacités de la nouvelle machine du constructeur japonais et n'a aucun mal à rayonner parmi les titres disponibles, par ailleurs peu nombreux.
Au final, la saga Killzone se sera vendue à plus de 10 millions d'exemplaires sur l'ensemble de ses opus, ce qui n'est finalement pas si élevé que celà, surtout pour une "série porte-étendard d'une marque". A ce stade de l'aventure, Guerrilla Games aspire à de nouvelles choses, de nouveaux défis, de nouveaux... horizons. Ceci se concrétise en mars 2017 par la sortie de Horizon : Zero Dawn, premier Open world de la firme. Inutile de revenir sur toutes les qualités de ce jeu proposant l'un des meilleurs gameplay de ces dernières années tout en étant techniquement bluffant. Pour l'anecdote, sachez qu'à lui seul, ce titre s'est aussi bien vendu que toute la saga Killzone avec plus de 10 millions d'exemplaires. Succès autant critique que public, Horizon : Zero Dawn profitera également d'un excellent DLC (The Frozen Wilds) et devrait à n'en point douter accoucher d'une suite sur PS5. A la sortie de la machine, en 2020 ? Pourquoi pas surtout si on prend en compte la place centrale de la société au sein de l'eco-système Playstation.
Horizon : Zero Dawn se paye un très bon DLC du nom de The Frozen Wilds en Nov. 2017
… Un savoir-faire technique...
Comme nous l'avons vu un peu plus haut, Guerrilla Games maîtrise parfaitement les outils qu'elle a à disposition, ceci se caractérisant la plupart du temps par des jeux somptueux mettant en avant les capacités des consoles sur lesquelles ils tournent.
En 2013, la société franchit un nouveau palier avec Killzone : Shadow Fall en lançant le Decima, son moteur maison. Celui-ci gère aussi bien animations physiques qu'IA et intègrera plus tard de nombreux outils pour générer des open world entiers compatibles 4K/HDR. Des exclus PS4 comme Until Dawn (et son spin-off VR, Rush of Blood) ou bien encore RIGS: Mechanized Combat League en profiteront par la suite. Cependant, c'est bien Horizon : Zero Dawn qui démontrera l'étendue des possibilités du Decima. Le directeur technique, Michiel Van der Leeuw, précise au sujet de l'utilisation du moteur dans le cadre d'un projet comme Horizon :
Nous avons tendance à essayer de faire plus que ce dont nous avons réellement besoin et parfois, cela ralentit nos process. Cependant, vu que nous avions déjà construit ce moteur complexe, lorsque quelqu'un a précisé qu'on pourrait utiliser ce moteur pensé pour un FPS afin de créer un open world, nous nous sommes dit que cela représentait beaucoup de travail mais que nous pouvions le faire.
Lors du Playstation Experience de 2016, c'est Hideo Kojima lui-même qui annoncera travailler avec Guerrilla Games sur Death Stranding en utilisant notamment leur moteur qui jusqu'alors n'avait pas de nom puisque simplement nommé "Le moteur". Le game director japonais l'appellera symboliquement le Dejima, du nom du comptoir commercial construit aux abords de l'île de Nagasaki où ont eu lieu les premiers échanges entre la Hollande et le Japon en 1641. C'est Angie Smets, productrice chez Guerrilla, qui racontera cette histoire qui sera par ailleurs confirmée par Van der Leeuw en 2019 lors d'une interview.
Ce choix commun a été pris afin de marquer les bonnes relations entre les deux pays mais aussi et surtout pour faire comprendre que les deux sociétés ont travaillé de concert, qu'elle se respectent mutuellement et qu'elles se donnent très souvent des conseils pour leurs jeux respectifs. D'ailleurs, on apprendra qu'au plus fort du développement de Death Stranding, plus de 70 personnes de Guerrilla ont épaulé les équipes de Kojima Productions afin de les guider pour tirer le meilleur parti du Decima.
… Et une équipe
Guerrilla Games, ce sont également plusieurs noms. Nous avons déjà cité plusieurs fois Michiel Van der Leeuw, le directeur technique du studio qui a chapeauté la création du moteur Decima. Il représente la caution technique de la société et l'envie de Guerrilla Games d'aller toujours plus loin comme il aime à le rappeler :
Nous aimons faire beaucoup de choses, notre compagnie attire de nombreux inventeurs. Pour nous, c'est très important de se sentir responsables vis à vis de ce que nous allons réaliser.
L'autre force de Guerrilla tient également à ce besoin de travailler en synergie avec d'autres sociétés et de partager leurs découvertes afin de créer une émulsion permettant d'avancer plus rapidement. Pour Van der Leeuw, c'est l'une des principales forces du studio :
Les inventeurs tels que nous n'aiment pas simplement créer. Nous aimons également partager. Le partage vous rend plus fort. Parfois, vous n'avez rien en retour si ce n'est un merci mais cela reste malgré tout agréable. Mais parfois, vous trouvez quelqu'un qui est exactement dans le même état d'esprit que vous et cela amène une incroyable énergie créative. C'est juste du code et au final c'est la mentalité du programmeur qui importe.
Une philosophie qui sied parfaitement à Sony sachant que les technologies élaborées au sein de Guerrilla Games pourront être utilisées dans leurs nombreux autres studios. On espère cependant que cet état de faits n'offrira pas une homogénéité trop forte entre les projets desdits studios bien qu'on fasse confiance aux créatifs pour aisément contourner cet éventuel problème.
L'autre volonté de Guerrilla est son envie de flexibilité qui passe bien entendu par celle de son moteur mais à plus large échelle par celle de la société de toujours innover. Cette philosophie, Guerrilla l'a porté depuis le départ à travers ses outils mais aussi son porte-parole principal, Hermen Hulst, cofondateur de la société et directeur général depuis ses débuts.
Cela n'a bien entendu pas échappé à Sony qui en novembre dernier l'a promu au rang de Head of Worldwide Studios. Une promotion qui marque ainsi une relation fusionnelle depuis le début des années 2000 et qui permet à Hulst de succéder à Shuhei Yoshida en étant à la tête des 14 studios internes de la firme parmi lesquels on retrouve quelques pépites à l'image de Naughty Dog, Insomniac Games, Santa Monica Studio ou Polyphony Digital.
Hulst délaissant ses attributions chez Guerrilla, celles-ci seront réparties entre trois autres têtes pensantes de la boîte à savoir Michiel van der Leeu, Jan-Bart van Beek et Angie Smets. Un triumvirat légitime puisque chaque membre maîtrise plusieurs facettes de la production d'un jeu. Ainsi, Jan-Bart van Beek fait partie de l'aventure Guerrilla depuis ses débuts et a occupé différents postes, d'animateur à directeur artistique en passant par directeur d'animation. Précisons que c'est lui qui avait notamment dirigé le trailer de Killzone 2 que nous avions cité quelques lignes plus haut et qu'il a également chapeauté l'aspect artistique de Horizon : Zero Dawn. De son côté, bien qu'Angie Smets ait été elle aussi présente dès l'aventure Lost Boys, en tant que designeuse, elle occupera entre 2003 et 2019 le poste de Productrice exécutive. La décision de mettre ces trois personnes à la tête du studio a donc beaucoup de sens car en plus de cumuler les fonctions et accessoirement de proposer autant de visions d'un même projet, elle a aussi de quoi rassurer les employés de Guerrilla Games puisqu'à elles trois, ces personnes empilent pas loin de 50 années de boîte.
Hermen Hulst de son côté devrait pouvoir mettre à profit cette fameuse volonté de partage et ses années d'expérience afin que ces 14 studios travaillent main dans la main et que chacun d'entre-eux puisse apporter quelque chose aux autres afin d'homogénéiser des process, de permettre de nouvelles approches et bien entendu d’apposer sur l'ensemble des productions Sony un «Seal of technical quality».
C'est tout le mal qu'on lui souhaite mais quoi qu'il en soit, l'homme portera bien haut les valeurs de Guerrilla Games qui n'ont jamais été aussi proches de celle de Sony, quelques mois avant la sortie de la PS5.