Qu'on se déclare patient ou non, personne n'aime attendre. À une époque où l'on désire que tout aille toujours plus vite, et ce dans de nombreux domaines, le temps de chargement dans le jeu vidéo est une étape communément admise, mais pas forcément bien acceptée, à tel point que des chargements trop longs peuvent pénaliser la perception d'un jeu qui pourrait être excellent. Et pourtant, ces pauses interstitielles se sont progressivement fondues dans leur environnement pour devenir – presque – oubliables.
Patience, interactivité et brevet Namco
Il fut une époque pas si lointaine où les temps de chargement n'étaient pas l'apanage de tous les jeux et étaient majoritairement celui des joueurs PC. Les joueurs sur consoles de salon, eux, ont été majoritairement confrontés aux écrans noirs les invitant à patienter après l'abandon de la cartouche au profit du jeu sur CD, notamment sur la première PlayStation. À compter de ce moment s'est posée la question de savoir comment rendre ces pauses brisant le rythme de l'aventure un peu plus supportable pour les joueurs impatients. En premier lieu en les intégrant directement dans la continuité de l'action. Le meilleur exemple pour illustrer cette volonté de rendre indolore un écran de chargement est celui de Resident Evil. La navigation d'une pièce à l'autre étant récurrente dans le titre de Capcom, l'idée de masquer le chargement par l'animation d'une porte grinçante qui s'ouvre et d'un effet de progression de la caméra permettait de limiter la rupture dans l'immersion du joueur.
Mais à cette époque, Namco a eu l'idée d'aller encore plus loin dans l'optique de divertissement et dans la volonté de conserver l'attention du joueur en dépit de la pause imposée par l'écran de chargement. C'est avec le titre Ridge Racer que Namco a introduit un mini-jeu directement emprunté à un classique arcade de l'éditeur / développeur : Galaxian. Si l'idée n'est pas nouvelle, la première initiative du genre remontant à 1984 et Skyline Attack sur Commodore 64, celle de breveter cette approche elle, l'a été en 1995. Dans le cadre d'une interview accordée à Now Gamer via Polygon, Yozo Sakagami, membre de l'équipe de développement de Ridge Racer, s'est souvenu s'être posé la question de savoir comment rendre le temps d'attente plus acceptable et d'avoir eu l'idée d'intégrer Galaxian, dont il était également développeur, en l'honneur de son ancien patron. Et cette idée, plutôt intéressante pour le joueur comme pour le développeur, a conduit Namco à déposer un brevet, sous la référence US5718632A le 27 novembre 1995.
Les termes du brevet étaient assez clairs et finalement presque permissifs s'ils étaient convenablement interprétés. Effectivement, ils garantissaient à Namco, et ce pendant 20 ans, le droit exclusif d'intégrer des mini-jeux dans les temps de chargement à moins qu'ils ne soient directement liés au jeu de base. Ainsi, si par exemple, Electronic Arts voulait intégrer aux chargements de son FIFA son jeu Skyfox, il n'aurait pu le faire qu'en payant une certaine somme à Namco. En revanche, le fait d'utiliser les éléments du jeu de base pour les transformer en mini-jeux de tir au but, ou tout simplement de mettre des exercices pratiques est parfaitement autorisé, puisque ces sessions ne constituent pas le chargement d'un jeu auxiliaire. Et le contournement peut aussi se jouer sur les mots, comme l'a prouvé Nintendo avec Splatoon. Le mini-jeu Squid Jump est effectivement auxiliaire au jeu de base, mais n'intervient pas exactement dans un écran de chargement, mais simplement dans un lobby au cours duquel vous n'attendez pas que le jeu se charge, mais que suffisamment de joueurs aient rejoint la partie à venir. Tout est question d'interprétation, lorsqu'il s'agit de subtilité juridique.
Les conditions de ce brevet ont en tout cas grandement freiné les possibilités d'introduire des activités variées au cours des chargements, tandis que de nombreuses publications de Namco ont, elles, exploité cette possibilité, l'intégration de Starblade dans Tekken 5 ou les animations interactives des jeux Dragon Ball en étant des exemples parlants. Malheureusement pour les plus impatients, énormément d'autres développeurs ont choisi la voie de l'économie ou de la facilité, en « se contentant » de proposer aux joueurs un écran de chargement tout ce qu'il y a de plus statique, avec éventuellement quelques astuces ou quelques éléments de lore tournant en boucle, sans beaucoup plus d'excentricité qu'une éventuelle poignée de modèles 3D à contempler sous tous les exemples pour faire passer le temps. Cependant, d'autres développeurs se sont voulus plus téméraires et ont fait fi du brevet dressé par Namco. Comme le rappelait sur son blog l'avocat David Hope, ayant notamment représenté divers clients dans l'industrie du jeu vidéo, le cas de l'oubliable Onechanbara, publié par D3 Publisher Inc., est assez représentatif puisque de nombreuses personnes se sont accordées pour dire que le mini-jeu inclus dans les temps de chargement était plus sympathique que le jeu lui-même. Alors que ce dernier était un titre d'action dans la veine de Dynasty Warriors, le jeu auxiliaire, lui, consistait simplement à tuer des zombies en masses au cours d'un petit jeu 2D. Le procédé tombait donc bel et bien en désaccord avec le brevet de Namco. L'avocat précise alors qu'il est possible que Namco ait préféré s'abstenir d'intenter un procès à l'encontre d'un jeu si mineur, puisqu'une action en justice aurait pu mettre en exergue les failles du brevet et au final, peut-être, conduire à son invalidation.
Une mue amorcée depuis des années
Quoi qu'il en soit, depuis le 28 novembre 2015, il est aujourd'hui possible d'intégrer à nouveau des jeux auxiliaires, mais est-ce quelque chose que nous avons régulièrement constaté depuis lors ? Non. Entre 1995 et 2015, les temps de chargements se sont multipliés, mais les développeurs ont cherché à les rendre, lorsqu'ils sont soit nombreux, soit potentiellement longs, au moins un minimum interactifs sans pour autant chercher à proposer une expérience en rupture avec le jeu de base. En somme, les équipes n'ont pas attendu patiemment l'expiration du brevet pour entamer la mue des écrans de chargement. Ainsi, à l'exception d'une sympathique Game Jam visant à créer les chargements les plus ludiques, la fin de l'exclusivité pour Namco n'a pas changé grand chose. C'est essentiellement dans une philosophie d'harmonie avec le jeu principal que les "loadings" ont profondément muté et non dans l'optique de proposer un titre décorrélé de l'expérience de base. Désormais, même si les panneaux statiques indiquant des astuces ou des éléments d'histoire sont une norme (qui peut-être sublimée comme l'a démontré Spec Ops : The Line notamment), la tendance à insuffler un minimum d'interactivité aux temps de pause sont légion et souvent bien intégrée. FIFA, que nous évoquions plus haut, propose aux joueurs de s'adonner à quelques exercices d'entraînements qu'ils pourront terminer ou non avant de lancer un match tandis qu'un Bayonetta, lui, permettra au joueur de placer quelques combos en attendant que le jeu se lance. Idéal pour capter l'attention du joueur tout en lui laissant l'opportunité de perfectionner son jeu.
Plus passif, mais toujours interactif, Assassin's Creed par exemple propose de contrôler son avatar dans un univers virtuel infini et rares sont les joueurs à profiter de ce chargement pour poser la manette, au contraire, faire courir ou dégainer notre avatar apparaît presque comme un réflexe qui, s'il ne tue pas totalement l'attente, la rend tout de même plus douce. Il en va de même, par exemple, pour Rayman Legends et son charmant chargement où vous pouvez diriger la silhouette de votre héros. Mais ces exemples ne créent pas spécialement d'interaction avec le jeu principal, à l'inverse d'Okami, régulièrement cité pour l'originalité de ses transitions. Effectivement, au cours des écrans de chargement, il s'agissait (sur la version PS2 exclusivement) de presser une certaine quantité de fois la touche croix suffisamment rapidement pour obtenir un Croc de Démon, monnaie utilisable directement en jeu. Le simple fait de récompenser le joueur et de le stimuler pendant ce qui s'avère d'ordinaire un passage pénible dans l'expérience d'un jeu vidéo était un pas de géant pour ringardiser le temps de chargement, qui se fait aujourd'hui de plus en plus transparent pour le joueur.
Le chargement déguisé de plus en plus transparent
Le jeu vidéo évoluant d'une année sur l'autre et le souci de réalisme et d'immersion étant plus que jamais d'actualité pour les développeurs, l'abrupt temps de chargement qui brise l'ambiance et le rythme est devenu progressivement un casse-tête d'intégration transparente et fluide. Si l'on excepte bien entendu le premier « loading » d'un open world, par exemple, les titres plus couloirs ne se soustraient pas par leur étroitesse à la nécessité de charger les éléments de jeu. Ainsi, peu à peu sont arrivés les fameux temps de chargement déguisés qui, avec plus ou moins de succès, permettent au joueur de rester en connexion constante avec l'univers du titre qu'ils parcourent. Si le principe ne parvient à duper finalement personne et que certains de ces procédés apparaissent aussi longs sinon davantage qu'un simple écran avec une jauge qui se remplit progressivement, nous ne pouvons pas ôter au principe son optique d'immersion. Vous serez sans doute nombreux à vous souvenir du fameux ascenseur de la Citadelle de Mass Effect. Si ce chargement masqué était parfois l'occasion d'écouter quelques annonces radio en rapport avec vos récentes actions en jeu, il se résumait la plupart du temps à observer votre Sheppard et ses deux partenaires attendre patiemment d'arriver à bon port, générant une nombreuse poignée de mèmes sur le net. Pour l'anecdote, Bioware a même préféré revenir à un écran traditionnel suite au retour des joueurs lassés des allers-retours dans l'ascenceur qui étaientt pourtant destinés à divertir le joueur au lieu de le faire patienter.
Les exemples de ce type sont légion : No Man's Sky lorsque l'on quitte l'atmosphère d'une planète ou que l'on passe d'une galaxie à l'autre déclenche une animation d'hyper vitesse, tout comme Destiny nous porte d'une planète à l'autre en nous dévoilant une séquence de vaisseaux voguant dans l'espace. Le prochain Star Wars Jedi : Fallen Order reprendra d'ailleurs cette approche. Si ces solutions s'intègrent bien dans l'univers des jeux en question, il existe aussi des temps de chargement plus subtils, mais aussi largement répandus. Si l'on prend pour exemple récent la saga Tomb Raider depuis son reboot, les phases où la caméra se rapproche d'une Lara rampant entre deux parois étroites offrent une transition fluide et indolore pour le joueur tout en chargeant en arrière-plan le décor suivant. Mais la principale prouesse de ce type à retenir, reposant sur le même principe, mais dont l'application pousse plus loin le défi, est celle réalisée par le récent God of War. Conçu comme un long plan séquence, les temps de chargement sont masqués par les cinématiques du moteur du jeu, par les transitions en barque d'un univers à l'autre ou, plus apparent, lorsque Kratos active le mécanisme déclenchant le changement de Royaume. Cette marque de fabrique de la saga de Santa Monica était traditionnellement masquée par des cinématiques ou par des plans resserrés d'une pièce à l'autre, mais a été poussée à son paroxysme avec le nouvel épisode. Les exemples sont en tout cas nombreux et la volonté de masquer au maximum les chargements pour l'utilisateur est omniprésente.
D'un écran basique souvent atrocement long à des chargements nettement mieux intégrés à l'expérience de jeu et parfois presque transparents pour l'utilisateur, le temps de chargement a nettement évolué depuis des années. Il ne sera certes pas éradiqué dans un futur proche, devrait même se multiplier compte tenu de la richesse des jeux à venir, mais devrait tout de même être pensé comme un élément à intégrer intelligemment plutôt qu'à un passage obligatoire dont on ne peut rien faire ni tirer.
La réduction de ces séquences est un objectif majeur qui se trouve au cœur des préoccupations, comme en témoignent d'ailleurs les récentes informations concernant la future génération de machines. Les premières présentations de la PlayStation 5 portaient sur la réduction considérable des temps de chargement sur le titre Spider Man tandis que la Xbox Scarlett laisse entrevoir des chargements « 40 fois plus rapides » que sur la génération actuelle. Reste à savoir si les exigences toujours plus importantes des jeux futurs satisfera à ces exigences de vitesse.