Depuis son lancement en mars 2017, la Switch s’est imposée comme la coqueluche des joueurs, la machine à posséder absolument pour découvrir les dernières productions Nintendo, ou découvrir sous la couette à de petits jeux indépendants. Difficile de ne pas apprécier cette petite machine à la fois maligne, modulable et bénéficiant d’un catalogues hyper varié. On voyait alors difficilement ce qui pourrait venir écorner son image… Sauf que dans l’industrie du jeu vidéo, il suffit parfois d’un petit grain de sable pour gripper toute la machine.
En près de 50 ans d’activité dans l’industrie du jeu vidéo, Nintendo s’est bâti une solide réputation de constructeur hardware. Si le fabricant nippon a quelques coquilles à son actif, il est aussi responsable de quelques-unes des plus importantes innovations techniques du secteur. On lui doit notamment la croix directionnelle, le mini-joystick intégré à la manette, ou même la configuration de boutons qu’utilisent aujourd’hui toutes les manettes du marché. Imaginez : nous sommes en 2019 et pour de nombreux gamers, la manette de la GameCube est toujours une référence en matière de confort et d’ergonomie. Et puis, il faut bien le dire, les consoles de Big N se sont également bâti une jolie réputation grâce à leur fiabilité. Microsoft a connu le RROD, Sony les casses de lecteurs CD de sa PlayStation ou le YLOD de la PS3, mais Nintendo ? Pratiquement rien.
Alors forcément, lorsque la dernière-née du fabricant a commencé à présenter des signes de dysfonctionnement, personne ne s’est vraiment alerté : après tout, les machines "day-one" ne sont jamais parfaites et c’est d’ailleurs un fait communément admis dans toutes les industries qui impliquent du montage à la chaîne. Au moment des projections, les marques ayant recours à ce procédé de fabrication établissent un taux de produits défectueux acceptable, la plupart du temps situé autour de 5 %. Ainsi, à l’été 2005, quand Microsoft produit sa Xbox 360, certains voyants virent déjà au rouge, alors que l’on n’est à cinq mois de sa date de commercialisation. Mais les dirigeants de Xbox sous-estiment le problème qui conduira au Red Ring of Death. Ils tablent sur un taux entre 6 % et 7 % qu’ils estiment acceptables ; il suffira de réparer ou d’échanger les consoles concernées. Bref, vous l’aurez compris : les fabricants eux-mêmes sont conscients qu’il y aura des problèmes, cela fait partie du jeu.
C’est sans doute ce qui a attiré l’attention des joueurs, en ce qui concerne le « Joy-Con Drift » : si l’on est encore loin de connaître une situation similaire au RROD de la Xbox 360 (notamment parce que la panne était autrement plus grave), le problème est désormais suffisamment important pour que l’on en vienne à se poser des questions.
« Joy-Con Drift » : qu’est-ce que c’est ?
Le Joy-Con Drift est un dysfonctionnement qui frappe les petits joysticks de Joy-Con de la Switch. Si les premiers cas ont laissé penser que seul le stick droit pouvait être affecté, de nombreux témoignages, à travers le temps, ont démontré que le stick du Joy-Con gauche pouvait également être affecté. Ce défaut se manifeste principalement en jeu mais peut être observé dans les menus de la console : l’un des joysticks envoie une commande de direction, alors qu’il est en position neutre. On parle alors de « mouvements fantôme ». En jeu, cela peut se manifester par un personnage qui se déplace tout seul, ou une caméra qui pivote sans qu’on ne le souhaite. Les nombreux témoignages que nous avons pu récolter font état de pannes plus ou moins prononcées. Dans certains cas, la commande envoyée est suffisamment faible pour pouvoir être équilibrée en inclinant très légèrement dans la direction opposée ; dans d’autres cas, cela n’est pas suffisant. Cela peut donc être un handicap en jeu, comme un défaut insurmontable.
Link qui tombe tout le temps dans les sanctuaires, les constructions impossibles dans Dragon Quest Builders avec le perso qui tombe des constructions… Enfin, certains jeux, c’est plus dur mais pour d’autres c’est impossible d’y jouer. - @Toxeflow
C’est grave, docteur ?
Dans l’état actuel des choses, il est difficile d’établir une estimation du nombre de consoles touchées par le Joy-Con Drift, mais l’on peut supposer que ce nombre pourrait grandir si Nintendo était trop lent à réagir. On a supposé pendant un temps que seules les premières Switch, celles commercialisées dès mars 2017, étaient concernées. Une hypothèse que l’on a vite remise en question, après avoir interrogé notre entourage proche : sur les douze amis interrogés à cette occasion, sept nous ont affirmé être concernés par le « Drift », et les dates d’achat étaient suffisamment étalées pour que l’on puisse douter. Un constat qui s’est vérifié par la suite, en interrogeant plus de joueurs Switch. Le plus inquiétant, c’est que l’on a déjà décelé des cas de Joy-Con Drift sur Switch Lite, la toute dernière version de la console de Nintendo. Problème : les Joy-Cons sont intégrés à la machine et en cas de panne, c’est tout l’appareil qui doit partir pour le SAV.
Au moment de commencer à travailler sur cet article, nous avons donc pris la température en sondant les joueurs, via le compte Twitter de Jeuxvideo.com. Bien entendu, il s’agit ici de déclaratif et il n’est pas question de prendre les résultats de ce sondage pour une vérité absolue, mais les résultats sont tout de même inquiétants. Ainsi, sur les 19 255 votants, 32 % des votants ont répondu qu’ils rencontraient ou avaient rencontré des problèmes avec les joysticks de leur Switch. Soit presque autant (33%) que les personnes n’ayant aucun souci. Pour donner un ordre d’idée, au plus fort de la crise du RROD, environ 30 % des Xbox 360 avaient présenté des défaillances, selon les retours des revendeurs. En 2009, une étude effectuée par SquareTrade, une entreprise spécialisée dans les garanties de produits électroniques, estimait que 23,7 % des Xbox 360 commercialisés à date avaient dû être retournées ; 12 % d’entre elles avaient été frappées par le Red Ring of Death.
Quoi qu’il en soit, difficile de tirer quoi que ce soit de ce sondage, mais il permet, dans une certaine mesure, de prendre conscience de l’ampleur du phénomène. Clairement, le Joy-Con Drift n’est pas une histoire de quelques cas isolés.
D’où vient le problème ?
Lorsque les premiers cas de Drift ont été relevés, les joueurs ont peiné à identifier les raisons de ce malfonctionnement. On évoquait tantôt un problème hardware, tantôt un problème software, un flou renforcé par les témoignages de certains joueurs qui affirmaient avoir corrigé le problème grâce à une simple mise à jour, ou en nettoyant le joystick fou. Parlaient-ils alors tous du même problème ? Peut-être, peut-être pas ; d’autant que, et le RROD l’avait prouvé, les manifestations d’un dysfonctionnement peuvent être multiples.
Ce qui semble retenu aujourd’hui, c’est que les joysticks de la Switch souffrent d’un léger problème de conception qui autorise la formation d’un dépôt de poussière à l’intérieur même du joystick. C’est cet amas de particules qui pourrait générer, côté machine, des erreurs d’interprétation des commandes saisies. De nombreux joueurs ont réussi à régler le problème en utilisant des bombes d’air comprimé ou du dégrippant, mais il ne s’agit que d’une solution temporaire. Mais il y a plus grave. Début octobre dernier, nos confrères de Le Monde interrogeaient le gérant de Next-Gen Industry, un site de réparation de consoles de jeu et de smartphones. Le technicien leur révélait l’existence d’une carte souple à l’intérieur du joystick sur laquelle se trouve « une petite plaque qu’on appelle un charbon, et qui a tendance à s’user ». Si l’on retrouve cette technologie sur l’ensemble des manettes équipées de joysticks analogiques, la fragilité du « charbon » des joysticks de la Switch demeure suspecte, selon Next-Gen Industry.
Sur Wii U, il n’y avait pas ces problèmes. C’est à se demander s’ils n’ont pas fait exprès de faciliter l’usure pour en vendre plus.
À la rédaction de Jeuxvideo.com, nous disposons d’une dizaine de Nintendo Switch mais hormis celles d’Anagund, les consoles sont finalement peu sollicitées. Et surtout, elles sont la plupart du temps soigneusement conservées dans les bureaux des journalistes, souvent dans l’emballage d’origine. Ce qui les met à l’abri de la poussière, mais aussi d’un éventuel dégât d’usure. Les Switch personnelles en revanche sont plus touchées : sur les neuf propriétaires de Switch de la rédaction, quatre ont connu ou connaissent des problèmes de Drift. Difficile ici d’identifier la ou les origines du problème, à moins de démonter les machines concernées. La solution serait pourtant de remplacer les charbons de Nintendo et de les remplacer par des charbons non officiels, produits par des fournisseurs tiers. Car selon Next-Gen Industry, toujours cité par Le Monde, ils sont tout simplement plus résistants que ceux conçus par Nintendo.
Que fait Nintendo ?
Le problème étant tout de même assez sérieux, nous nous sommes donc dirigés vers Nintendo afin d’avoir leur avis sur le sujet. La réponse fut aussi vague que concise :
Nous voulons que les joueurs s'amusent avec la Nintendo Switch, et si un élément ne remplit pas cet objectif, nous les encourageons toujours à visiter http://support.nintendo.com afin que nous puissions aider.
Une déclaration qui n’est pas sans rappeler celle de juillet dernier, lorsqu’un cabinet d’avocats américain avait décidé d’entamer une action en justice contre Nintendo. Plainte qui prit en épaisseur en septembre dernier, lorsque l’on a constaté que la Switch Lite souffrait du même défaut, quand bien même le constructeur avait manifestement tenté de le corriger. Toujours aux États-Unis, dans le courant de l’été, le site Vice avait obtenu un mémo interne de Nintendo, dans lequel le constructeur indiquait sa volonté de ne plus faire payer les réparations de Joy-Cons, y compris en l’absence de justificatif d’achat ou d’informations sur la garantie. Alors en France, certains ont voulu vérifier l’information ; comme Numerama, qui fin juillet contactait le SAV de Nintendo France. Hélas, sans preuve d’achat ou information sur la garantie, le SAV français leur a fait savoir qu’ils n’auraient pas le droit à une réparation gratuite.
Depuis, plus de nouvelle. Nous avions sollicité Nintendo le 9 octobre dernier et depuis, le constructeur n’a manifestement pas changé son fusil d’épaule. À moins que les joueurs et joueuses fassent plus de bruit, ou que la class-action aux États-Unis n’aboutisse sur une condamnation de Nintendo, le statu quo devrait demeurer.
L'UFC-Que Choisir a annoncé ce matin son intention de mettre en demeure Nintendo France, afin de le pousser à réparer gratuitement les Joy-Con défaillants. L'association de consommateurs a lancé un appel à témoignages, qui devrait lui permettre de constituer un dossier.