Son annonce lors de la conférence Sony à l’E3 2015 a fait grand bruit. Shenmue 3 devenait alors une réalité après de nombreuses années à attendre. La suite de la saga imaginée par Yu Suzuki a, après une campagne de financement participatif record, connu un développement chaotique. Repoussé à maintes reprises, ce jeu d’aventure suscite l’intérêt des fans et des curieux non sans faire naître une pointe de crainte. Faut-il croire en Shenmue 3 ou au contraire douter ? Voici plusieurs éléments de réponse à partir de la démo "Backer" dans sa version 0.90 et des déclarations des équipes en charge du projet.
Bande-annonce de Shenmue 3
Une vengeance en suspens
Les joueurs attendent depuis 18 longues années la suite des aventures de Ryo Hazuki. En 2001, nous quittions le jeune héros après un cliffhanger qui a marqué à l’époque de nombreux fans. La grotte, les peintures murales, les miroirs du Dragon et du Phoenix, Lan Di… le premier objectif de Shenmue 3 est de poursuivre un récit tout simplement mis en pause. Ainsi, le jeu de Yu Suzuki fait suite au second épisode et reprend l’histoire où nous l’avions laissée. Cependant, à en croire le créateur japonais, la trilogie ne couvrirait que 40% de l'histoire. La trentaine d’heures annoncées pour finir Shenmue 3 ne mènerait qu’à une nouvelle halte narrative qui, espérons-le, ne durera pas deux décennies. En l’état, les quelques minutes passées sur la démo ne permettent pas de se forger un avis concret sur un scénario doublé en japonais et anglais ainsi que sous-titré en français. Nous pouvons tout de même affirmer que le classicisme de la mise en scène et la narration épurée font écho à ceux des précédents épisodes. Ce minimalisme convient à la franchise et devrait permettre à l’histoire de prendre ses aises sans altérer une plume qui a séduit les joueurs par le passé et a fait de Shenmue une saga intemporelle à l’aura singulière.
Une aventure à la “Shenmue”
La vie est un long fleuve tranquille et Shenmue 3 en est le parfait exemple. Ce dernier retrouve le rythme si particulier de ses aînés et parvient à en conserver l’approche contemplative. Le jeu sait parfaitement prendre son temps et se poser un instant à l’image de Ryo Hazuki arpentant doucement mais sûrement le village de Bailu et ses alentours sans être ni pressé par le temps ni agressé par des dizaines d’événements systémiques. A l’heure des mondes ouverts “hystériques” aux multiples opportunités, la saga de Yu Suzuki mise une fois encore sur la simplicité et sur une progression organique faite d’objectifs vagues à déterminer et d’indices récoltés au gré des discussions. Cependant, les habitants de cette zone rurale n'existent que pour remplir une fonction bien précise, dans le cas présent divulguer une information. La fine plume des premiers épisodes se laisse donc pour le moment désirer. La musique occupe toujours un rôle central en soulignant avec élégance le récit, malgré des coupures parfois abruptes. Les mini-jeux, essentiels pour contenter les fans, signent par contre un retour mitigé si ce n’est décevant. L’idée d’entrecouper le récit de séquences décalées est louable… si seulement ces dernières avaient un réel intérêt ludique.
Promenade champêtre au bord d'une rivière
Un amalgame ludique
Yu Suzuki a pioché dans de nombreux genres et fait des deux premiers Shenmue d’excellents pots-pourris de mécaniques de gameplay et leur suite ne déroge pas à la règle. Le créateur japonais affirme ainsi que Shenmue 3 est constitué à 50% de nouveautés. Si nous retrouvons d’anciennes features, il faut reconnaître à cet épisode sa volonté de renouveler l’expérience de jeu. La question suivante étant… est-ce pour le meilleur ou pour le pire ? Ys Net dote Shenmue 3 d’une dimension RPG qui renforce l’attachement des joueurs au protagoniste. Ryo Hazuki s’entraîne pour améliorer son Kung Fu ou encore son endurance, apprend de nouvelles techniques avec l’aide de parchemins et combat des experts en arts martiaux. La nourriture a aussi son importance. La faim tiraille un héros qui mange régulièrement pour maintenir sa santé à flot. Les relations avec les PNJ (personnages non jouables) impactent quant à elles la progression. Gagner la confiance des habitants est essentielle afin d’obtenir les informations désirées. Shenmue 3 ne révolutionne rien dans le domaine du jeu de rôle et pourrait même faire pâle figure face à la concurrence, mais l’ajout de ces mécaniques, aussi secondaires et perfectibles soient-elles, donnent un certain charme à l’ensemble.
Le renouveau des combats
L’héritier de la famille Hazuki aura fort à faire pour assouvir sa vengeance. Pas moins de quatre boss en incluant Lan Di et de nombreux autres adversaires se dressent sur la route de Ryo. Ys Net abandonne le Virtua Engine et repense intégralement le système de combat de la série afin de le dynamiser sans pour autant le simplifier outre mesure. Shenmue 3 esquive le simple “button bashing” des Beat’em All et ressemble de près à un jeu de combat 3D avec ses combos, ses contres et ses enchaînements. Malheureusement, la caméra récalcitrante et le manque cruel d’intensité lors de ces phases de gameplay ternissent des combats souhaitant à l’origine être une représentation réaliste des arts martiaux chinois. Toutefois, un système de combat automatique a été ajouté et permet de déclencher sans effort des techniques parfaites.
Un combat nocturne
Une réalisation nostalgique
Le village de Bailu, situé en Chine continentale, ne manque pas de charme, mais pêche par son incapacité à insuffler la vie dans un univers poétique pourtant propice au dépaysement. Certe, Shenmue 3 se veut contemplatif et poétique. Cela n’excuse pas pour autant certains parti-pris artistiques et plusieurs errements techniques. Les visuels de ce jeu développé sous l’Unreal Engine 4 soufflent le chaud et froid. Le mélancolique et le coloré côtoient le banal et le générique avec une facilité déconcertante. La rigidité des animations et les expressions faciales sommaires n’arrangent rien et font de Shenmue 3 un jeu accusant plusieurs années de retard en 2019.
Shenmue 3 pourrait bien être le digne héritier de la franchise, un successeur au charme certain, mais ancré dans une vision datée du jeu vidéo. Les fans devraient probablement être séduits par la proposition de Yu Suzuki et Ys Net tandis que les profanes passeront à côté de cette oeuvre atypique et nostalgique.