Hier soir, à la surprise générale, Microsoft et Sony ont annoncé qu’ils avaient signé un partenariat afin de travailler ensemble sur différents projets. Le cœur du chantier : des solutions cloud, en partie destinées au jeu vidéo, mais aussi des projets plus vagues mêlant les expertises de Sony et de Microsoft. S’il n’est bien évidemment pas question de fusionner les divisions Xbox et PlayStation, ce partenariat annonce tout de même quelques changements d’importance dans l’industrie du jeu vidéo.
Quelques discussions nous avaient laissé entendre que cela pourrait arriver un jour, mais nous n’aurions jamais imaginé que l’affaire serait conclue aussi vite. En annonçant hier soir leur partenariat, Microsoft et Sony ont dû faire grincer quelques dents du côté de Mountain View ou de Santa Clara. Il faut dire qu’en paraphant ce nouveau contrat, Microsoft vient de faire une belle affaire, et c’est probablement ce qu’il y a de plus important à retenir dans cette affaire. Mais, comme on le verra, les sujets sont multiples et Sony a trouvé la solution idoine pour tirer son épingle du jeu, un jeu bouleversé par l’arrivée de nouveaux acteurs plus puissants que lui.
Une décision « business » pour Microsoft
Le grand gagnant dans ce partenariat est bien entendu Microsoft, qui réussit ainsi à mettre la main sur un client très, très important pour son activité cloud. C’est depuis quelques années l’activité la plus porteuse chez Microsoft, qui annonçait pour l’année 2018 un chiffre d’affaire de 110 milliards de dollars, dont 23 rien que pour son cloud commercial. Aujourd’hui en compétition avec Amazon et son Amazon Web Services pour le titre de premier vendeur de cloud dans le monde, Microsoft a très largement concentré ses activités vers ce domaine et en récolte les fruits. Si l’on parle très souvent des fameux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), aujourd’hui les analystes préfèrent parler de GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), et pour une bonne raison : Microsoft n’a certes pas révolutionné le monde de la high tech ces quinze dernières années comme ont pu le faire les quatre autres, mais il demeure un acteur majeur et l’une desJe entreprises les plus puissantes de ce secteur.
De fait, on le comprend, Microsoft n’a finalement que peu d’intérêt dans ce que la presse et les gamers aiment appeler la « guerre des consoles ». Si la division Xbox s’est prêtée au jeu à plus d’une reprise, ce n’est pas ici que le gros de l’activité de Microsoft réside ; par conséquent, Sony ne représente en aucun cas un dangereux rival qui menace les activités des troupes de Satya Nadella. Non, les rivaux de Microsoft sont les autres géants du web, à commencer par Google et Amazon, qui eux aussi fournissent du cloud, ou entendent profiter de cette technologie pour prendre l’ascendant économique sur leurs petits camarades. Il s’agit évidemment de proposer à sa clientèle les meilleurs services, les meilleurs performances et ce dans un but très simple : réussir à séduire le plus de clients possibles pour gagner toujours plus d’argent. Et c’est dans ce sens que Microsoft a réussi un joli coup, puisque l’accord de partenariat entre lui et Sony précise bien que le consolier japonais va utiliser Azure pour ses jeux à l’avenir. Voilà qui devrait permettre à Microsoft d’empocher de nouveaux milliards de dollars, et ce sont des dollars que n’auront pas Google, Amazon, ou même Nvidia et Tencent. C’est d’autant plus vrai que le jeu vidéo est particulièrement gourmand en matière de cloud, et se payer un acteur majeur du jeu vidéo comme Sony, c’est évidemment une belle victoire pour Microsoft.
Sony s’arme pour le futur
Pour Sony, ce partenariat est aussi logique et le prépare au mieux pour les années à venir. Le jeu vidéo évolue et l’arrivée de nouveaux acteurs comme Google, Netflix ou même Apple est forcément perçu comme une menace par les constructeurs historique que sont Sony et Nintendo. Deux sociétés qui ne sont pas nécessairement équipées pour aborder le tournant que représente le cloud gaming. Si cette nouvelle technologie ne devrait pas supplanter nos bonnes vieilles consoles dans les années à venir, le paysage pourrait être très différent d’ici dix ans et il n’est pas ridicule de penser que cette génération de consoles de salon pourrait être la dernière, en tout cas dans la forme que l’on connaît aujourd’hui. Il faut donc se tenir prêt et en se rapprochant de Microsoft, Sony obtient par ce biais les clés de l’une des meilleures technologies cloud du marché. C’est donc avec l’aide de Microsoft que Sony pourra répondre présent au moment où l’industrie du jeu vidéo connaîtra ce bouleversement sans précédent. C’est d’ailleurs l’une des forces de Sony : la firme a toujours su prévoir les changements à venir et s’y préparer intelligemment.
D’autant que Sony n’est pas non plus complètement ignare en matière de cloud gaming, bien au contraire. En rachetant Gaikai en 2012, Sony est en quelque sorte un pionnier en la matière et si leur technologie de cloud gaming n’est pas la plus performante du marché, elle a quand même permis à la division PlayStation de se familiariser avec le sujet et de développer de son côté des outils qui leur seront bien utiles. C’est aussi un savoir-faire qui pourra être utile au moment de concevoir, conjointement avec Microsoft, ces nouvelles solutions mêlant cloud et jeu vidéo qui sont au cœur du partenariat entre les deux entreprises.
PlayStation renforcé
Si l’on doute que ce partenariat aura rapidement des applications concrètes pour les gamers, il y a un détail en particulier qui devrait attirer l’attention des joueurs PlayStation : le consolier pourra désormais s’appuyer sur Azure pour ses jeux et services en ligne. C’est une bonne nouvelle pour les propriétaires de PlayStation 4 qui devraient ainsi bénéficier d’une meilleure expérience online, proche sinon similaire à celle offerte aujourd’hui par le Xbox Live. Les possibilités sont nombreuses, mais citons pêle-mêle des téléchargements de jeu plus rapides, une raréfaction des interruptions de service PlayStation Network, et des parties en ligne gagnant tout simplement en confort. Bien entendu, l’état actuel du PlayStation Network est plus que satisfaisant et Sony a fait énormément de progrès depuis le lancement du service, en novembre 2006, mais toute amélioration reste bonne à prendre.
Pour terminer, on suppose que le PlayStation Now devrait tirer partie des avancées de Microsoft en matière de cloud, en s’appuyant non plus sur les technologies de Gaikai, mais celles d’Azure. Cela reste toutefois à confirmer car ni Microsoft ni Sony n'ont apporté de détails sur ces éléments.
Plus qu’un simple achat de technologies
Toutefois, il est important de noter que ce partenariat n’est pas qu’un simple achat de technologie. Si certains ont été tentés de rapprocher cette nouvelle relation de celle liant Samsung à Apple, rivaux dans le secteur des smartphones alors qu’Apple fait construire ses écrans chez Samsung, il y a ici un peu plus que cela. Mais quoi ? Difficile de le dire précisément. Microsoft s’est montré plutôt transparent en annonçant la chose suivante :
Sony et Microsoft travailleront ensemble pour développer de nouvelles solutions cloud, via Microsoft Azure, pour soutenir leurs services de jeu respectifs, et leurs services de streaming de contenus respectifs.
Il est donc ici bien question de travailler à des solutions qui permettront à Microsoft et Sony d’améliorer leurs services, chacun de leur côté, et pas nécessairement de produire quelque chose qui sera utilisé communément, par exemple sur leurs machines respectives. Et donc pas de service de jeu en streaming qui proposerait des jeux Xbox et PlayStation, une idée qui a fait fantasmer de nombreux joueurs hier, lors de l’annonce. Mais que pourrait-il bien ressurgir de cette alliance inattendue ? Difficile de le dire, et il est possible que le fruit de ce travail dépasse de loin le simple cadre du jeu vidéo, et prenne la forme d’une technologie de pointe extrêmement complexe, peu évidente à appréhender pour le grand public.
Un vrai rapprochement… sous conditions
Si Microsoft et Sony ont été partenaires dans de nombreux domaines et ce depuis des années, comme le rappelle Kenichiro Yoshida, le PDG de Sony, ce partenariat a ceci d’exceptionnel qu’il pourrait, à terme, conduire à un début de rapprochement entre les divisions Xbox et PlayStation. Un rapprochement tout relatif, bien entendu. Dans l’immédiat, il paraît illusoire d’imaginer des jeux PlayStation sortir sur une console Xbox. Mais de son côté, Microsoft a manifesté à plusieurs reprises son intention de toucher un maximum de joueurs en allant les chercher là où ils sont, quand bien même ce serait sur des appareils qui ne font pas partie de l’éco-système Microsoft. Nous en parlions en février dernier, lorsque nous vous apprenions que des jeux Xbox allaient sortir sur Nintendo Switch : Microsoft souhaite maximiser le potentiel de sa division jeu vidéo en ne se limitant pas seulement à ses propres consoles. Et pour cela, la meilleure façon de faire, c’est encore de publier les titres Xbox Game Studios sur consoles Xbox, mais aussi sur consoles Nintendo et Sony, sur appareils iOS et Android, et sur PC. Reste à savoir si PlayStation serait prêt à offrir à Microsoft la possibilité de s’enrichir grâce à un accès ouvert à ses consoles. C’est en partie ce qu’ils font en signant ce contrat puisque dans un avenir très proche, les PlayStation du monde entier fonctionneront grâce à Azure. Mais de là à autoriser la publication de jeux Xbox Game Studios sur leurs machines ? Difficile à dire et pour le moment, cela relève surtout du fantasme. En début d’année, lorsque nous travaillions sur l’article Xbox / Nintendo, l’une de nos sources nous avait fait savoir que Microsoft avait également abordé PlayStation pour leur proposer un marché similaire, ce à quoi le fabricant japonais aurait dit non. Ce qui tendrait à démontrer que Sony n’est pas encore prêt à sauter un tel pas.
Dans le petit monde du jeu vidéo, rien n’est impossible ; il ne faut donc jamais dire « jamais ». Mais à ce jour, cela nous paraît assez peu réaliste.
Avec ce partenariat, Microsoft et Sony entament une coopération historique et si dans l’immédiat, cela ne concerne pas directement Xbox et PlayStation, cela pourrait vite être le cas. Si l’on doute qu’une annonce sera faite à ce sujet au moment de l’E3, l’actualité risque d’être très mouvementée et l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché pourrait vite changer la donne. Et obliger Microsoft et Sony à communiquer autrement auprès des gamers.