Sous couvert d'anonymat, une douzaine d'employés et ex-employés d'Epic Games se sont exprimés auprès du site américain Polygon, auteur hier d'une longue enquête. Ils y dénoncent les conditions de travail infernales imposées depuis le succès de Fortnite.
Vous vous en douterez, maintenir au sommet le jeu le plus populaire de la planète a un coût. Ce coût est non seulement financier, mais également humain. Chaque semaine, Fortnite accueille du contenu inédit (objets, modes temporaires, évènements...) ainsi que des correctifs de bugs et autres ajustements d'équilibrage à foison, le tout sur de multiples plateformes en simultané (consoles, smartphones, PC) par le biais de mises à jour publiées à un rythme effréné. En coulisses, ce sont des centaines de développeurs contraints de travailler 70 heures par semaines, parfois 100, pour suivre ce rythme.
J'ai travaillé 12 heures par jour, sept jours par semaine, pendant au moins quatre à cinq mois, en restant au travail jusqu'à trois ou quatre heures du matin. (...) L'entreprise nous donne du temps libre illimité, mais c'est quasiment impossible d'en profiter. Si je le fais, la charge de travail retombe sur quelqu'un d'autre, et personne ne veut être ce gars. Le plus gros problème, c'est que nous déployons des patchs constamment. Les cadres sont concentrés sur le fait de garder Fortnite populaire le plus longtemps possible, surtout avec la nouvelle concurrence qui s’annonce (...) Tout doit être fait immédiatement. Si quelque chose "casse" - disons, une arme - nous ne pouvons pas la désactiver et la corriger avec le prochain patch. Cela doit être corrigé immédiatement, tout en travaillant sur le patch de la prochaine semaine. C'est brutal.
Une source rapporte que plusieurs employés ayant refusé de travailler les week-ends ont été renvoyés dans le cas où une deadline a été manquée à cause de leur absence. Quant aux "contractuels", des personnes généralement engagés pour six à douze mois, on leur fait rapidement comprendre que refuser de suivre ce rythme de travail a pour conséquence que leur contrat ne soit pas renouvelé.
Un type plus âgé disait : "Trouve d’autres corps". C’est comme ça qu’on appelait les contractuels : des corps. Et quand on en aura fini avec eux, on pourra s’en débarrasser. Ils peuvent être remplacés par de nouvelles personnes qui n’ont pas le tempérament pour être mécontents. (...) Un jour, un testeur a demandé à la direction comment elle comptait gérer le problème du crunch (période de développement intensive, NDLR). On lui a dit que les managers planchaient sur la question, mais ce n'était pas vraiment une réponse. Très peu de temps après, le testeur qui avait posé cette question avait quitté l'entreprise
Soudain et inattendu, le succès de Fortnite - d'abord lancé comme un jeu coop avant d'exploser aux yeux des joueurs avec son mode battle royale - a radicalement changé l'environnement de travail chez Epic Games. Basé en Caroline du Nord, le studio a quasiment doublé ses effectifs depuis le lancement de Fortnite et renforce continuellement sa main d'oeuvre, en faisant aussi appel à des studios externes. La charge de travail entre les différentes équipes a également été mieux répartie, mais ces initiatives s'avèrent insuffisantes tant le processus de développement est rapide, et surtout, sans fin.
Le crunch était partout. Même chez les managers. Les seules personnes qui s’en sont tirées sans faire de crunch étaient essentiellement les gars qui disaient aux gens de crunch. (...) Un jour, nous n'étions pas beaucoup et le lendemain c'était "Hey, au fait, voici cinquante nouvelles personnes qui n'ont pas été formées. (...) Le groupe d'employés qui sont affreusement surmenés, ce sont les producteurs. Ils ne font que travailler, travailler, travailler. C'est fou.
Une source indique néanmoins ne jamais avoir eu à travailler plus que de raison, tout en admettant avoir vu certains collègues faire beaucoup d'heures. D'autres employés mettent en avant les côtés positifs de travailler pour Epic Games, dont le salaire, un excellent système de "bonus" et les opportunités pour faire évoluer sa carrière. Il ressort toutefois de l'article de Polygon que la situation actuelle n'est plus tenable :
Ça tue les gens. Quelque chose doit changer. Je ne vois pas comment on peut continuer comme ça encore un an. Au début, c’était très bien, parce que Fortnite a été un grand succès et ça fait du bien. Nous résolvions des problèmes qui étaient nouveaux pour Epic : comment gérer un grand jeu mondial en tant que service en ligne. Mais maintenant, la charge de travail est sans fin. (...) Nous sommes toujours en crunch. Le crunch ne prend jamais fin dans un "jeu service" comme celui-ci.
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