Le jeu vidéo est un cas particulier lorsqu’il s’agit de mettre en avant les personnalités oeuvrant dans l’ombre pour donner vie aux titres qui ont marqué la jeune histoire de ce média. La créature prend souvent le pas sur ses créateurs. Il ne reste pour la postérité que le jeu en question et non l’équipe ayant officié dessus. Pourtant, une poignée d'irréductibles parviennent à rester dans la lumière. Frédérick Raynal fait partie intégrante de ce club fermé. Revenons sur la carrière du père du Survival-Horror.
L’appel du jeu vidéo
Né en 1966 à Brive-la-Gaillarde en Corrèze, le jeune Frédérick Raynal découvre l’électronique par l’intermédiaire de la boutique “Vidéomatique” de son père puis de cours par correspondance à l’Eurelec. Ce dernier se tourne vers l’informatique dès 1980-81 avec ses premiers PC, le MK14, le ZX80 et pour finir le ZX81. Au cours de son adolescence, ce développeur en herbe réalise plusieurs jeux dont Laser, Robix sur EXL 100 ainsi qu’un émulateur Minitel pour Amstrad CPC tout en obtenant dans le même temps un baccalauréat D (Mathématiques et Sciences de la Nature).
La carrière de Frédérick Raynal démarre sur les chapeaux de roue en 1988 avec la sortie de PopCorn. Les graphismes de ce casse-brique distribué gratuitement sur PC lui permettent de se faire rapidement un nom. Et le labyrinthique Alpha Waves réalisé entièrement en 3D sur PC deux ans plus tard lui ouvre les portes des studios. Ce titre en particulier fait germer chez lui l’idée des caméras fixes pour concevoir “quelque chose de joli” en contournant le manque de puissance des machines. Fort de ces succès, le développeur rejoint les rangs d’Infogrames après une rencontre avec le PDG de l’époque Bruno Bonnel.
Une nouvelle étape dans la peur
De cette collaboration naît en 1992 Alone in the Dark, un jeu de survie horrifique inspiré des nouvelles de H.P. Lovecraft prenant place dans un vieux manoir situé en Louisiane. Ce titre dessine les contours du Survival-Horror et établit des codes du genre, des codes toujours en vigueur près de trois décennies plus tard. Le jeu de F. Raynal et de son équipe qui compte 7 personnes dans ses rangs se distingue par ses graphismes et surtout le procédé utilisé pour les obtenir. Alone in the Dark est le premier jeu vidéo à utiliser des personnages animés en 3D au sein de décors précalculés. Révolutionnaire en son temps, Alone in the Dark fait connaître l’auteur français auprès du grand public et inspire les plus grands.
Si Capcom nie l’influence du jeu d’Infogrames sur la saga Resident Evil, Shinji Mikami, reconnaît l’importance du titre et son impact sur la création du premier épisode suite à son départ en octobre 2014. Selon lui, Resident Evil premier du nom aurait été un banal FPS horrifique si le créatif japonais n’avait pas joué à Alone in the Dark et était tombé sous son charme. Cette déclaration bien des années après confirme l’importance de l’oeuvre d’un Frédérick Raynal touché par cette reconnaissance. R.E est officiellement l'enfant nippon d'Alone on the Dark. L’un des premiers Survival-Horror de l’Histoire, inspiré de Just Get Out ainsi que des films d’horreur 70’s, titille nos phobies les plus profondes, au-delà des limitations techniques imposées, et joue avec notre imagination ainsi que l’imprévisibilité pour faire naître la peur.
La petite grande aventure
Plusieurs désaccords entre Infogrames et Frédérick Raynal forcent le créatif à quitter l’éditeur et à fonder en février 1993 Adeline Software. En moins de deux ans, Little Big Adventure voit le jour. Et ce premier jeu rencontre un succès rare avec 350.000 exemplaires vendus ce qui incite le studio à mettre en chantier un second épisode, non sans s’accorder une pause avec Time Commando. Le destin frappe à la porte du studio l’année de sortie de Little Big Adventure 2. Sega à la recherche d’équipes de talents pour travailler sur la Dreamcast, rachète Adeline Software qui devient No Cliche en juillet 1997.
Sega, c’est plus fort que toi
1999 marque un tournant. La rencontre entre Frédérick Raynal et Kazutoshi Miyake dans les locaux de Sega Europe détermine l’avenir du studio et définit la collaboration entre ce dernier et l’éditeur japonais qui commande deux jeux pour la sortie de sa nouvelle console. No Cliche s’attèle à la tâche et sort successivement Toy Commander et Toy Racer (supposé vendre la connectivité de la Dreamcast) respectivement en septembre 1999 et décembre 2000. La structure française rempile dans la foulée sur un nouveau projet revenant aux premiers émois de son directeur… le Survival-Horror.
Frédérick Raynal compte bien bouleverser une seconde fois l’horreur vidéoludique en créant le jeu vidéo le plus horrible jamais conçu. Avec son monde ouvert étouffant, ses 3 histoires vécues en parallèles, sa notion de choix et d’alignement Bien vs Mal et son Némésis… Agartha est un titre ambitieux qui ne verra finalement jamais le jour. L’annonce de fin de production de la Dreamcast et l’arrêt de sa commercialisation met un coup fatal au projet du studio No Cliche qui ferme ses portes dans la foulée en 2001. Il ne reste de cette vision qu’une démo présentée à l’E3 2000.
Les années 2000’s
Il faut seize longues années et la remise de l’insigne de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres pour revoir Frédérick Raynal sur le devant de la scène avec un jeu de survie horrifique. Gloomywood, studio créé pour l’occasion, s’attaque à la réalisation de 2Dark suite au succès de sa campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule. Montrée officiellement lors de la gamescom 2017, cette enquête glauque tout en voxels (pixels en 3 dimensions) sur fond d’enlèvements d’enfants reçoit un accueil mitigé de la par de la presse et du public malgré un gameplay nostalgique et une direction artistique singulière.
En septembre 2018, le contentieux opposant Atari (Infogrames) et Frédérick Raynal au sujet de la licence Alone in the Dark prend fin après plusieurs années. L’auteur renonce alors à faire valoir ses droits sur la franchise en échange d’une compensation financière. Ironiquement, l’entreprise française cède ces mêmes droits à THQ Nordic dans la foulée. Mais dans quel but ? Développer un remake ou un nouvel épisode ? Aucune communication n’a été faite à ce sujet. Voir F. Raynal reprendre du service sur cette saga dans les années à venir rallumerait la flamme des fans, mais rien n'a été confirmé ou refuté à l'heure actuelle.
L’amour qui existe entre Frédérick Raynal et le jeu vidéo est une Histoire Sans Fin. Père du Survival-Horror et précurseur technique dans les années 1990’s, cet auteur “made in” France poursuit sa carrière vidéoludique au gré des projets et des envies. Nous rêvons ouvertement d’un retour en fanfare de la saga Alone in the Dark. Et seul l’avenir nous donnera raison… ou tort.