Comme leur nom l'indique, les Anonymous sont anonymes. Il serait bien flagorneur de la part de l'un d'entre eux de se rendre sur un plateau, sachant que les grandes oreilles du SIG (Service d'Information du Gouvernement) ont déjà, à l'heure où j'écris, transmis les enregistrements de toutes les émissions qui ont fait appel à une invitation aux ministères concernés et que si d'aventure quelqu'un se présentait avec le masque de Guy Fawkes dans un local, lui et tous ses amis cesseraient dans la minute d'être anonymes.
Toutefois, je ne résiste pas à faire état de quelques subtilités qui sembles échapper.
Les Anonymous ne sont pas des hacker. Il sont, diront nous plutôt, des hacktivistes. C'est un mouvement libertaire honnissant les tentations liberticides des états modernes. Il n'y a pas un chef des Anonymous comme il y a un chef de Paris Première, mais des groupes, des équipes, aux sensibilités différentes partageant un grand nombre de points de convergence sur l aphilosophie de ce nouveau monde qu'est le net.
Il n'y a donc rien d'étonnant de les voir se mobiliser contre la fermeture de MegaUpload.
Bien entendu, il est possible de voir les choses comme certains semblent les percevoir, quelques fanatiques incultes, pour lesquels Balzac n'a aucun sens s'il n'est suivi de 0001, et qui finiront par voir leur mode passer et leur nombre diminuer comme peau de chagrin, se mobilisant pour défendre un horrible profiteur au service de tous ces sauvageons qui pillent les œuvres culturelles sans vergogne.
Mais il est possible de voir les choses autrement.
La culture marchande (mais non marchandée, là est tout le problème), s'est retrouvée enfermée et détournée de son sens profond qui lui venait de l'art. S'il avait été nécessaire de payer 10€ pour voir une peinture de Van Gogh, quel que soit le support sur lequel elle était présentée, Van Gogh aurait sans doute été plus riche, ou alors, inconnu. Lorsque la technologie a rendu possible le fait de copier et diffuser la musique sur des supports variant dans le temps, elle a modifié l'équilibre. Elle a démocratisé cet art. Mais l'occasion fait le larron, elle a créé l'édition musicale, comme Gutenberg avait créé l'édition littéraire. Nul n'a crié au scandale, car alors, le fait de disposer de la capacité technologique à diffuser l'art se monnayait, certes de façon éhontée, mais il n'y avait pas d'autre choix.
Au passage, tout un monde d'intermédiaire et marchands du temple (faubourg du temple, pour être précis, mais je ne fais pas de publicité) s'est créé pour se gaver comme dans les orgies de Caligula.
Personne n'a trouvé à y redire. Mais la technologie a repris ce qu'elle a donné. Désormais, l'art peut se reproduire sans le concours de tout ce monde là.
Franchement, je ne pleurerai pas la chute de l'édition musicale, et même vidéo. Je n'y crois d'ailleurs pas, comme je ne crois pas que le Kindle Surprise provoquera la chute du livre. Les équilibres vont changer, c'est immuable, les profits seront moindres, les méthodes et organisations suivront. Certes, on pourra argumenter, parler de lois, d'ayants droits, d'art que l'on assassine.
On ne juge pas les vainqueurs, disait Catherine II bien placée pour en parler.
Et on ne peut triompher du progrès, de l'évolution, du temps. Il n'est pas possible de gagner de l'argent de façon étourdissante (cf capitalisation boursière d'Apple, de Google ou de Facebook) tout en empêchant les gens d'utiliser ces outils à ce qu'ils font de mieux, cela revient à vendre des fusils en interdisant d'en faire usage. Je sais que cette schizophrénie a toujours été l'apanage des Etats.
Et puis vous parlez de voleurs ! Qui est voleur, qui est gendarme, sur Internet. Quelle est la loi d'Internet ? Où est la justice d'Internet ? Que signifie la justice ? Existe-t-il plus subjectif comme notion ? La justice des uns n'est pas celle des autres dans un débat comme celui-ci. Qui est le voleur ?
L'Usurier, ou le pauvre bougre qui lui dérobe un sou ? Durant toutes les années où les jeunes, principaux acteurs de ce mélodrame, n'ont pu accéder à leurs loisirs favoris en raison de la voracité de quelques uns, y a-t-il eu beaucoup de voix pour s'élever contre cette injustice ?
La loi ne vaut que si elle est appliquée, ou applicable. En l'occurrence, lorsque des millions d'Internautes téléchargent et que les moyens pour les en empêcher sont totalement dérisoires, elle n'a plus de sens.
Alors, les ayant droits ? C'est un modèle à réinventer, un modèle qui donnera aux artistes un peu plus que les malheureux 10% qu'ils perçoivent aujourd'hui, un modèle basé sur le lien direct entre l'artiste et le client, avec de la créativité, de l'originalité. Il y aura toujours des gens pour acheter un disque si celui-ci contient un peu plus de l'artiste qu'un simple cercle de plastique. Et puis c'est vrai, l'artiste a souvent été miséreux, l'ère de l'artiste riche ne date que du siècle dernier. Combien d'argent Mozart a-t-il rapporté aux maisons de disques et aux distributeurs des champs Elysées ou d'ailleurs ? Combien cela lui a rapporté ? Quelqu'un voit-il une logique à cela ?
Cela se justifiait quand nous ne pouvions faire autrement, ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Et puis, la musique se porte bien comme l'indique le classement des meilleures ventes de disque. Le cinéma ne bat-il pas des records ? L'art existait avant le disque, et s'il advenait que le disque disparaisse, l'art survivrait.
Cette guerre est perdue d'avance, personne ne regrettera l'édition à l'ancienne, comme personne ne vers de larme aujourd'hui dur l'affolant taux de chômage chez les maréchaux ferrant.
Reste le cas MegaUpload.
Si vous vous y connaissiez un minimum, vous sauriez que sur requête justifiée des ayants droits, les fichiers pirates étaient supprimés par MegaUpload. Ce site offrait un service d'hébergement pour des données informatiques, quelles qu'elles soient. On pourrait faire preuve de mauvaise foi et dire que des utilisateurs s'en servaient légalement pour leurs propres données, c'est vrai. Mais il n'empêche que la loi, c'est la loi, elle doit respecter les libertés fondamentales qui sont inscrites dans la constitution, et non des impératifs financiers qui n'y figurent pas. Coordonner (aux frais des contribuables) une action judiciaire internationale contre MegaUpload, et en accusant ce service d'activité de piratage, c'est choisir un bouc émissaire parce que l'on ne peut s'attaquer à la foule qui est la seule coupable.
Aussi, comprenez donc pas les Anonymous, leurs motivations, leur idéal, peut-être n'êtes vous pas emportés par ce souffle nouveau qui court sur la planète et qui fait tomber les tyrans, valser les bourses et trembler les impresario qui auront, de plus en plus, de mal à justifier leurs honoraires.
Voilà ma réponse.
Pourtant, cette semaine, dans toutes les cours d'école (et vous savez tous combien elles sont le terreau des idéaux futurs), on ne parlait que de MegaUpload, de hackers, de SOPA et de PIPA, de Sabra et Chatila de l'internet libre. Cela mérite peut-être de s'intéresser de près à la question.
Net is a free Nation.