Voilà maintenant quelques mois que les Steam Machines ont fait leur apparition sur le marché, accompagnées de leur système d’exploitation maison, SteamOS, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ni les unes, ni l’autre n’auront réussi à imprimer leur marque dans l’univers vidéoludique PC.
Ainsi, qu’elles sont loin, les ambitions affichées par Valve lorsqu’il a dévoilé ses projets de conquête de nos salons, en septembre 2013... A cette époque, l’éditeur voulait réinventer le jeu PC, afin qu’il puisse sortir de ses carcans historiques, et qu’il se découvre enfin une légitimité à trôner au pied de nos télévisions, au même titre que les consoles de Sony ou Microsoft. Pour atteindre cet objectif, Valve comptait sur une stratégie bien huilée, reposant sur trois axes principaux : un contrôleur adapté, qui saurait satisfaire aussi bien les utilisateurs de pads classiques que les adeptes du combo clavier - souris. De nouveaux modèles de PC qui s’appuieraient sur le savoir-faire de constructeurs reconnus, et qui sauraient allier esthétisme et puissance. Et bien sûr, un nouveau système d’exploitation, SteamOS, basé sur la distribution Linux Debian, et censé proposer toutes les fonctionnalités afin de transformer nos PC de bureau en parfaites machines de salon. Evidemment, dès l’officialisation du projet, de nombreuses questions se sont posées, autant sur sa faisabilité globale, que sur la capacité de Valve à véritablement promouvoir un environnement Linux / OpenGL qui partait de loin, par rapport au couple Windows / Direct3D. En même temps, on parlait de Valve, cette société qui avait su imposer le jeu dématérialisé comme la nouvelle norme. A partir de là, tout semblait possible…
Oui, tout semblait possible, sauf que voilà… Passés les effets d'annonces, le calendrier du projet Steam Machine a vite adopté une allure relativiste : le développement de SteamOS n’a pas progressé aussi rapidement qu’escompté, et les premières versions de ce qui deviendra par la suite le Steam Controller n’ont pas transporté d’extase les spécialistes. Quant au catalogue de jeux compatibles, quoi que grandissant d’un point de vue comptable, il semblait toujours avoir du mal à rassembler de gros développeurs, ceux dont les titres seraient susceptibles d’attirer ce fameux grand public tant convoité.
La suite, vous la connaissez : les Steam Machine sont arrivées sur le marché avec une bonne année de retard, en novembre 2015, et dans un contexte quasi-confidentiel. L’événement resta ainsi assez peu soutenu par son géniteur, qui se contenta pour toute promotion de faire baisser les prix de quelques jeux Linux sur son portail, et qui n’annonça par ailleurs aucune exclusivité forte qui aurait pu faire rêver les joueurs (qui a dit Half-Life 3 ?). On notait également que plusieurs modèles de Steam Machine pourtant annoncées précédemment n'étaient même pas disponibles le jour J. Preuve, pour beaucoup, que les partenaires de Valve restaient a minima prudents sur le potentiel de succès de l’opération.
Toutefois, ce ne sont pas seulement ces arguments de forme qui ont eu raison des Steam Machine, mais bien des problèmes de fond, qui demeuraient nombreux au jour du lancement. Les doutes quant à la qualité et au parti pris de complexité du Steam Controller se sont ainsi confirmés, de même que le catalogue de titres proposés restait peu convaincant pour des joueurs habitués soit à l’opulence de l’offre Windows, ou aux exclusivités gourmandes croquantes des consoles classiques. Quant à SteamOS, il fut sans aucun doute la plus grosse déception : plantage dans certains menus, compatibilité avec la manette Steam partielle, au moins par défaut, ce qui obligeait l'utilisateur à charger les configurations partagées par la communauté, ou à se rabattre sur un pad Xbox. Le support des fonctions multimédia était lui aussi pour le moins incomplet : outre une gestion des contenus musicaux spartiate, il fallait louvoyer pour visualiser des vidéos, se connecter à Netflix, ou visionner une séquence sur YouTube. Enfin, de nombreux spécialistes n’ont pas tardé à pointer du doigt d’importants problèmes de performances, lorsqu’un jeu sous SteamOS était comparé à son équivalent sous Windows.
SteamOS : un échec en trompe-l’œil ?
Au final, les Steam Machine avaient tout du compromis bancal, offrant des fonctionnalités limitées pour une tarification élevée, voire très élevée, et sans commune mesure avec ce que l’on trouve du côté des consoles traditionnelles (et ce, même si sur le long terme, le prix attractif des jeux PC viendra légèrement rééquilibrer les choses). Certes, ces PC de salon présentaient au moins les avantages d’une architecture matérielle et logicielle ouverte. Une ouverture qui devait permettre une grande modularité des Steam Machines à l'avenir (rétrogaming, utilisation de Wine, multimédia…). Mais ces arguments, encore une fois, avaient peu de chances de séduire le joueur console voulant simplement profiter de jeux PC dans un salon, sans mettre les mains dans le cambouis.
L’échec de Valve fut donc criant, et par extension, l’éditeur entrainait dans sa chute un environnement Linux, qui, sans ce puissant moteur, allait logiquement perdre tout espoir de représenter un jour une alternative à Windows sur le front du jeu vidéo, que ce soit à court, moyen ou long terme. Fin de l’histoire ? Pas exactement… Car cette vision des choses, quoique non dénuée de sens, est en vérité loin de faire l’unanimité, notamment chez les habitués de la plateforme libre, qui bondissent à chaque fois qu’on la leur brandit. Et si ces derniers ne nient pas les nombreux ratés qui ont émaillé le lancement des Steam Machine, ils restent dubitatifs sur la sombre lumière que ce malheureux épisode aura projetée sur leur univers. Une image biaisée, puisque selon eux, et contre toute attente, les deux ou trois années écoulées ont été les meilleures de toutes sur le front du jeu vidéo. Alors, le jeu sous Linux est-il réellement dans un cercueil que SteamOS aura fini de clouer ? Ou au contraire ne s’est-il jamais mieux porté ? En vérité, tout semble avant tout une question de perspective.
Pour des joueurs nourris des années durant au confort et aux automatismes d’un environnement Windows qui n’a, il faut le dire, pas cessé de s’améliorer, même si quelques ratés sont à déplorer çà et là, difficile de voir en Linux un environnement de jeu propice : catalogue de titres qui demeure limité en natif, aucun pilote officiel disponible pour une majorité de périphériques gaming (il existe des alternatives non officielles, pour les périphériques Corsair, par exemple, mais ça reste rare), performances en retrait… Vu de cette fenêtre, l’échec d’un puissant acteur comme Valve pourrait effectivement être perçu comme un coup très dur à la promotion de l’OS et à son développement dans un cadre vidéoludique. Pourtant, si l’on s’attache au point de vue opposé, celui des linuxiens, force est de reconnaître que les choses paraissent nettement moins tragiques, SteamOS tenant plus de l’épiphénomène au milieu d’un univers en forte expansion. C’est d’ailleurs sur ce point de vue que nous allons nous attarder dans la suite de ce dossier, point de vue qui, il est vrai, n’a sans doute pas toujours eu l’écho qu’il méritait.