Sorti en 1994 en Europe, Secret of Mana est aujourd'hui adulé comme une véritable pépite du jeu vidéo, un A-RPG qui aura su mettre le pied à l'étrier d'un bon nombre de joueurs à l'univers de Squaresoft, et au JRPG par la suite. Mais si cette perle fut accueillie par des critiques dithyrambiques dès sa sortie, peut-on avoir le même oeil sur le jeu aujourd'hui ? Voici le propos du premier épisode de ce qui deviendra sans doute une série : "A-t-il bien vieilli ?
Quand l'artistique prend les commandes
Je ne vais pas vous le cacher, Secret of Mana est un de mes jeux préférés de tous les temps. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de parler de ce petit joyau sur jeuxvideo.com, quand le temps me le permettait. En fait, j'avais même réalisé le test de Secret of Mana alors que j'étais lecteur du site, à une époque où je ne pensais vraiment pas faire ce métier. Et si aujourd'hui, Secret of Mana ne parle peut-être pas à tout le monde, il faut savoir qu'à sa sortie, il était un des blockbusters les plus attendus. Comme beaucoup, j'ai scruté pendant des heures les quelques images du jeu dans les magazines (Nintendo Player pour ma part), à la recherche de la moindre information disponible dans chaque pixel. Il faut dire que le titre de Squaresoft avait tout pour plaire sur le papier : Un univers détaillé, des magies grandioses, des boss gigantesques et même la possibilité de jouer à trois. Le jeu n'a pas déçu et s'est depuis fixé une réputation d'icône du genre pour de nombreux joueurs.
Gaming-Live de Secret of Mana (1/2) réalisé en 2009
Toutefois, tentons de voir ce qu'il vaut si on met de côté la bonne vieille nostalgie. Tout d'abord, commençons par l'aspect visuel et sonore. Comme souvent, les jeux qui s'en sortent bien dans ce domaine aujourd'hui sont ceux qui offraient, à leur époque, un spectacle artistique plutôt que technique. Excellente nouvelle pour Secret of Mana qui réussit encore à être un vrai plaisir pour les yeux de nos jours grâce à une culture du détail minutieux et à un vrai travail sur la diversité. Même dans les productions actuelles qui utilisent des sprites (souvent indépendantes), il est difficile de trouver des titres aussi réussis, tant dans l'animation des personnages que dans les décors. Les différents villages, Kakkara, Polaria ou encore le Haut-Pays et sa forêt des quatre saisons, tant de zones différentes qui nous donnent une véritable impression de voyage.
D'un point de vue sonore, c'est encore plus impressionnant. Le travail de Hiroki Kikuta n'a pas vieilli d'un poil : entre mélodies mélancoliques et furieux riffs, la diversité des sonorités créées par le compositeur nippon pourrait faire pâlir quelques productions actuelles. Certes, techniquement, on est loin de ce que peuvent offrir des pistes CD, mais la puce sonore de la Super Nintendo faisait quelques miracles et on peut dire que l'ensemble est très loin d'être dissonnant aujourd'hui. En voici la preuve avec l'intro de Secret of Mana, qui file encore des frissions :
Secret of Mana : Angel's Fear
Liévro se fait rosser !
En termes de scénario, toutefois, il ne fallait pas être très exigeant. Comme beaucoup de jeux de l'époque, le pitch et la structure générale de Secret of Mana sont manichéens au possible et il ne faut pas s'attendre à des doubles lectures. Mais ce qui a le moins bien vieilli à ce niveau, ce sont les traductions. Bien qu'à l'époque, on avait l'habitude de se contenter de peu (surtout le peu de fois où on avait droit à des traductions françaises), le travail effectué sur Secret of Mana est parfois terrifiant. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'à l'origine, les dialogues étaient bien moins gnan-gnan que dans la version française. Malheureusement, la localisation était un travail bien moins structuré en 1994 qu'il ne l'est aujourd'hui. En l'occurrence, non seulement la traductrice Véronique Chantel n'avait que trois semaines pour tout traduire, mais elle devait se baser sur la version américaine (traduite par Ted Woolsey), elle-même réalisée en 30 jours et déjà censurée par Nintendo of America. De plus, il était impossible d'agrandir les bulles de dialogue alors que les textes occidentaux (et surtout français), prennent beaucoup plus de places que les textes en japonais, ce qui obligea Madame Chantel à trancher dans les dialogues pour que tout rentre dans les cases. Du coup, si vous aviez parfois l'impression de ne rien comprendre, vous savez maintenant pourquoi.
Autre point aujourd'hui risible, la traductrice Véronique Chantel n'avait malheureusement aucune connaissance de l'Heroic Fantasy en règle générale, et ce ne sont pas quelques discussions avec les développeurs dans un temps très court qui allait l'aider à comprendre tout le jargon... Voilà comment on se retrouve avec des "Liévro se fait rosser !" quand on fait un coup critique par exemple. Bien évidemment, en 1994, les circonstances étaient autres et la pauvre Véronique Chantel a fait ce qu'elle a pu dans des conditions loin d'être optimales. Bref, c'était une autre époque.
Tourne, tourne la roue !
Le coeur du jeu, le gameplay, faisait sans aucun doute partie des points forts de Secret of Mana a sa sortie. En point de mire, le Ring System, cette roue qui se déclenche en pause active pour choisir nos pouvoirs, utiliser des objets ou changer d'arme en plein combat. Bien qu'incroyablement pratique et ergonomique pour l'époque, il n'est pourtant pas exempt de défauts en y regardant de plus près. Il suffit de regarder quelqu'un jouer à Secret of Mana aujourd'hui pour se rendre compte qu'on ne pourrait plus accepter un A-RPG où l'action est arrêtée de façon aussi intempestive et régulière. Il est vrai que depuis, les jeux du genre proposent ce genre de features en raccourci, directement sur les gâchettes, afin de ne pas couper l'action. Un phénomène grandement aidé par l'augmentation du nombre de boutons sur les manettes, surtout à partir de 2001. Mais pour Secret of Mana, il en résulte un jeu à la cadence bizarroïde et des combats de boss qui perdent leur côté épique malgré une très bonne présence à l'écran et une musique parfaitement adaptée.
Mais outre la cadence du jeu, certains éléments de gameplay avaient une incidence sur les combats eux-même. De nos jours, on trouverait inconcevable de faire un jeu où des ennemis peuvent nous enchaîner sans avoir moyen de se défendre. C'est pourtant le cas de Secret of Mana. Si un ennemi vous touche alors que vous êtes encore au sol, vous prenez les coups sans pouvoir les contrer et tombez à nouveau. Frustrant ? Oui. Mais quitte à rester dans le déséquilibre, sachez qu'il est possible de faire quelque chose de quasiment identitique, et ceci même contre les boss du jeu. En effet, à chaque fois que vous envoyez une magie sur un boss, vous disposez de quelques frames pendant lesquelles vous pouvez renvoyer une magie alors même que l'animation de dégâts n'était pas terminée, formant ainsi une boucle pendant laquelle les adversaires ne pouvaient pas réagir. Et voilà comment finir le jeu les doigts dans le nez. C'était simple comme bonjour et il n'y avait pas besoin d'être un speedrunner ou d'avoir Internet pour s'en rendre compte...
Gaming-Live de Secret of Mana (2/2) réalisé en 2009
Ménage à trois
Toutefois, Secret of Mana offrait quelque chose qu'il est encore très rare de voir aujourd'hui dans un jeu du genre : la possibilité de jouer à trois. Bien que cette feature était très certainement inspirée par Gauntlet (sorti en arcade en 1985), elle restait peu commune à l'époque et rares sont les jeux de ce type, même aujourd'hui, à proposer une option de cet acabit. D'autant plus qu'il était possible de le faire en pleine partie, puisque les trois personnages étaient toujours présents à l'écran. C'est d'ailleurs l'occasion de parler de l'intelligence artificielle, pour le moins chaotique, même à l'époque. Les choix de vos alliés étaient peu opportuns et le path finding faisait froid dans le dos...
Au final, On peut clairement diviser deux aspects pour Secret of Mana. D'un point de vue artistique, le titre de Squaresoft est encore aujourd'hui un exemple de tout ce qu'on peut faire avec des sprites, des pixels, de l'imagination et du talent. Beaucoup de jeux 2D prétendument "à l'ancienne" pourraient prendre exemple sur le travail effectué dans Secret of Mana plutôt que de proposer des designs "épurés", parfois plus synonymes de manque de moyens ou de talent que de véritable patte visuelle. La bande-originale reste, quant à elle, une des meilleures oeuvres réalisées à ce jour dans le domaine. Toutefois, d'autres éléments font office de tâches d'ombre sur ce beau tableau en 2016, notamment par manque d'avancée technologique. Il n'en reste que Secret of Mana a plutôt bien passé l'épreuve du temps et mérite toujours d'être découvert aujourd'hui.