Alors qu'il vient de quitter Valve, le scénariste principal de la série Half-Life a accepté de répondre à quelques-unes de nos questions. Cela aura été l'occasion d'en apprendre un peu plus sur l'ambiance de travail, mais aussi sur les embûches qu'aura rencontré l'équipe. Son avis concernant la première version du jeu censée sortir en 1997 se révèle assez ahurissant, tout comme la vision du projet Prospero dont il nous parle en fin d'interview.
Jeuxvideo.com : Quelles étaient vos premières impressions concernant Half-Life quand vous avez commencé chez Valve en 1997 ?
Marc Laidlaw : Bien sûr, Half-Life ne s'appelait pas encore comme ça lorsque je l'ai vu pour la première fois. Cela ressemblait à une poignée de démo techniques et quelques pièges amusants que les développeurs avaient concoctés. Je me souviens même qu'il y avait une pièce avec un énorme haut-parleur qui explosait lorsque les scientifiques passaient à côté. La lumière colorée, la transparence, les scènes scriptées rudimentaires (comme celle avec le "Panthereye" qui attaque le scientifique) - tout cela était très enthousiasmant. Mais je me rappelle que l'ensemble ne représentait pas une expérience très cohérente. Il y avait juste une sensation générale d'ambition et d'enthousiasme.
Jeuxvideo.com : Comment imagineriez-vous Valve aujourd'hui si Half-Life avait été publié dans sa forme originale en novembre 1997 ?
Marc Laidlaw : On nous aurait très vite oubliés.
Jeuxvideo.com : En dehors de The Mist, Doom et Quake, quelles ont été les influences ?
Marc Laidlaw : Les films et le style cinématographique nous ont influencés. Gabe (Newell) voulait réaliser une coupure et montrer les choses du point de vue d'un monstre sur le point de sortir d'une bouche d'aération... Il imaginait quelque chose de très cinématographique. Nous avons pensé jusqu'à très tard dans le développement qu'il y aurait une vue à la troisième personne durant les cinématiques. En fin de compte, quand nous avons réalisé que nous pouvions faire le jeu entier sans utiliser de tels changements de caméras, le style narratif s'est finalement imposé de lui-même.
Jeuxvideo.com : Beaucoup de bonnes idées ont été abandonnées durant le développement de Half-Life, laquelle regrettez-vous le plus ?
Marc Laidlaw : Il y a eu énormément d'idées qui ont vécu pour certaines quelques jours et pour d'autres quelques mois. Je pense que ma préférée est celle que j'ai mentionnée dans ma réponse précédente.
Jeuxvideo.com : Pensez-vous que Half-Life ait influencé la narration dans les jeux d'action ?
Marc Laidlaw : Je ne me rends pas trop compte de son influence, je suis trop proche du jeu. J'aimerais toutefois souligner que Half-Life n'a quasiment aucune écriture. Il y a très peu de dialogues ou de textes. C'est l'une des choses desquelles je suis le plus fier. Il y a une véritable narration sans utilisation de dialogues ou d'écriture - une sorte de narration qui colle bien mieux au style du jeu. Bien sûr, j'ai dû écrire beaucoup plus pour Half-Life 2, mais il y avait un revers à cette médaille. Etant donné que nous incorporions plus de dialogues, nous en sommes devenus dépendants. Je déteste qu'il y ait un moment dans un jeu où un personnage se transforme en PNJ générique, seulement là pour expliquer des choses qui auraient dû être designées pour ne pas avoir à être expliquées. Nous avions un peu plus ce problème dans HL2. J'essaye de faire en sorte que les personnages soient de véritables personnages et non pas de simples substituts pour des tutoriaux... même si je n'ai pas toujours réussi.
Jeuxvideo.com : Pour le premier Half-Life, vous avez dit que votre objectif était de faire peur comme Doom le faisant en son temps. Avec la suite, vous avez pris un peu de distance avec l'horreur (en oubliant Ravenholm), était-ce une volonté ?
Marc Laidlaw : Nous n'avons jamais voulu nous éloigner de l'horreur, mais la peur permanente a quelque chose de monotone. C'était naturel que de varier un peu le ton. Une fois que vous ajoutez plus de personnages avec des motivations variées et que vous vous éloignez de l'expérience du joueur isolé à la première personne, vous ne pouvez pas avoir peur en permanence. Nous nous sommes concentrés sur la création d'un univers science-fiction riche pour HL2, alors que dans Half-Life 1 nous aimions nous concentrer sur un seul environnement. Nous avons pensé Black Mesa comme une grande maison des horreurs.
Pour comprendre les deux dernières questions, il faut que connaître un peu Prospero. Il s'agit du tout premier projet de Valve, qui a été lancé avant Half-Life. Prenant la forme d'un jeu d'aventure / action à la troisième personne, celui-ci avait pour particularité de relier les joueurs entre eux par l'intermédiaire d'un grand hub central nommé "La librairie". Votre personnage pouvait ainsi s'y balader et accéder aux univers créés par les autres joueurs, à la manière d'un Little Big Planet par exemple.
Finalement Prospero a servi à quasiment tous les projets de Valve et notamment Steam qui en découle directement avec son Workshop et sa dimension connectée. Nous pouvons également penser à Portal pour le hub du mode multijoueur ou encore Half-Life qui a beaucoup tiré de ce projet et notamment le signe Lambda ! Bref, ce jeu est une sorte de repère pour la firme de Newell qui a récemment laissé paraître quelques images des premiers prototypes. Il a finalement été annulé dans le courant de l'année '98 sans que l'on n'ait jamais vraiment su pourquoi, après avoir été mentionné pour la dernière fois dans une interview datant du 15 janvier 1998.
Marc Laidlaw, qui a été embauché pour travailler sur Prospero à l'origine, nous révèle aujourd'hui pourquoi Prospero a été abandonné !
Jeuxvideo.com : Le développement de Prospero a été stoppé en 1998, était-ce à cause d'Half-Life 2 ?
Marc Laidlaw : Il a été stoppé car quelques-uns d'entre nous sont allés à des salons et ont vu des choses qui ressemblaient à Prospero et nous avons sentis que nous ne faisions rien qui pouvait nous faire sortir de la masse. Le projet partait dans tous le sens, se cherchait une identité et nous n'étions pas vraiment confiants. Il était donc naturel de nous concentrer sur Half-Life. Prospero était mort et enterré bien avant que le développement de Half-Life 2 soit lancé.
Jeuxvideo.com : Prospero aurait-il dû proposer une aventure solo ? Pouvez-vous nous parler du scénario ?
Marc Laidlaw : Il naviguait entre jeu solo et MMO, ce qui n'est pas quelque chose que nous aurions pû sortir à l'époque. Il y avait toute sorte de scénarii possibles, mais nous ne sommes jamais allés assez loin pour décider lequel fonctionnerait le mieux avec ce que nous étions en train de développer.
Le Fond de l'Affaire : Half-Life 1