Voilà plusieurs années que vous pouvez régulièrement revêtir vos plus beaux habits de dictateur à la tête d’un petit paradis tropical grâce à la licence Tropico. Néanmoins, dernièrement, on pouvait légitimement reprocher à la série d’un peu trop abuser de la photocopieuse d’un épisode sur l’autre, essentiellement lors du passage de Tropico 3 à Tropico 4. La cinquième édition du jeu de gestion propose sur le papier de rectifier le tir en introduisant plusieurs nouveautés censées dépoussiérer le concept toujours aussi jouissif d’incarner un chef suprême chargé de guider ses ouailles vers la prospérité. Est-ce le cas dans les faits ?
Alors que la tradition tropiquéenne voulait que l'action se place en plein cœur de la guerre froide, Tropico 5 a choisi de s'affranchir de ce carcan temporel en privilégiant cette fois une évolution à travers les époques, en commençant dès l'ère coloniale. Il vous appartiendra donc de proclamer votre indépendance vis-à-vis de la Couronne pour accéder enfin aux temps modernes, avec tous les enjeux et époques que cette progression implique.
El Presidente est éternel
Après avoir paramétré la difficulté politique et économique de votre partie ainsi que la fréquence des intempéries susceptibles de survenir sur votre île, vous avez le choix entre deux localités distinctes, l'une verdoyante, l'autre rocailleuse, avec pour objectif sur chacune d'elles de gagner votre indépendance. C'est là l'ajout majeur et le principal intérêt de Tropico 5 : la possibilité d'évoluer à travers les âges. Pour cela, il faudra tout faire pour flatter les indépendantistes tout en prenant garde à ne pas trop froisser les royalistes. Etant gouverneur pour le compte de la Couronne, celle-ci vous octroiera en début de partie un mandat limité qui pourra être repoussé de quelques mois si vous correspondez aux exigences de sa Majesté.
Exporter telle ou telle quantité de matière première, construire telle ou telle infrastructure, seront autant d'objectifs qui vous seront fournis au cours de votre partie, que ce soit de la part des révolutionnaires ou de la Couronne. Quoi qu'un peu expéditive, la déclaration d'indépendance permet de bien appréhender les mécaniques basiques du jeu, la plupart des options étant restreintes au cours de cette période. Une fois arrivé à l'ère des Guerres Mondiales, vous pouvez enfin rédiger votre constitution et définir les grandes lignes de votre politique future : droit de vote, immigration... les différents aspects de votre Constitution sont au départ assez limités mais s'étofferont au fil de votre progression. Choisissez avec le plus grand soin votre politique, puisque vous ne pourrez amender la Constitution que plusieurs années après sa première modification. Vous avez beau être dictateur, vous ne pouvez pas faire n'importe quoi.
L'importance de la recherche
Ce premier bain dans l'univers de Tropico 5 permet aussi de profiter de l'introduction d'une autre nouveauté : l'arbre technologique. Chaque bibliothèque génère désormais des points de recherche et devient par la même occasion l'un des bâtiments à construire en priorité. Effectivement, ces points vous permettront de progresser dans un arbre technologique qui offre la possibilité de débloquer diverses infrastructures indispensables à votre économie comme les mines, les améliorations des bâtiments ou les possibilités diplomatiques. Bien entendu, chaque avancée est soumise à un temps de recherche conditionné par l'efficacité de votre bibliothèque ou autres édifices destinés à cette fonction. Une bibliothèque désertée de ses employés ou faiblement occupée sera bien évidemment inefficace et cette lacune pourra, sur certaines missions, s'avérer bien handicapante pour mener à bien vos objectifs, qui seront assez variés au cours de la campagne.
Une campagne complète et diversifiée
Concernant le déroulement de la campagne, les habitués de Tropico ne seront pas dépaysés. Ce bon vieux Penultimo vous donnera des objectifs en accord avec le contexte politique et économique de votre époque, tandis que des objectifs secondaires, donnés par les différentes factions, vous enjoindront d'augmenter la satisfaction alimentaire, d'exporter des ressources de luxe etc. L'intérêt des différentes périodes se révèle de cette manière, offrant une généreuse diversité d'enjeux. Ainsi, les puissances auxquelles vous aurez affaire seront différentes selon que vous prospériez dans l'ère des Guerres Mondiales ou dans l'ère moderne, l'évolution étant toujours amenée d'une manière logique et très bien scénarisée. Les infrastructures changent également, le commerce s'adapte à son époque, et les moyens de pression des puissances mondiales diffèrent d'une période sur l'autre. En somme, on ne s'ennuie pas et l'on prend plaisir à peaufiner la gestion de notre paradis tropical.
Il faudra donc toujours veiller à répondre aux impératifs du scénario sans jamais négliger le bien-être de votre population, en s'assurant de toujours subvenir décemment à ses besoins sous peine d'être victime d'émeutes de plus en plus régulières. Si la gestion de l'économie n'est pas franchement compliquée, reposant essentiellement sur l'export de ressources, celle de la satisfaction globale est nettement plus obscure et il ne sera pas rare de voir des soulèvements populaires avec un taux élevé de satisfaction. Déroutant. Par ailleurs, si vous étiez parvenu sur les épisodes précédents à esquiver presque tous les conflits armés, le scénario de Tropico 5 vous obligera à construire des édifices miliaires et à adopter les technologies y étant attachées afin de défendre votre ville contre les différents assauts qui ne manqueront pas de survenir au cours de la campagne. Gérés automatiquement, ils dépendent davantage de la logique du nombre et de l'argent injecté à la défense qu'à l'emplacement stratégique de vos infrastructures miliaires, mais qu'importe et fort heureusement, Tropico 5 est un jeu de gestion, pas un RTS.
Le système de dynastie introduit par ce nouvel épisode de Tropico laisse lui aussi un peu dubitatif. Vous commencez par créer votre personnage, qui a la particularité d'accorder un bonus global à votre île en fonction de ses attributs de départ. Par exemple, l'un des membres de votre dynastie pourra accorder un bonus de résistance à vos militaires tandis qu'un autre diminuera les coûts de construction des bâtiments. En l'échange d'espèces sonnantes et trébuchantes, vous pouvez faire gagner à votre lignée un niveau supplémentaire afin d'améliorer les effets sur votre partie. A vous de voir si vous désirez incarner tel ou tel membre de votre famille en fonction des bonus qu'il apporte. Ce n'est pas spécialement intéressant et l'impact de la dynastie sur votre partie est assez faible.
Rendez-vous en terrain connu
En dépit de ses nouveautés, il faut tout de même reconnaître que Tropico ne sort pas vraiment de sa zone de confort, en se reposant sur des bases qui ont certes fait leurs preuves, mais qui ne donneront pas la sensation aux habitués de jouer à un titre fondamentalement neuf. L'évolution de votre partie sera la même qu'auparavant. Les mines, champs et ranchs serviront de base à votre économie tandis qu'il faudra par la suite se tourner vers les produits de luxe, comme les cigares, les bijoux ou le rhum. Il faudra veiller à fournir des logements décents, du divertissement et de la nourriture à votre peuple, tout en vous assurant que chaque bâtiment dispose d'assez d'ouvriers pour fonctionner convenablement. A mesure que vous débloquerez les recherches et les époques, chaque édifice pourra être amélioré afin d'en optimiser le rendement, d'en diminuer la pollution environnante etc. Ainsi, à l'exception des nouveaux bâtiments et nouvelles technologies que vous débloquez d'une ère sur l'autre, le fonctionnement de Tropico reste le même qu'auparavant.
Par ailleurs, en bon dictateur que vous êtes, vous bénéficiez de tout un panel d'actions pour gérer au mieux votre île, vos interactions avec le peuple et les autres nations. Une multitude de décrets sont à votre disposition et chaque prise de décision aura un impact qu'il faut bien mesurer avant de prendre des mesures trop hâtives. Dans Tropico, la règle est simple : on ne peut pas plaire à tout le monde. Interdire la contraception sera bien vu par les religieux mais donnera du plomb dans l'aile au sentiment de liberté de votre population, qui sera plus agitée et plus sujette aux émeutes. Il en va de même pour un bon nombre de décrets, qu'il faudra adopter au bon moment sous peine de plonger votre île dans le chaos, ou de perdre des élections que vous pensiez gagnées d'avance. Il est donc grisant de gérer autant sa politique intérieure qu'internationale, en tentant de préserver un équilibre souvent précaire entre profit personnel, bien-être de la population et diplomatie avec les puissances étrangères. Bien entendu, la dimension politique est comme toujours généreusement arrosée d'humour et du cynisme gentiment immoral qui fait la marque de fabrique de la licence. Les interventions de Penultimo sont souvent hilarantes, au même titre que le descriptif des constructions ou encore les assertions de l'animatrice particulièrement déjantée de votre radio locale.
Si, comme nous l'évoquions plus haut, les objectifs principaux sont assez originaux et permettent de donner à Tropico 5 une courbe de difficulté très fluide, les demandes secondaires sont répétitives et interviennent d'une manière aléatoire, sans que soient prises en compte vos actions précédentes. Ainsi, si l'on vous a demandé une première fois d'ériger une base militaire, pas d'inquiétudes, on pourra vous proposer une seconde fois cet objectif tant et si bien que vous profiterez de la récompense sans avoir à bâtir une nouvelle fois l'édifice. Certains aspects économiques restent également trop peu paramétrables : on aurait aimé par exemple une gestion plus poussée de l'affectation de la main-d’œuvre ou encore pouvoir jouer avec les prix des ressources. De plus certaines données semblent aléatoires et rendent délicate la gestion de problèmes parfois cruciaux, à commencer par la multiplication des sans-abris en dépit d'une construction intensive de logements. Espérons que l'équilibre soit corrigé dans le futur.
Accessibilité poussée au détriment de la micro-gestion
Malgré tout, Tropico 5 a bénéficié d'une refonte d'interface plutôt bienvenue, claire et accessible, même si de menus défauts viennent ternir le confort de navigation. L’impossibilité de passer d'un menu général à l'autre sans fermer la première fenêtre ouverte ou l'obligation de faire défiler toutes les technologies dès que vous ouvrez la fenêtre de recherche sont des détails qui deviennent agaçants compte tenu du nombre de fois où l'on utilise ces fonctionnalités. Malgré tout, de nombreux détails sont accessibles en seulement quelques clics et c'est bien là l'essentiel. Vous pouvez embrasser en un coup d’œil les éléments clés de votre économie et adapter vos dépenses en conséquence. C'est ici que les joueurs aguerris déploreront une micro-gestion pas assez poussée, qui manque clairement de paramètres précis pour gérer au mieux son île et ses infrastructures. Une accessibilité qui plaira aux nouveaux arrivants, nettement moins aux amateurs de jeux de gestion plus retors. Un choix qui ne terni pas pour autant le plaisir de jeu, mais qui réduira la durée de vie du titre pour les habitués aux mécaniques de la franchise.
L'arrivée timide du multijoueur
Tropico 5 respecte donc ses fondements et a tenté d'introduire des nouveautés pour renouveler l'intérêt des vétérans du jeu. Du côté des nouveautés, nous pouvons noter l'introduction du multijoueur dont l'intérêt apparaît limité. En mode Versus, vous serez confronté à d'autres joueurs et aurez essentiellement pour but de faire une course aux points en remplissant le plus rapidement possible certains objectifs, en accumulant une certaine quantité d'argent ou en construisant en premier un édifice de grande envergure. Il en va de même en mode coopération, à la nuance près que quelques menues options de diplomatie viennent étoffer la partie : échange d'argent ou de ressources, déclaration de guerre, voilà qui est bien maigre pour vous tenir en haleine des heures durant, même si son apport devrait vous amuser quelques temps si vous définissez une politique bien spécifique avec une poignée d'amis. L'intérêt du traditionnel mode Bac à sable est quant à lui bien supérieur, la perspective des différentes époques incitant grandement à penser l'architecture de sa ville le plus intelligemment possible. Bref, c'est essentiellement sur sa campagne et sur son mode libre que la durée de vie de Tropico 5 s'en sort avec les honneurs.
Points forts
- Incarner un dictateur, on ne s'en lasse pas
- Les différentes époques
- La rédaction de la Constitution, plutôt bien pensée
- Campagne complète et intéressante
- La multitude de choix politiques et l'importance de leur impact
- L'humour qui fait mouche
- La bande originale toujours aussi dansante
- Difficulté progressive...
Points faibles
- ... mais le jeu est globalement trop facile
- Micro-gestion pas assez poussée
- Toujours cette sensation d'extension de Tropico 3
- Multijoueur peu attractif sur la durée
- Quelques incohérences dans les objectifs secondaires
- Réaction de la population souvent imprévisible
L'introduction de nouvelles mécaniques de jeu fait le plus grand bien à la franchise Tropico. Ce 5ème épisode, s'il ne révolutionne pas fondamentalement les systèmes en place depuis Tropico 3, apporte enfin un peu de fraîcheur à la série, essentiellement grâce à la diversité des objectifs et autres enjeux apportés par les différentes ères. Les nouveaux venus en mal de jeux de gestion seront conquis, les connaisseurs apprécieront les nouveautés mais déploreront le faible intérêt du multi et cette sensation diffuse de redite qui ronge la série depuis quelques années. Malgré tout, Tropico 5 est un jeu de gestion d'excellente facture, dépaysant, drôle, cynique qui propose une campagne variée et un mode Bac à sable tout aussi plaisant.