Il y a certains titres comme ça qui dégagent une aura tellement magnétique qu'ils poussent un bon nombre de joueurs à s'y intéresser de plus près. Avec ses bandes-annonces exhalant de délicieux parfums de mysticisme et d'angoisse et son orientation esthétique, Betrayer nous a suffisamment tapé dans l’œil pour que se ressente le besoin impérieux d'en éprouver l'histoire et le gameplay. Ajoutez à cela le fait que d'anciens membres de Monolith (F.E.A.R.) ont rejoint les rangs de Blackpowder Games pour élaborer le titre et vous tenez entre vos mains un jeu dont vous ignorez presque tout, mais dont vous attendez beaucoup. Trop, peut-être.
A l'aube du XVIIème siècle, un naufragé s'éveille depuis la plage sur laquelle il s'est échoué. Sans souvenirs, sans nom et sans but, le marin jette un bref coup d'oeil alentour et découvre un univers à la végétation luxuriante. Quelques pas plus avant lui permettent comprendre qu'en dépit du silence environnant seulement rompu par le bruissement des feuilles et le cri des oiseaux, quelqu'un l'observe attentivement. Une flèche décochée dans un arbre par une mystérieuse femme vêtue de rouge confirme cette sensation, alors que des cris gutturaux surgissent au loin. Ce naufragé, pas de bol, c'est vous.
Du refus de l'assistanat
A l'image du personnage que vous incarnez, vous êtes parachuté dans l’univers de Betrayer sans autres indications que quelques principes généraux de gameplay : comment avancer, comment courir, comment tirer et ce sera à peu près tout. Vous ignorez tout de vos objectifs, de l'endroit dans lequel vous vous trouvez, à vous d'en déduire la marche à suivre pour progresser dans le jeu. C'est là l'une des premières grandes forces de Betrayer, qui ne cède pas à la tentation de prendre le joueur par la main en préférant épaissir le mystère autour de votre condition en vous laissant livré à vous-même. Il en sera ainsi tout au long de votre aventure : jamais un objectif précis n'apparaîtra à l'écran, jamais la trame narrative ne se dévoilera d'une manière explicite, il vous appartiendra entièrement de saisir les mécaniques de jeu et de percer à jour l'épais mystère qui semble peser sur les forêts épaisses que vous traversez. Une lettre déchirée ici, un objet ensanglanté là, toutes vos découvertes seront consignées dans votre journal et l'intrigue ne livrera ses secrets qu'au fur et à mesure de votre progression. Un excellent point servi par une ambiance particulièrement réussie.
Un traitement visuel immersif et asphyxiant
Car c'est bien cela qui marque d'une empreinte indélébile l'expérience et l'univers de Betrayer : le parti pris esthétique. Opter pour un environnement en noir et blanc dans lequel seul le rouge vif saute aux yeux du joueur est certes loin d'être une nouveauté, mais son exploitation dans Betrayer est franchement réussie, participant grandement à l'atmosphère dense, quasi suffocante, du monde dans lequel vous évoluez. S'il est toutefois possible de modifier la saturation dans les options afin d'octroyer un peu de couleur au titre, il est fortement déconseillé d'y recourir si vous ne voulez pas vous saborder l'immersion. Effectivement, le noir et blanc, dans l'art en général, garantit une véritable intemporalité à l’œuvre traitée de cette manière et le choix se révèle ici particulièrement malin de la part de Blackpowder, qui a placé l'action de son titre plus de 4 siècles avant notre époque. Betrayer pose ainsi des bases solides pour insuffler au joueur un sentiment d'angoisse latent dès les premières minutes de jeu, largement renforcé par le traitement sonore qui a bénéficié d'une attention toute particulière.
Le son, un élément de gameplay à part entière
La bande-son de Betrayer se distingue par sa quasi-absence, l'utilisation de sons intervenant avec la plus grande parcimonie. Vous évoluerez essentiellement dans un silence absolu, simplement troublé par le bruit de vos pas, par quelques rafales de vent ou par le grognement inquiétant des ennemis éparpillés dans l'univers et sur lesquels nous reviendrons. En plus d'être savamment employé, le son présente la particularité d'être placé au cœur du gameplay. En effet, comme nous l'évoquions plus haut, aucun objectif clair ne figure sur votre carte et il vous incombe de saisir les mécaniques de jeu pour progresser dans votre périple. Ainsi le passage à proximité d'un objet interactif déclenche un bruit qui s'intensifie à mesure que vous vous en approchez. Mais votre capacité d'écoute ne s'arrête pas là et va s'avérer déterminante pour venir à bout de l'intrigue de Betrayer.
En début de parcours, vous échouez dans un village abandonné, seulement peuplé d'inquiétantes silhouettes de cendres. Après avoir sonné la cloche du village, vous basculez dans un bruit strident vers un monde obscur, peuplé d'âmes errantes, certaines pacifiques, d'autres moins. Au cours de cette phase, vous récupérerez dans la terre une oreille, une langue et un œil, vous permettant d'interagir avec le monde des trépassés. Une pression sur une touche vous permet d'activer vos nouveaux talents de perception, déclenchant au passage des indicateurs de part et d'autre de votre boussole, dont l'intensité lumineuse indique l'emplacement du prochain objectif. C'est essentiellement là-dessus que reposera votre avancée dans Betrayer, mais vous devrez également faire preuve d'une certaine adresse pour venir à bout des adversaires qui peuplent autant le monde des morts que celui des vivants.
Des combats mêlant adresse et adrénaline
Des conquistadors ataviques du monde lumineux aux spectres véhéments de celui des ténèbres, les adversaires ne manquent pas, à l'image de l'intensité des coups qu'ils vous portent. Dans une optique de survie plus que d'action, il va sans dire que votre héros n'est pas franchement résistant et qu'il sera préférable d'aborder les affrontements d'une manière subtile plutôt que brutale. Au-delà de votre fragilité, votre arsenal n'a rien de réjouissant. Fidèles à ce que l'on pouvait légitimement trouver au XVIIème siècle, les armes à feu que vous récolterez sur les cadavre de vos ennemis sont particulièrement longues à recharger mais plus puissantes que l'arc qui, lui, est plus rapide mais demande une précision accrue. Vos adversaires étant revêtus d'armures, il sera nécessaire de décocher une flèche dans une faille de l'équipement adverse sous peine de voir son trait ricocher sans égratigner vos opposants. Les combats deviennent rapidement intenses et stressants, d'autant que si vous cochez l'option appropriée, votre mort sera synonyme de perte de votre argent (vous permettant de vous réapprovisionner en armes et munitions dans les quelques villages que vous visitez) ainsi que de votre équipement. Mobilité et précision sont les maîtres mots des combats de Betrayer, éloignant davantage encore le titre de Blackpowder du FPS pur en dépit de ses apparences.
Aidez les morts, ils vous le rendront bien
Les bases sont bien établies, l'atmosphère est glauque et asphyxiante à souhait, les combats agréables, et le scénario tient clairement la route. Loin de nous l'idée de vous en révéler les tenants et aboutissants, sachez simplement que lorsque vous basculerez dans le monde des morts, vous aurez l'occasion d'interagir avec un certain nombre de spectres. La plupart ayant perdu tout souvenir de leur identité passée, ce sera à vous de leur rafraîchir la mémoire afin de recueillir leurs confidences sur les raisons les ayant conduits à la mort. C'est de cette manière que se déroulera la narration de Betrayer : d'interaction en interaction, vous en apprendrez davantage sur les nombreux drames qui ont eu lieu sur place. Très bien menés, les dialogues sont néanmoins intégralement rédigés dans un anglais assez soutenu, aussi nous vous recommandons chaudement de vous lancer dans l'aventure que dans le cas où vous disposez de bases solides dans la langue de Shakespeare.
Une monotonie qui ne pardonne pas
Tous ces éléments si séduisants auraient pu faire de Betrayer un jeu incontournable. Malheureusement, tout ce qui constitue le sel de votre périple finit par retomber comme un soufflet passé quelques heures de jeu. Si les ficelles de l'angoisse sont manipulées avec talent par les équipes de Blackpowder, l'assimilation des mécaniques de gameplay érode la sensation d'anxiété et la répétitivité des actions à effectuer pour avancer saborde carrément un concept si généreux à la base. Le monde est divisé en plusieurs zones aux dimensions raisonnables. Afin de débloquer la zone suivante, il sera nécessaire d'achever certaines tâches à l'endroit dans lequel vous vous trouvez. Sans vous révéler la nature de ces actions, vous les comprendrez bien assez vite, sachez simplement qu'elles seront systématiquement les mêmes d'une carte à l'autre. Ainsi, dès votre arrivée dans la deuxième portion de la carte, vous aurez immédiatement un sentiment désagréable de redite qui s'amplifiera proportionnellement au temps passé en jeu. Quelques événements pas forcément palpitants interviennent ici ou là, mais pas de quoi s'emballer ou encore renouveler l'intérêt du jeu.
Ne vous reste alors qu'à vous adonner à l'exploration afin de mettre à jour les secrets de votre environnement ce qui n'est pas nécessaire pour venir à bout du titre, mais qui est en définitive le seul palliatif à l'ennui que vous finirez immanquablement par ressentir. Le manque de diversité ne frappe pas que les objectifs à remplir, il sévit également sur le bestiaire du jeu, franchement très limité, élevant approximativement le nombre d'adversaires différents à une petite dizaine, monde des morts inclus. Par ailleurs, lorsque vous aurez compris les moyens les plus efficaces pour les terrasser, la difficulté prendra du plomb dans l'aile et ne sera rehaussée que par la multiplication parfois exagérée d'ennemis à l'écran. Enfin, ces derniers adoptent un comportement bien souvent incompréhensible, parvenant à vous détecter en dépit de votre camouflage à une généreuse distance de leur champ de vision, tandis qu'ils peineront parfois à vous repérer alors que vous vous trouvez bêtement planté devant eux. L'approche furtive est donc aléatoire car conditionnée par la perception variable de vos opposants, dont l'acuité est soit trop prononcée, soit carrément absente. Autant d'écueils qui nivellent sévèrement vers le bas un titre qui aurait pu faire date si la monotonie générale n'était pas si marquée et, surtout, si elle n'intervenait pas si tôt.
Points forts
- L'orientation graphique
- Univers très cohérent auréolé de mystère
- Atmosphère anxiogène à souhait
- Traitement sonore impeccable
- Scénario captivant
- Combats qui ne pardonnent pas
- Bonne durée de vie
Points faibles
- Extrêmement répétitif et rapidement ennuyeux
- Bestiaire très maigre
- La récolte d'informations rapidement pénible
- Intelligence artificielle à la ramasse
- Bon niveau d'anglais exigé
- Nombre d'ennemis parfois exagéré sur la dernière portion
Betrayer avait tout pour lui : une atmosphère épaisse et anxiogène, un scénario mystérieux dont on perce les arcanes très progressivement, une orientation graphique plus que réussie, un univers cohérent et un travail sur le son excellent. Malheureusement, les équipes de Blackpowder ne sont pas parvenues à créer suffisamment de diversité pour captiver le joueur sur la durée. Ce dernier s'ennuiera ferme au bout de deux heures de jeu, en raison de mécaniques de gameplay bien trop répétitives et d'ennemis au comportement absurde. C'est d'autant plus regrettable que les ficelles de l'angoisse sont finement manipulées. On aurait simplement aimé que ce talent soit mis à contribution sur la durée et non condensé sur les premiers instants de jeu. Dommage.